La France et la question du “chaos”

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La France et la question du “chaos”

Constatons d’abord deux points qui nous paraissent avérés : 1) depuis Sarko et son évolution 2009-2011 (réintégration de l’OTAN et intervention en Libye), la France a changé de politique fondamentale, ou, plus exactement, est passée d’une “politique fondamentale” héritée du gaullisme (avec bien des dégradations, certes) à une anti-“politique fondamentale”, — ce qui est façon d’avoir tout de même une politique en choisissant son inversion ; et 2) depuis 9/11, la France n’a jamais débattu des aspects expéditionnaires et bellicistes (disons neocons, pour faire vite) : dans le cas de l’Irak, elle suivit sans débat la position antagoniste des USA de Chirac-Villepin, dans le cas de la Libye elle suivit sans débat Sarkozy, dans le cas du Mali elle suivit sans débat Hollande. L’affaire syrienne impose d’autres conditions, qui commencent à apparaître.

Il s’agit d’une évolution forcée par les événements, et nullement le signe d’une quelconque sagesse revenue, d’un réveil quelconque. Il s’agit d’une obligation structurelle parce que l’affaire syrienne est machinée par les maîtres de la communication-Système et cœur du Système (Washington), qui sont partie prenante et dirigeante, et qu’elle a donc nécessairement un énorme écho de communication répercutant particulièrement les chaos et les avatars de la phase paroxystique actuelle, qui sont le caractère dominant du processus. La France étant, comme le reste du bloc BAO, complètement “américanisée”, ce qui est une formule spécifique nouvelle depuis 2008 (ce n’est plus l’américanisation d’antan) pour indiquer une complète captation par le Système, elle l’est encore plus que les autres puisqu’elle met toute sa vaste intelligence dans l’accomplissement de ce destin indigne. D’où, au gré des circonstances qu’on connaît, nécessairement marquées par l’habituelle complète indifférence du centre-Système washingtonien pour les répercussions vers leurs poodle divers des décisions qui y sont prises, la France a épousé la cause maximaliste jusqu’à “prendre la place”, – ah, le bon élève, – des Britanniques défaillants aux côtés du centre ; cela pour se retrouver, bec et ongles bellicistes dans l’eau, avec le volte-face d’Obama du 31 août. Hollande-poire étant singulièrement doué pour cela, il en est résulté une position marquée par le ridicule d’un suivisme exacerbé soudain éclairé pour ce qu’il est, – un asservissement aveugle, où l’intelligence française se trouve complètement invertie dans son double négatif. La caricature était immanquable du président-poire harnaché et prêt au combat, stoppé dans son élan, attendant non plus les ordres du président dans son bureau ovale, mais le vote du Congrès qui conduirait aux ordres du président dans son bureau ovale, sans savoir d’ailleurs quels ordres puisque le président dans son bureau ovale pourrait bien décider d’y aller même si le Congrès dit “non” (ce qui est vraiment possible)... C’en est trop, l’indignité le cède au ridicule.

Effectivement, le ridicule est venu de soi, activé par ce qu’on nomme l’“esprit frondeur” des Français, encore plus français dans le chef des élites, par ailleurs asservies au “parti de l’étranger” comme de coutume, que la baguette et le béret pour le bon peuple. On parle par clichés et lieux communs si souvent employés par les amis anglo-saxons lorsqu’il s’agit de la France, parce que la France est effectivement réduite aujourd’hui aux clichés et aux lieux communs. Tout cela est infiniment dérisoire, et pourtant tout cela donne des effets qui pourraient bien ne pas être dérisoires du tout. Ainsi progresse-t-on éventuellement dans cette époque infiniment dépenaillée, en faisant avec la bouillie pour les chats que produit avec enthousiasme l’esprit du temps.

L’hebdomadaire Marianne est un bon exemple de cette évolution forcée par les événements. Marianne tient une place importante dans le monde parisien de ce qu’on persiste à nommer “débat intellectuel” ; nettement à gauche, anti-sarkozyste forcené au temps où c’était d’actualité, soutien de plus en plus critique de Hollande, jusqu’à friser une position d’opposition... Marianne a pris position contre l’intervention en Syrie, et il l’a prise avec toutes les précautions afférant à l’esprit conformiste de la pensée occidentale. Là aussi, la dérision n’est pas absente. Là aussi, il n’empêche, et c’est cela qui nous importe, que la chose peut déboucher sur des développements importantes, sans que personne ne se soit aperçu de rien, ni n’ait rien voulu dans ce sens, – simplement par ignorance de la hauteur des enjeux.

Un texte de Maurice Szafran, qui dirige la rédaction de Marianne, le 2 septembre 2013, résume l’évolution dont nous parlons. (D’autres textes sont publiés dans le même sens dans cet hebdomadaire, comme celui du 28 août 2013 qui attaque “les petits soldats de la guerre médiatique”, les intellectuels-combattants sans mégoter le courages de leur plumes, bellicistes, neocons a-la-parisienne, avec bien sûr BHL en étendard claquant dans le vent qui rend parfois périlleux de traverser le boulevard Saint-Germain hors des clous. De tels textes montrent que l’engagement de Marianne est concerté, structuré, bref qu’il constitue un acte de politique générale du journal, et une indication qu’il y a bien débat désormais dans la douce France, et débat en passe de devenir majeur à mesure que le “chaos contrôlé” qui l’est de moins en moins se poursuit.)... Voici ce qu’écrit Szafran, à propos d’un Harlem Désir, secrétaire général du PS. C’aurait pu être Tartempion mais non, c’est Désir, et c’est encore mieux.

«Les partisans de l'intervention militaire en Syrie [dont nous ne] sommes pas – rappelons-le – ne manquent pas d'arguments. Nous n'en ferons pas ici la recension car ce n'est pas le propos, mais chacun d'eux mérite à coup sûr discussion et expertise. Quand l'ex président de Médecins Sans Frontières, Rony Braumann, jusque là hostile à toute intervention de ce type, se déclara en faveur de frappes contre Assad et son régime, on ne peut évidemment que réfléchir et s'interroger.

»Et cela fait quelques jours qu'un débat contradictoire et démocratique semble enfin s'engager : ce week end, Jean-Pierre Chevènement s'est exprimé dans Le Parisien tandis que François Bayrou et Hubert Védrine s'expliquaient dans les colonnes du Journal du Dimanche. Enfin des voix discordantes, différentes, détonantes. On peut être d'accord, pas d'accord, approuver, s'agacer. Au moins Chevènement, Bayrou et Védrine nous incitent-ils à la réflexion. C'était compter sans l'intervention de... Harlem Désir...

»Qu'a-t-il dit au juste, le chef du Parti Socialiste, le parti qui gouverne la France, il n'est pas inutile de le souligner? Que les quelques leaders et grandes voix de l'opposition ayant l'audace de s'interroger sur la pertinence d'une intervention en Syrie – Valéry Giscard d'Estaing par exemple – sont des “munichois”, c'est à dire des lâches, des pétainistes potentiels, des collabos en devenir. On pourrait (il faudrait?) se contenter de mépriser cette sortie, de n'en pas tenir compte, de se contenter d'un coup de patte : pour une fois que Désir se fait remarquer, il ajoute le contresens historique à l'insignifiance politique. Eh bien non, pas cette fois!

»Ras-le-bol de diaboliser le contradicteur en utilisant sans le moindre remords les mots qui tuent, les mots qui discréditent, les mots qui interdisent la réflexion. Des mots évidemment puisés dans le vocabulaire de la IIème guerre mondiale, des mots chapardés à la lutte antifasciste, anti pétainiste, antinazis : Dominique de Villepin serait “munichois” parce qu'il estime que des frappes sur la Syrie seraient contre-productives? Mais une telle accusation est intolérable. Et dégueulasse au sens littéral du mot.»

... Bien, voilà donc Marianne-de-gauche accusant le socialiste Désir d’être “dégueulasse” parce qu’il attaque indirectement avec l’insulte absolue du terme “munichois” le libéral de centre-droit Giscard et le souverainiste de droite Villepin ; donc voilà Marianne-de-gauche défendant, nolens volens mais plutôt nolens que volens, le libéral de centre-droit Giscard et le souverainiste de droite Villepin. On comprend donc qu’il y a bien débat, et débat certainement s’organisant de lui-même, par “la force des choses”, selon des normes qui échappent au rangement-Système à-la-française (gauche, droite, bla-bla-bla), selon des normes qui renvoient aux conditions qu’impose le Système ainsi mises à découvert, hors des faux-semblants. Tout cela sans que le phénomène soit voulu, ni même identifié, mais qu’importe puisque le phénomène est là.

Qui plus est, la vertu parisienne aidant, le débat évite soigneusement d’être de parti-pris : pour ou contre Assad, qui reste cet incommensurable boucher. (Mais l’on suggère chez certains, et chez Marianne notamment, que les adversaires d’Assad, qui massacrent et font même des exercices d’anthropophagie, ne valent guère mieux.) Par conséquent, évitant les écueils de la polémique, le débat s’attaque à la question générale, qui pourrait devenir la question principielle de l’intervention elle-même. Pour l’instant il s’agit de débattre pour ou contre l’intervention, principalement au nom de l’analyse concernant les conséquences, dramatiques sinon catastrophiques ou pas, de l’intervention. Effectivement la question n’est pas encore sur le principe de l’intervention, donc pas encore “principielle”, mais elle n’en est plus très loin. Même si, une fois encore, les causes d’une telle démarche ne sont pas nécessairement glorieuses, qu’importe la démarche a lieu.

Ce qui nous importe pour l’instant, nous référant au F&C de ce même 4 septembre 2013, c’est bien davantage l’hypothèse de l’extension du domaine du “‘chaos contrôlable’-devenant incontrôlable” que la résurrection de la “France éternelle“ et de la Grande Nation de concert. Les signes relevés plus haut n’annonce pour l’instant rien de cohérent, et surtout pas l’incurvation d’une politique qui correspond tellement bien à la hauteur de vue et à la grandeur d’esprit de la bande actuellement au pouvoir pour qu’on puisse songer à y toucher. Ce qui nous importe, c’est bien de voir l’affaire syrienne forcer les portes d’une France autant parisienne qu’américanisée type-Système, et s’imposer comme débat, – et non pas la Syrie religieusement acquise à l’esprit public façon neocon comme ce fut le cas de la Libye. C’est bien ce que nous entendons par nos suggestions de développement du chaos au sein du bloc BAO en fonction du développement du chaos de la crise syrienne dans sa phase paroxystique, c’est-à-dire le chaos constant des pays du bloc BAO qu’on croit contrôlé et contrôlable, et qui, soudain, se découvre une velléité d’incontrôlabilité qui pourrait nous mener loin.


Mis den ligne le 4 septembre 2013 à 10H36