La parallèle Ecosse-Ukraine à l’heure des référendums

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La parallèle Ecosse-Ukraine à l’heure des référendums

On sait, car le thème est largement exploité depuis quelques semaines, que le référendum de Crimée (sécession de l’Ukraine, rattachement à la Russie), puis celui de la région de Donetsk, bref le thème des “référendums de sécession” en Ukraine résonne largement en Europe occidentale où divers cas de dynamiques de sécession sont en cours. Outre celle du Pays Basque espagnol, il y a bien sûr le cas écossais, où un référendum sur l’indépendance et la sortie du “Royaume-Uni” (Angleterre) doit avoir lieu en septembre prochain. (L’évolution des sondages montre que la cause des indépendantistes, qui n’est pas majoritaire au départ, gagne du terrain.)

On comprend que les Russes, qui sont passés maîtres en fait de communication et qui taillent des croupières aux professionnels anglo-saxons et à leurs suiveurs français et autres, n’ont pas raté le mini-scandale qui nous avait échappés en général, du fait du pseudo-Premier ministre écossais Alex Salmond, également chef du parti majoritaire en Ecosse (le SNP, ou Scottish National Party). Cela s’est passé le 28 avril 2014 (lien du Guardian à ce propos), lorsqu’ont paru, en primeur, des extraits d’une interview de Salmond pour la luxueux magazine GQ, édité par Condé-Nast (éditeur de Vogue, énorme puissance éditoriale), et dont la rédaction-en-chef a été confiée à Alastair Campbell, ex-spin doctor de Blair retour d’une profonde dépression qui avait suivi ses aventures au Kosovo et en Irak pour son ami Premier ministre. Le mini-scandale, en fait scandale majeur et international, concernait les appréciations que portait Salmond sur Poutine, lors de cette interview qui eut lieu au début de mars, avant le référendum de Crimée.

«Scotland's first minister, Alex Salmond, has given an insight into his views on political figures leaders, including some admiration for the Russian president, Vladimir Putin. Salmond said he admired “certain aspects” of Putin in an interview conducted before Russia's annexation of the Crimea.

»He told Alastair Campbell, the former Labour strategy director: “Obviously, I don't approve of a range of Russian actions, but I think Putin's more effective than the press he gets, I would have thought, and you can see why he carries support in Russia.” “He's restored a substantial part of Russian pride and that must be a good thing. There are aspects of Russian constitutionality and the intermesh with business and politics that are obviously difficult to admire. Russians are fantastic people, incidentally; they are lovely people.”»

... Scandale, donc, dans le genre de celui qui salua les déclarations de Farage sur le même Poutine (voir le 4 avril 2014), – lequel Farage est d’ailleurs jugé avec une certaine faveur par le même Salmond... Vous pensez : scandale et super-scandale ! Combien de traîtres, Votre Très Gracieuse Majesté, se dissimulent dans nos rangs (c’est du Shakespeare, quasi).

Bien, laissons les sots à leurs occupations coutumières. Il est vrai que Salmond s’est défendu comme il a pu contre la marée du lynch qui montait vers lui, sans pourtant, – c’est à son honneur, – se démentir lui-même sur le fond de ses déclarations. (Voir le compte-rendu pincé du Guardian, type-vierge effarouchée, concernant cette “clarification” de Salmond refusant tout de même d’envoyer Poutine aux enfers, le 30 avril 2014.) Bien entendu, les Russes, devenus maîtres ès-communication, ont d’abord déclaré qu’ils abondaient dans le sens de l’anglo-écossais Salmond, et cela est écrit en toutes lettres indignées dans le Daily Mail du 30 avril 2014, où l’on parle de “the international row over Alex Salmond’s praise for Vladimir Putin...”, – comme chacun de nous a pu s’en apercevoir, de cette fureur internationale, dans les défilés du 1er mai, demandant la tête de Salmond, etc. Mais bon, voici ce que nous confie le Daily Mail, y compris de la fureur de la communauté ukrainienne d’Écosse (14 000 braves et éminents citoyens)...

«The international row over Alex Salmond’s praise for Vladimir Putin intensified last night [...] In Moscow, the Russian president's powerful press secretary Dmitry Peskov told the Mail that he “agrees with the viewpoint of the Scottish First Minister”. Mr Peskov – seen as the Alastair Campbell of the Kremlin – spoke out as Russian newspapers poured praise on the SNP leader, threating to further damage Scotland’s international reputation.

»In Scotland, Ukrainians demanded an “unequivocal public apology” from the First Minister. Michael Ostapko, Scottish chairman of the Association of Ukrainians in Great Britain, has written to Mr Salmond to condemn his “crass words”.»

Donc, les Russes suivent cette nouvelle piste qui les intéresse particulièrement. En effet, lorsqu’on parle de l’illégalité du référendum de Crimée dénoncé avec fureur par Londres, n’y a-t-il pas là un cas intéressant pour débattre implicitement, indirectement, de la légalité du futur référendum sécessionniste d’Écosse tenu en accord complet et d’ailleurs un peu forcé avec Londres ? On veut dire par là : n’y a-t-il pas un moyen de brouiller les cartes et de précipiter les uns et les autres, dans le royaume de Sa Très Gracieuse Majesté, dans la bouillie pour les chats des innombrables contradictions suscitées par le discours-Système enrobant la politique-Système suivie avec constance et sans y rien comprendre ? C’est là le fond de la pensée de RIA Novosti, qui se précipite pour interviewer l’une ou l’autre personnalité politique écossaise. On y trouvera bien son miel pour appuyer là où ça fait mal, dans les effets de la politique-Système... Mission accomplie le 12 mai 2014. On admirera l’habileté du propos : pas un mot sur les référendums divers faits ou en cours en Ukraine, mais des tonnes d’anathèmes sur la politique-Système du bloc BAO qui agit en soutien des néo-nazis ukrainiens. Horreur et consternation.

«Western leaders do not know what they are doing by backing neo-Nazis who overthrew the democratically elected president of Ukraine, Scottish Socialist Party (SSP) leader Colin Fox has told RIA Novosti. “There is a history there, in that part of the world, where the Nazis invaded Ukraine and some people collaborated with them and other people, rather more nobly, resisted the Nazis,” Fox said.

»“You are seeing the remnants and the explosion of that today, a deep seated hatred,” Fox told RIA Novosti. “I think the so-called West has been backing neo-Nazis in Ukraine for some time and then they toppled the democratically elected president of Ukraine,” added Fox, who is also a board member of the pro-independence Yes Scotland campaign. “Democracy is meant to be lauded all around the world,” Fox said. “The West don’t know what they are doing. They are stoking dynamite in Ukraine.”

»Fox was joined in his condemnation of US and EU intervention in Ukraine by Councillor Maggie Chapman, the co-leader of the Scottish Green Party. “What is happening in Ukraine is very concerning,” Chapman told RIA Novosti. Chapman blames the rise of the far-right – not just in Ukraine, but across Europe – on wealthy elites who, she says, are forcing through deeply unpopular austerity measures whilst their own personal fortunes are increasing. “When we have the economic crisis that we have at the moment those sort of far-right solutions that target the vulnerable, the poor and the ordinary person are backed by the wealthy, because the structures and institutions of the state exist to serve the wealthy few,” Chapman told RIA Novosti.»

Dans le reste du texte, Novosti signale qu’il a interrogé la représentante du parti conservateur en Écosse Ruth Davidson, sorte de porte-parole de Cameron, et n’a obtenu que des réponses-standard sans la moindre prise de position et d’une vacuité à décourager même un éditorialiste du Monde. (Citation du PM ukrainien accusant la Russie d’“agression”, mise en évidence critique du commentaire de Alex Salmond, refus de porter un jugement sur les autorités ukrainiennes, observation du type “nous n’avons rien à ajouter” à la question concernant des remarques antisémites ou des «pro-rape views expressed by some of the unelected officials in Kiev».) D’une certaine façon, cette partie, reflétant la gêne des conservateurs anglo-écossais à devoir répondre selon la ligne-Système sur cette question de l’Ukraine met a contrario en évidence, comme un point final au constat que cette crise ukrainienne est également, pour la situation intérieure écossaise, un baril de dynamite par la contradiction inhérente qu’elle implique par rapport à la nécessité politique du référendum écossais de septembre prochain. (Ce référendum écossais de septembre n’est, lui non plus, pas exempt des contradictions diverses entre les intérêts du centralisme londonien auquel souscrivent nombre de politiciens écossais et d’origine écossaise, et la poussée indépendantiste écossaise qu’il faut au moins rencontrer dans un “exercice démocratique” pour ne pas casser les reins des bases électorales, en Écosse bien sûr, de ces mêmes politiciens écossais plus ou moins “anglicisés”.)

Les personnalités interrogées ont des représentations politiques assez faibles, et leur enthousiasme pour condamner la politique du bloc BAO en Europe couvrant implicitement d’une certaine appréciation légaliste la procédure des référendums en Ukraine indique bien qu’elles ont la sensation que cette position politique peut renforcer leur position dans la perspective du référendum écossais. Les personnalités plus représentatives (du Système) montrent, elles, suffisamment de prudence et de gêne, par rapport au discours-Système antirusse et anti-référendum-de-Crimée qu'elles sont obligées d'endosser, pour renforcer encore cette idée que l’évocation de la crise ukrainienne et de la position anti-référendum qui va avec dans la politique-Système porte des effets potentiels très négatifs par rapport aux perspectives écossaises. Tous ont bien la sensation que, malgré les différences de situations, la cause des référendums en Ukraine n’est pas loin de celle du référendum écossais, et le droit de sécession ou de proclamation d’indépendance avec, et que par conséquent il faudrait peu de choses pour que le débat sur la crise ukrainienne et la politique-Système du bloc BAO devienne un débat intérieur écossais directement en corrélation avec le référendum de septembre.

Il s’agit d’une sensation très forte de la fragilité des situations au niveau de la communication. Les Russes ont bien senti cela, comme on le voit avec leurs réactions et leurs initiatives diverses de communication. La question est bien de savoir dans quelle mesure, telle déclaration, telle prise de position, tel développement en Ukraine pourrait brusquement faire basculer le référendum écossais dans une sorte de “cause commune” avec les référendums ukrainiens, assimilant alors la politique-Système standard des pays du bloc BAO, dont le Royaume-Uni, à une entreprise de communication avec la potentialité de dénier toute légalité à la démarche d’autodétermination qu’implique l’idée du référendum, privant la “nation écossaise” de sa liberté de choix. La fragilité structurelle éclatante de l’Ukraine qui n’a jamais su affirmer sa souveraineté depuis son indépendance, cela mis en évidence par la crise, semble posséder le potentiel de mettre à son tour en évidence la fragilité structurelle des pays du bloc BAO, cela mis en évidence à son tour par la perte de souveraineté de ces pays touchés par la globalisation, par la dissolution des pouvoirs politiques, par l’affirmation des puissances d’argent transnationales, par l’homogénéisation de la politique en une politique-Système commune. (Voir les arguments passionnées de l’écologiste Maggie Chapman, faisant de la politique du bloc BAO en Ukraine une politique de l’ultra-capitalisme mondialisé, des 1% contre les 99%.) Dans ce cas, de même que l’accusation d’illégalité de la sécession de la Crimée se trouve dramatiquement affaiblie par la souveraineté agonisante de l’Ukraine, l’affirmation de la nécessité pour l’Ecosse de rester dans le cadre britannique se trouve tout aussi dramatiquement affaiblie par la même pente de dissolution suivie par le principe de souveraineté pour le Royaume-Uni.


Mis en ligne le 13 mai 2014 à 13H38