La découverte de l’Amérique

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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La découverte de l’Amérique

1er octobre 2020 – ... Ou bien “la (re)découverte de l’Amérique” ? Finalement non. Ce n’est pas l’Amérique qui a changé et qu’on redécouvre, mais bien l’Amérique poussée à son extrême et qui nous apparaît telle qu’elle-même, en majesté, – ou plutôt et pour être plus justes, ‘en obscénité’ et ‘en barbarie’.

C’est cela et rien d’autre qu’ils ‘découvrent’, Christophe Colomb de la modernité, avec le supplément effrayant qu’il s’agit de notre modèle bien-aimé, que nous imitons depuis tant de temps, et que nous-mêmes, finalement, sommes de cette même sorte et de cette même eau... “Bloc-BAO”, Système, nous y sommes et nous en sommes ! Le compte y est, tout le monde est à bord du Titanic.

Je veux dire, plus simplement après cette introduction tonitruante, que le débat entre les deux brutes a révélé à tous les amis où en est l’Amérique en vérité. Toute notre classe des élitesSystème a pris en pleine figure, sans aucun ménagement et au rythme des insultes de Biden-Trump et des injures de Trump-Biden cette affreuse vérité ; le spectacle de l’horrible duel et du terrible affrontement leur révèle que non seulement la vérité-de-situation est catastrophique, mais qu’en plus elle s’effondre en cascade vers une catastrophe plus grande encore. Je prends à témoin une conversation de commentaire très parisien, qui fut exemplaire à cet égard, une émission du programme ‘C dans l’Air’  (celui du 30 septembre sur TV5) qui avait pour cette fois troqué le Covid pour un USA2020 pas piqué des vers.

Il y avait du beau monde dans le genre experts-hagiographe des USA, dont l’extrême du domaine avec l’impressionnante Nicole Bacharan, la plus titrée de nos américanoSystème, la référence inévitable pour tout ce qui concerne la Grande République, lorsqu’il s’agit d’y comprendre quelque chose dans le bon sens. Celle qui avait affirmé en 2015-2016 que Trump n’avait aucune chance, qui disait le 11 septembre à la RTBF « C’est l’Amérique ou Trump. Vous ne pouvez pas avoir les deux », celle-là est venue à cette émission pour nous présenter l’avis de décès, et des Etats-Unis et de la démocratie, – c’est-à-dire des deux ensemble, c’est-à-dire notre acte de décès, le vôtre et le mien...

Car Bacharan dit justement que l’effondrement de la démocratie américaniste qu’elle juge désormais inévitable, a de fortes (mal)chances d’emporter l’effondrement du reste, si ce n’est déjà en cours. En effet, l’événement considérable qui concerne le sort de la matrice et le bras armé du Système n’est qu’un avant-goût des effets terribles et très rapides qu’il entraînera dans le reste, selon l’enchaînement des fascinations défaites et humiliées affreusement, selon cette analyse que je partage notamment avec moi-même depuis quelques si longues lunes...

« Nous l'avons déjà écrit et nous le répétons avec force : il ne peut y avoir, aujourd’hui, d’événements plus important pour la situation du monde qu’une dynamique de dislocation des USA. [...]
» La fin de l’American Dream, qui interviendrait avec un processus de parcellisation de l’Amérique, constituerait un facteur décisif pour débloquer notre perception, à la fois des conditions de la crise, de la gravité ontologique de la crise et de la nécessité de tenter de chercher une autre voie pour la civilisation – ou, plus radicalement, une autre civilisation.
» L’alternative n’est pas une évolution des arrangements politiques, économique ou géostratégiques (par exemple, la Chine remplaçant les USA comme n°1, mais toujours dans le même système).  [...] L’alternative est une poursuite catastrophique de la crise vers des situations inconnues de désordre... »

Ainsi suis-je subrepticement conduit à penser, moi qui n’avais eu en vérité aucun intérêt particulier pour ce débat, ni aucune attente à cet égard, que ce débat est au contraire d’une réelle importance à la fois symbolique et de communication, en ceci qu’il les oblige, non seulement à voir avec leurs propres yeux mais bien plus, à regarder la vérité-de-situation du monde avec le regard intense qu’impose la fureur de la métahistoire déchaînée. Il est désormais très possible que ce “combat de chiens” (dogfight) les force à admettre qu’existe bien, et même fort bien, cette possibilité de l’effondrement de ‘notre-Amérique’ avec le reste suivant. Ils n’y comprendront rien pour autant ni n’acquerront la moindre lucidité pour le compte, cela ne les rendra nullement plus indépendants ni libres d’esprit. Je m’en tiens au choc souterrain, dissimulé, qu’essuie ainsi leur psychologie, mais je m’y tiens parce qu’en vérité c’est la chose essentielle dans cette circonstance. C’est notre psychologie elle-même, de l’intérieur de nous-mêmes, qui va être bouleversée, qui est déjà bouleversée sans que nous y prenions garde.

Ils ne le savent pas encore et d’ailleurs il importe peu qu’ils le sachent, mais pour eux rien ne sera plus jamais comme avant. Le dogfight Biden-Trump a commencé à éteindre les Lumières de la modernité. Bientôt, il fera sombre et l’ombre commencera à envahir la scène de ‘la société du spectacle’, cette société à irresponsabilité illimitée, où ils avaient l’habitude de se rassurer en voyant le show du fameux et infâme Buffalo Bill capturer au lasso son pote Sitting Bull  assis sur le dernier bison de cette triste aventure de pacotille...

Occupé à ses diversités racisés et à ses quotas genrés, Hollywood ne sait plus ce qu’est un Happy End.