La Kanaky, c’est Nickel

Les Carnets de Badia Benjelloun

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La Kanaky, c’est Nickel

Alors que se dessinent les prémices de l’indépendance de la Nouvelle Calédonie, les indépendantistes kanak ont manqué de gagner le référendum d’octobre de moins de 10 000 voix, l’Etat français parraine la vente de la filière Nickel de Goro, complexe fait d’un port, d’une centrale électrique, d’un gisement de Nickel et de cobalt et d’une usine de traitement,  à un consortium prédateur.

L’enjeu est considérable et la manipulation d’importance.

Séquence 1 : Petite histoire, qui est le vendeur ?

Le géant minier Brésilien Vale avait acquis l’exploitation du site en 2006 en rachetant le groupe canadien Inco Ld. Ces années-là étaient marquées par une activité frénétique de fusions-acquisitions ‘Fusac’ pour les banquiers. Les conseillers financiers encourageaient les concentrations de capitaux car ils ramassaient des commissions énormes quand ils veillaient aux transactions. Ce secteur bancaire est particulièrement parasite et s’est révélé dangereux car il conduit à des situations monopolistiques. L’actuel Président de la République française y a excellé dans le groupe Rothschild car il ne requiert aucune compétence économique particulière en dehors de l’art de la persuasion donc de la séduction qui facilite la négociation.

Le repreneur

Le groupe Vale est issu d’une entreprise publique privatisée en 1997 sous les auspices d’un gouvernement brésilien de tendance social-démocrate qui a privatisé pas moins de 71 entreprises. La Companhia Vale di Rio Doce (CRVD) créée en 1942 a été cédée pour une bouchée de pain. Ses biens publics accumulés (26 millions d’hectares de terres, 167 hôpitaux, 68 universités, etc..) ont été transférés au privé pour la somme ridicule de 3 milliards d’euros alors qu’aucun inventaire de son patrimoine n’avait été préalablement dressé.  Le coup d’Etat institutionnel qui a abouti au renversement du gouvernement travailliste a fait changer l’orientation resserrée vers une production pour la sphère nationale en faveur d’un fort endettement pour plus d’investissements alors que le marché mondial s’essoufflait. En 2015, la dette s’élevait à plus de 25 milliards et les pertes à 40 milliards. La rupture d’un barrage sous le poids des boues effluentes de la mine de Germano dans l’Etat de Minas Gerais, prévisible depuis 2009 car il a été construit sur des rejets de la mine, a dévasté le village Bento Rodrigues. Le fleuve Rio Doce source principale de captation d’eau du bassin a été contaminé. 12 millions de M3 de résidus miniers toxiques empoisonnent la zone. Lorsque les victimes demandent réparation, la multinationale essaie de trouver un arrangement pour échapper à 50 milliards d’indemnisations.

En janvier 2019, la rupture d’un autre barrage minier dans le même Etat a fait des centaines de morts, la plupart employés de la firme. Cette nouvelle catastrophe fait plonger la cotation boursière de Vale et repose la question du coût environnemental jamais considéré dans l’exploitation.

L’acheteur initial

Le groupe minier canadien Inco Ld avait acheté en 1992 la concession minière pour le site de Goro au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (le BRGM, donc l’Etat français) soit une réserve de 165 millions de tonnes titrant à 1,6% pour une bouchée de pain. Inco Ld a gelé son (faible) investissement pendant des années avant de lancer une usine pilote pour vérifier l’efficacité d’une nouvelle technologie hydrométallurgique adaptée au minerai de faible teneur. Au terme d’une série d’opérations, en expropriant le producteur français Eramet au profit d’un autre groupe canadien Falconbridge, l’Etat français s’était désengagé du nickel calédonien et l’a quasiment offert à Inco qui a payé en tout et pour tout quelques 20 millions d’euros et en a reçu plus d’un milliard d’euros en subventions. En 2004, Inco Ld lance la construction de l’usine de Goro. La Société de Participation Minière du Sud Calédonien, détenue pour moitié par la province Sud, et au quart par chacune des provinces du Nord et des îles participe pour 10% à l’actionnariat de l’usine Goro Nickel. 

Les autochtones pour leur environnement

Des luttes autochtones et environnementalistes ont rectifié à l’aide de contre-expertises scientifiques les tracés des implantations. En 2006, le Tribunal administratif annule l’autorisation d’exploitation de Goro nickel eu égard aux risques trop importants de pollution chimique dans un site à la biodiversité ‘fragile’. 

Le Conseil Consultatif Coutumier et un observatoire de l’environnement dénommé l’Oeil surveillent le respect du pacte de développement durable du Grand Sud signé par Vale qui  avait opté pour le mode d’extraction de la lixiviation par l’acide sulfurique. Des fuites d’acides ont lieu en 2009 dans le creek de la Baie Nord, d’autres plus importantes encore ont déversé 100 000 litres d’effluents dans la même baie.

En décembre 2019, Antonin Beurrier annonce que Vale souhaite se retirer et céder ses parts, alléguant les dettes cumulées, la raffinerie n’ayant jamais produit à plein rendement.  

C’est dans un contexte aggravé par la récession mondiale, les besoins en acier de la Chine sont en baisse, que Vale va vouloir se séparer de son exploitation du Nickel à Goro en Nouvelle Calédonie.

L’une des raisons non avouées de la cession de Goro Nickel se trouve peut-être dans le grand risque de rupture du barrage KO2 qui stocke les résidus toxiques de l’usine : 25 millions de m3 contenus par un barrage sis dans une région à haut risque sismique à propos duquel beaucoup d’anomalies ont été constatées d’autant que la membrane qui tapisse le fond du barrage n’est pas étanche. Par ailleurs, le barrage aura atteint sa capacité autorisée fin 2023.

Séquence 2 : Pour qui le profit ?

Les tours de passe-passe

Depuis que le géant minier brésilien Vale a annoncé son retrait du complexe industriel et minier du Sud qu’il exploitait depuis 2010 pour la fin de l’année 2020, tour à tour, deux repreneurs ont renoncé à lui succéder. L’australien New Century Resources (NCZ) s’est désengagé d’un investissement jugé à risque. Un collectif coutumier s’est opposé à ce rachat car NCZ aurait délocalisé le traitement du minerai, ce qui aurait été moins avantageux pour le pays. Cette contestation a été rejointe par le FLNKS, le MNSK et l’USTKE. 

Vale avait privilégié ce repreneur en lui réservant l’exclusivité à l’accès à sa documentation technique et financière. Vale a ce faisant défavorisé les autres candidats dans le montage de leur dossier financier. NCZ ne dispose de plus d’aucune expérience en hydrométallurgie et perd de l’argent chaque année depuis sa création.

Le Pdg de Vale Nouvelle Calédonie Antonin Beurrier avait exclu de la négociation les conseils coutumiers qui demandaient que soient garanties les conditions du Pacte de développement durable du Grand Sud.

En particulier, la candidature d’un consortium fait de partenariat du coréen Korea Zinc avec la société Sofinor, groupe néo-calédonien appartenant à la province Nord a été rejetée par Vale. La solution Koréa Zinc-Sofinor offrait de nombreux avantages pour le peuple kanak.

Par ce montage voulu par les Kanak, Sofinor qui est le bras minier de la province Nord détient 56% du capital  et, majoritaire, il peut imposer un mode d’exploitation conforme aux intérêts autochtones et non aux appétits des multinationales.

Korea Zinc a de plus une grande expertise, elle est leader dans son secteur.

Vale a invoqué les aléas liés à la crise de la Covid-19 pour balayer définitivement l’offre du consortium.

Nombre d’actions ont été menées par l’ICAN, l’Instance Coutumière Autochtone de Négociation depuis juin 2020 pour que le pays reste maître de ses ressources. Le prétexte de la préservation de 3000 emplois ne pèse pas face à l’expropriation des richesses et à la destruction irréversible de la terre, de la mer, des fleuves, de la faune, de la flore et des  réserves halieutiques.

Le consortium Prony

Enfin, apparaît le véritable acteur voulu par Vale, il sort du chapeau d’Antonin Beurrier qui ne respecte pas les règles élémentaires d’appel d’offre. L’offre de reprise par Prony Ressources obtient l’exclusivité en novembre 2020.

Il est détenu à 25% par Trafigura, un courtier en pétrole et un affréteur de minerais.

Ce groupe fondé par des Français est célèbre dans les préfinancements des hydrocarbures africains, moyen formidable pour voler les peuples en sous-payant du brut revendu plusieurs fois sur le marché. Une fois le pétrole arrivé chez le dernier acheteur, les comptes se « débouclent ». Trafigura prend les bénéfices sans avoir rien avancé et redistribue une petite part aux dirigeants politiques corrompus installés par l’Occident à la tête des néo-colonies. 

L’histoire de Trafigura est une succession de crimes écologiques, d’emplois de sociétés-écrans pour dissimuler des activités illégales.

25% du consortium vont à une société d’investissement.

On cite des « intérêts calédoniens » à hauteur des 50% restants, composition hétéroclite de salariés (il faut avoir les moyens d’acheter des actions en nombre, ce qui va être réservé aux très hauts cadres), de la province du Sud, acquise aux liens d’appartenance à la France métropolitaine et la société civile calédonienne. L’Etat français soutient cette offre qui privilégie des fonds spéculatifs et prive la Kanaky de ses ressources essentielles, un peu à la manière d’une Algérie devenue indépendante sans la liberté de disposer de son pétrole.

Il s’agit bien d’une rétorsion politique et économique préventive car la Kanaky ne manquera pas de voter pour son indépendance lors du prochain référendum, le troisième, décidé en 1998 lors des accords de Nouméa.

Extorsion de profit contre l’intérêt des autochtones

Un coup de force est réalisé le 9 décembre 2020, Vale vend l’usine au consortium Prony.

Le site Goro Nickel est constitué de quatre éléments, l’usine de transformation, les gisements de minerais, une centrale électrique et le port. Lorsque les experts de Bercy rédigent une note sur l’absence de chiffrage précis de Korea Zinc-Sofinor en recommandant d’écarter la solution recommandée par les instances coutumières, ils font œuvre de prédation en faveur de spéculateurs apatrides.

L’ICAN et le sénat coutumier ont insisté sur deux points préalables dans leurs propositions.

Que soient chiffrées toutes les aides apportées par l’Etat français à Inco Ld puis à Vale NC.

Que soit établi un état des lieux précis de la situation écologique actuelle du site et de son entourage. Le protocole Lucy de transformer les boues toxiques et traiter les déchets qui sera financé à hauteur de 90 millions par Bercy n’est pas acceptable pour les autochtones.

Bien sûr ni Le Ministère d’Outre Mer ni Vale n’ont répondu à ces prérequis.

Le cours du Nickel, composant indispensable des aciers inoxydables et matériau de base pour les batteries des voitures électriques, est en train de se redresser. Il serait temps d’investir dans une centrale électrique de nouvelle génération, ce qui rendrait l’énergie moins onéreuse et le traitement du minerai d’un coût comparable à celui de la concurrence. 

 Soit l’usine reste au pays et qu’elle se conforme à des normes environnementales décentes, soit rien !

Nous ne pouvons qu’être aux côtés de ceux qui revendiquent leur autonomie et leur indépendance. Nous ne pouvons que rejoindre ceux qui luttent contre les gains rapides, illusoires aux dépens de l’indépendance et au mépris de l’environnement.