La pressante lettre de Tony Blair au Père Noël (à propos du JSF)

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La pressante lettre de Tony Blair au Père Noël (à propos du JSF)

5 janvier 2006 — Le sujet dont tout le monde parle dans les milieux qui comptent dans ces matières, c’est bien sûr le Joint Strike Fighter (JSF). Ce n’est plus “le sujet qui fâche”, c’est le sujet qui panique. Quand on saucissonne le problème, c’est pire encore ; comme, par exemple, lorsque les Britanniques découvrent que les Américains pourraient bien envisager d’abandonner le deuxième moteur pour le JSF à décollage court/vertical (au départ, deux moteurs prévus pour la saine émulation de la concurrence) ; ce serait bien sûr celui de Rolls qu’on laissera tomber, à l’avantage de l’Américain Pratt & Whitney.

Le 31 décembre, le Financial Times nous informait de ceci : « The next 12 months will also be crucial for the Joint Strike Fighter in the US, the world's most expensive weapons project. Gareth Evans, defence and aerospace consultant at AT Kearney, says: “All our main companies have a big stake and they will be looking to see what the partnership aspects will be.” Rolls-Royce is already fearing the worst after well-placed Washington insiders said the Pentagon was planning to kill plans for a second JSF engine, which would have been developed by GE and Rolls-Royce. The British engine maker is developing a ‘jump’ system for the aircraft that will allow it to land vertically, but losing out on the engine work would be a huge disappointment for its defence business. »

La chose, telle qu’elle s’annonce, est si amère que Tony Blair a pris sa plume la plus pressante et qu’il a écrit à GW Bush. Cela donne ceci, selon nos sources intérieures :

« British Prime Minister Tony Blair has written to U.S. President George W. Bush to try to save a multibillion-dollar contract to develop an engine for the F-35 Joint Strike Fighter, the Pentagon's costliest warplane program, people familiar with the matter said on Tuesday. “A letter went from the prime minister to the president shortly before Christmas,” said a person who asked not to be identified because of the matter's sensitivity. At issue is a Pentagon plan, reported last week but in the works for more than a month, to kill a $2.4 billion General Electric Co.-Rolls-Royce Plc contract to develop an alternate turbofan engine for the fighter. Pratt & Whitney, a United Technologies Corp. unit, is building the engine that will go in the first F-35s, a family of single-engine, radar-evading aircraft being built by Lockheed Martin Corp. Proponents of an alternate engine have cited potential savings through competition. But developing a second engine has boosted development costs, something the Pentagon is under pressure to pare. If upheld by the White House and Congress in budget wrangling, canceling the project could mean tens of billions of dollars in extra sales over decades for Pratt & Whitney. Saving the alternate engine program “was the purpose of (Blair's) letter,” another person familiar the matter said. Rolls-Royce described the alternate engine program in a statement as “an important collaboration” between the United States and the United Kingdom but declined to comment on the Pentagon's cancellation plan. The White House did not return a phone call seeking comment. Britain has committed at least $2 billion to co-development of the F-35, the most of any of the project's eight foreign partners. GE and Rolls-Royce, one of Britain's premier brands, won the $2.4 billion development contract in July. It is due to run through September 2013. The F-135 co-development partners include Britain, the United States, Italy, the Netherlands, Turkey, Canada, Australia, Denmark and Norway. »

Le problème de cette question des moteurs est qu’elle est divisée entre plusieurs autorités. Le moteur Rolls ne concerne que la version ADAC/V du Marine Corps (et des Britanniques). Les autres services impliqués, qui sont terriblement serrés au niveau budgétaire, cherchent à faire des économies dans tous les sens. D’ores et déjà, l’U.S. Navy aurait retiré sa participation. L’USAF pourrait suivre. De telles conditions rendent très difficile de maintenir la cohésion nécessaire au soutien du deuxième moteur. Les Britanniques ne sont pas gâtés.

L’“année du JSF” commence sur les chapeaux de roues, post-combustion allumée, avec encore plus de sujets d’inquiétude que nous-mêmes n’en prévoyions. Les Britanniques sont aux premières loges. Ils sont les interlocuteurs directs et quasiment exclusifs de la crise des relations transatlantiques que va devenir le programme JSF.

Comme les autres coopérants, les Britanniques sont requis de signer leur engagement de commande du JSF d’ici la fin de l’année. Ils veulent absolument ce qu’ils nomment la “souveraineté opérationnelle”, c’est-à-dire un transfert de contrôle de la maintenance, de la logistique et de l’éventuelle modernisation de l’appareil. Les Américains refusent net. Des négociations ont eu lieu à Washington en décembre, entre BAE et le MoD d’une part, les Américains d’autre part. Elles se sont soldées par un échec complet. Encore s’agit-il d’une négociation sur un principe, alors que les difficultés surgissent de toutes parts, comme on le voit avec cette question du moteur.

Il se confirme chaque jour davantage que le programme JSF est un programme tentaculaire qui devient un piège tentaculaire. La multiplicité et l’universalité du JSF paraissaient sa plus fondamentale vertu lorsque la seule appréciation qu’on en avait reposait sur les illusions qu’on entretenait à son sujet, et sur la vision virtualiste qu’on en avait. Depuis qu’on est entré dans la réalité de ce programme, cette multiplicité et cette universalité n’ont pour effet que de multiplier et d’universaliser les difficultés. Aucun pays est enfoncé plus profond dans ce piège que le Royaume-Uni, qui est arrivé dans une zone de rupture avec son exigence de “souveraineté opérationnelle”, — exigence sine qua non que, d’une façon cette fois assez ingénue, les Américains peuvent difficilement rencontrer. C’est sans doute le comble du programme JSF que de mettre les Britanniques, maîtres de la diplomatie, des engagements habiles (pour eux) et des compromis triomphants (toujours pour eux) dans une situation de rupture où ils seraient acculés à des décisions radicales hors de tout compromis possible. C’est peut-être Robert North qui a envisagé le scénario le plus acceptable.


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