La CIA ? Faisons un rêve...

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La CIA ? Faisons un rêve...

10 décembre 2017 – On a lu récemment quelques précisions sur une proposition qui serait soumise au président Trump d’une sorte de “CIA privée” doublant la vraie CIA, et, pourquoi pas, ambitionnant de la remplacer. Les deux personnes impliquées du côté de cette “proposition sont Erik Prince, créateur de la société de services sécuritaires Blackwater/Academi, et Oliver North, héros interlope de l’Irangate de 1986. Il y a deux aspects bien distincts, et aussi importants l’un que l’autre, qui caractérisent cette proposition, – quelle qu’elle soit, quels que soit son sérieux, son sort, etc. Ces deux aspects sont également des facteurs marquant, sinon essentiels, de la situation actuelle aux à Washington, alias “D.C.-la-folle”.

• D’une part, le jugement presque explicite et dans tous les cas implicitement évident, que la CIA, et d’une façon générale ce qu’on nomme à Washington la Communauté du renseignement (Intelligence Community, IC) s’opposent frontalement au président Trump. Cet ensemble, avec la CIA comme fanion, est en général présenté comme le bras armé du DeepState “pour avoir la tête de Trump”, – ce qui n’est pas nécessairement exact et dans tous les cas qui est contesté, on le verra plus loin.

• D’autre part, l’appréciation puissante et extrêmement déstabilisatrice, voire déstructurante, que l’on peut créer un service de renseignement national entièrement privé, que le cœur du cœur de la sécurité nationale peut être entièrement confié à des mains et à des esprits n’ayant aucune obligation d’allégeance et de loyauté à la puissance publique. Là aussi, on peut discuter la radicalité du jugement selon certaines dispositions qui pourraient être prises dans ce type de situation, et même selon le jugement a contrario de l’extrême pauvreté de l’obligation d’allégeance où sont tombés dans une époque aussi dévastée que la nôtre les officiers du services publics, surtout aux USA. Mais il s’agit comme l’on dit d’“une question de principe”, et le principe lui-même (confier la sécurité d’une nation à des intérêts privés) est effectivement mis en évidence et l’attaque contre lui indéniable.

Il était donc normal que cette “proposition” agite les milieux de la communication et de la sécurité nationale malgré la sensibilité du thème abordé, notamment celui de l’affrontement entre le président et le DeepState. Il y a donc eu des questions adressées à la Maison-Blanche, et des réponses de cette même Maison-Blanche, notamment des réactions officielles après la parution des premiers articles sur le projet Prince-North. The Intercept, notamment, en rend compte avec l’intérêt qu’on devine puisque c’est ce site qui a dévoilé le plus en détails cette affaire.

« La porte-parole de la Maison-Blanche n’a pas contesté directement la révélation selon laquelle le fondateur de Blackwater, Erik Prince, et l'ancien personnage central du scandale de l’Irangate, Oliver North, avaient présenté un plan pour développer un réseau d'espionnage privé aux membres de l'administration Trump. Le plan, détaillé dans un article de The Intercept, est de développer un réseau de renseignement privé pour contrer les ennemis perçus comme “profonds” dans les rangs du gouvernement. Prince a nié le rapport, et North n'a pas répondu à la demande de commentaires de The Intercept.

» “Je ne suis au courant d'aucun plan pour quelque chose de cette définition ou quoi que ce soit de similaire en ce moment”, a déclaré la porte-parole et secrétaire de presse de la Maison Blanche, Sarah Huckabee Sanders, en réponse à une question de Major Garrett, de CBS News. Garrett a demandé si le président Donald Trump “s'opposerait” à un réseau d'espionnage extérieur agissant en son nom. Sanders a dit qu'elle n'était pas au courant.

» Garrett a demandé à Sanders de confirmer si un fonctionnaire de l'administration avait été informé d'un tel réseau. “Je ne vais pas répondre à une hypothèse hasardeuse. Est-ce qu'une personne au hasard des circonstances s’est présentée et a dit quelque chose ? Je ne sais pas ”, a déclaré Sanders. Finalement, Garrett a demandé si c'était une idée que Trump envisagerait. “Encore une fois, je ne lui ai pas demandé, mais ce n'est pas quelque chose qui est actuellement dans le travail courant”, a répondu Sanders.

» Un responsable de la Maison Blanche a ensuite déclaré à la journaliste du New York Times, Maggie Haberman, que la proposition avait bien été présentée à l'administration Trump, mais rien n'indique que le président lui-même en ait été informé. Un responsable de la Maison Blanche a également confirmé à CNN que le plan avait effectivement été envoyé à la Maison-Blanche, ajoutant que “cette idée ne mène nulle part”. »

Cet incident, qui n’est pour l’instant pas terminé, met l’accent sur les conflits actuellement en cours autour de la CIA, dont on sait la place importante que l’analyse générale lui assigne dans la bataille et le désordre qui caractérisent aujourd’hui le pouvoir de l’américanisme, à Washington D.C. D’une façon générale, et c’est la première interprétation qui est donnée à la proposition Prince-North, on place la CIA dans le champ de la bataille politique qui est synthétisée par la formule “le DeepState contre Trump”, ou dit plus lestement “le DeepState veut la peau de Trump” ; la bataille est loin d’être aussi simplement politique, et la formule loin d’être aussi simple. De même, les positions sont loin, très loin, d’être définie selon ces seuls paramètres.

(Ne serait-ce que pour prendre cet exemple : la position de Trump est loin d’être claire et en faire, soit un simple adversaire, soit un simple prisonnier du DeepState est loin de résoudre le problème. Trump est un personnage assez insaisissable et incontrôlable pour recommander la prudence dans la réponse à envisager.)

Plus encore, et pour en venir à la seule CIA, il est très possible que le problème qui est posé par les remous en cours autour d’elle soient effectivement d’ordre politique, mais qu’une importante querelle de type méthodologique, technique et bureaucratique, autant qu’indirectement politique, soit également abordée, – et d’ailleurs avec ces deux aspects liés. (La question de la privatisation impliquée par la proposition Prince-North est elle-même à plusieurs composants, de la même façon.) C’est ici que nous faisons intervenir le texte autour duquel s’articule notre propos, qui est un article de Robert David Steele publié le 6 décembre 2017, sur le site Veterans Today. (En traduction/adaptation sur ce site, ce 10 décembre 2017.) Cet article, qui condamne absolument la proposition Prince-North, le fait aussi bien, sinon plus du point de vue méthodologique et bureaucratique, que du point de vue politique.

D’abord, qui est Robert David Steele ? La question n’est pas sans intérêt. Il s’agit d’un ancien officier de la CIA qui a beaucoup roulé sa bosse, et qui est principalement le promoteur de l’idée que le travail sur les “sources ouvertes” (Open Source Intelligence, ou OSINT dans le jargon de la IC) est aujourd’hui fondamental et nettement supérieur au travail classique des “sources classified. Steele accuse la CIA d’avoir systématiquement, non seulement écarté cette orientation, mais de l’avoir sabotée pour garder l’exclusivité du renseignement puisque, par définition, le travail OSINT peut être effectué par n’importe quel organisme bien agencé qui n’a nul besoin de disposer de tout l’appareil ni de toutes les structures “classified” de l’agence pour ce faire.

On donne ci-dessous le Curriculum Vitae de Robert David Steele tel qu’il accompagne l’article. On peut le compléter avec le Wikipédia en notant que l’encyclopédie de l’internet ne manque pas d’ajouter une petite touche de complotisme extrêmement récente et particulièrement exotique sinon complètement bouffe, – mais enfin et après tout, correspondant à l’époque folle que nous vivons : « Lors d’une intervention comme invité du Alex Jones Show, sur Infowars.com en juin 2017, Steele affirma : “Cela frappera certainement vos auditeurs en leur faisant croire à une bizarrerie mais nous croyons en fait qu’il y a une colonie humaine sur Mars. Elle est peuplée d’enfants kidnappés et envoyés dans l’espace pour un voyage de vingt années, et n’ayant d’autre alternative que de devenir des escqlaves dans cette colonie sur Mars.” Peu après, un porte-parole de la NASA publia un démenti affirmant “Il n’y a pas d’êtres humains sur Mars.” » Il n’est pas certain que cette curieuse intervention, suivie d’un aussi curieux démenti de la NASA concernant le peuplement de la planète Mars, apporte beaucoup au crédit de notre auteur, sinon en “expliquant” (?) sa tendance à mentionner dans ses dénonciations de l’establishment washingtonien la présence de réseaux de pédophiles comme un des aspects criminels importants (en cela, rejoignant les divers “scandales sexuels” en cours aux USA, aussi bien que diverses accusations lancées contre les milieux où évoluent le couple Clinton et ses divers satellites).

Quoi qu’il en soit, le CV de Steele pour le reste est assez solide, y compris “en sources ouvertes”, pour nous conduire à lire et méditer ce qu’il écrit lorsqu’il parle de la CIA, du renseignement et de la proposition Prince-North... Voici donc le CV figurant avec son article :

« Robert David Steele est un ancien espion récemment recommandé pour le Prix Nobel de la Paix. Il est le fondateur de la méthodologie Open Source Intelligence et également l'auteur du Manifeste Open Source Everything [utilisation systématique et traitement de toutes les “sources ouvertes” accessibles]. Il a proposé au Président Donald Trump une agence Open Source qui ouvrirait une période post-Google Internet qui ne pourrait pas être censurée ou manipulée, tout en connectant directement le président à chaque électeur directement. Il est le meilleur critique d'Amazon pour les ouvrages de non-fiction, avec accès dans 98 catégories. Il a accompli six tours d’opération à la CIA, trois à l'étranger et trois dans le contre-espionnage, des opérations d'information avancées et la planification technique à terme des satellites, et il est diplômé du “War College” de la CIA sanctionnant les carrières à mi-course dans l’agence. Il a été le principal civil architecte et formateur en 1988-1993 du service de renseignement complémentaire du Corps des Marines officiellement installé en 1987, le MCIA (Marine Corps Intelligence Activity) ; il a démissionné du service public en 1993 lorsque la CIA a exigé que le Corps des Marines ferme son cycle de conférences internes Open Source. En tant que citoyen privé, il a parrainé vingt tours de conférences internationales formant plus de 7500 officiers à mi-carrière, et a publié l'essentiel du travail original d'OSINT de 1992 à 2006. »

OSINT, l’outil de notre résistance

Peu nous importe le jugement d’apparence et d’exigence morales que certains seraient conduits à porter sur le personnage, du moment que le problème central abordé par Steele est objectivement d’une importance que nous jugeons capitale. C’est bien sûr le problème de la “privatisation” du renseignement implicite dans la proposition Prince-North, – et que Steele repousse et rejette avec horreur, – mais c’est surtout le problème de l’opposition que Steele expose entre l’OSINT-“sources ouvertes” et le renseignement classique et secret.

Nous partageons sans aucun doute, objectivement et sans aucun jugement sur le personnage et ses méthodes, l’essentiel du jugement de Steele selon lequel les “sources ouvertes” d’aujourd’hui, si elles étaient exploitées avec la méthodologie nécessaire, nous donneraient plus, beaucoup plus que tout ce qui nous est donné par le classified, et surtout plus, beaucoup plus juste, beaucoup plus réel, beaucoup plus proche de la vérité. Une autorité s’informant selon la notion OSINT et selon une méthodologie qualitative adéquate (expérience, connaissance de la valeur des sources sur la durée, intuition, culture pour nourrir l’interprétation de ces sources, etc.) ne pourrait pas soutenir la position partagée par tous les pays du bloc-BAO, notamment sur les crises syrienne et ukrainienne, avec le déterminisme-narrativiste qui va avec...

(Cela, en acceptant l’idée qui est absolument nôtre, qu’il n’y a pas, au cœur de l’attitude de ces pays, anti-Assad et antirusse, une démarche volontaire et cynique de tromperie c’est-à-dire avec la connaissance de la vérité-de-situation dans tous ces cas. C’est là, pour nous, une conviction essentielle : au départ, il y a cette croyance “sincère” anti-Assad et antirusse, même si, ensuite, on se trouve acculé à refuser et à récuser contre tout bon sens des évidences, à dissimuler et à déformer sauvagement des vérités, parce qu’on est justement pris dans l’engrenage du déterminisme-narrativiste. De là, des tensions psychologiques souvent insupportables, occasionnées par le “mensonge forcé”, ou mensonge auquel on est obligé de croire, qui induit à un dérèglement psychologique, une véritable pathologie et ainsi de suite. On voit les signes de ce déséquilibre psychologique partout aujourd'hui dans le fonctionnement et les situations de nos directions politiques.)

La question implicite que pose Steele est finalement celle-ci : le domaine “secret-classified” n’est-il pas en vérité, non pas une garantie de la qualité des informations de ceux qui l’utilisent, essentiellement la CIA pour ce cas, mais un moyen de tromperie qui permet de dissimuler le développement d'une politique propre aux souhaits de la bureaucratie, aussi bien que les erreurs et les conséquences désastreuses qui en découlent ? Aujourd’hui, cette sorte de question peut être posée, avec la réponse absolument évidente.

(Steele mentionne, en la prenant à son compte, l’évaluation de l’utilité des informations transmises par la CIA et le reste de la Intelligence Community pour les “opérationnels” que donne le général du Corps des Marines Zinni, qui commanda Central Command à la fin des années 1990 : « La CIA et le reste de la IC produisent “au mieux” selon le Général du Corps des Marines à la retraite Tony Zinni (ancien chef de Central Command), 4% de ce dont le Président et les principaux commandants de zone ont besoin... »)

Ces réflexions brouillent évidemment les positions qu’on pensait assurées des uns et des autres. Steele, qui vient de la CIA, qui décrit l’état actuel catastrophique des choses, qui nous dit qu’il veut lui aussi « absolument sauver la CIA », développe sa vindicte contre l’actuelle situation de l’agence, contre toute tentative de la privatiser, etc., mais n’en fait en aucun cas “le bras armé du DeepState. Ce “privilège” est, selon lui, réservé au NSC ; on observera que cela serait plus logique puisque le NSC est “le gouvernement de sécurité nationale” personnel du président et qu’il n’y a pas de meilleur moyen de le surveiller, et même de le tenir, que d’investir son “gouvernement personnel”... (A cette lumière, l’élimination du Général Flynn, qui dirigea le NSC pendant trois semaines avant de démissionner en février 2017, prend toute sa signification.)

Steele : « Michael Barry, récemment nommé directeur principal des programmes de renseignement du Conseil de sécurité nationale (NSC), devrait suivre Herbert McMaster si et quand le président reconnaîtra que le NSC est l'agent de l'État profond à la Maison-Blanche. Le président doit abolir le NSC et le remplacer par un groupe consultatif sur la stratégie (SAG). »

Au contraire de vouloir détruire “sa” CIA, Steele veut en vérité l’élargir considérablement en la réformant en profondeur et en liquidant d’autres agences (NSA, NRO, NGA), et en lui transférant leur part de travail qui présente une certaine efficacité. Son article est donc également une proposition de réforme structurelle radicale de l’agence, avec la reconnaissance explicite que la CIA est la cause centrale de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” (la “politiqueSystème”) profondément destructrice et semeuse de chaos que suivent les USA depuis très longtemps, sans doute depuis bien plus d’un siècle sans qu’on l’ait nécessairement identifiée et définie comme telle, et d’une façon ouverte qui dresse le monde contre eux depuis le 11 septembre 2001.

... Conclusion à ce point où nous pouvons mesurer l’immensité quasiment sidérale de la tâche que Steele recommande : “réformer la CIA” ? “Faisons un rêve”, disait Sacha et tout est dit.

Pour autant et pour le reste, la réflexion plus large de Steele concernant l’information “en sources ouvertes” est extrêmement intéressante et très fondée, et une indication de plus pour situer l’importance du réseau, de l’internet, de la presse antiSystème qui continue son travail en son sein, etc. L’actuelle vérité-de-situation est bien que nous disposons, ou disons mieux que “le public” dispose avec cette infrastructure d’une exceptionnelle potentialité de puissance de communication par rapport aux moyens de la puissance classique (moyens économiques et financiers, position politique, etc.) qui est complètement dans les mains du Système. Nous disposons effectivement d’un formidable moyen de résistance et l’évolution de plus en plus catastrophique du Système par rapport à ses moyens et à ses ambitions affichées, essentiellement depuis 9/11, est selon notre appréciation très largement due à cette résistance. L'OSINT pourrait bien être la clef et le code qui fait passer de la surpuissance à l'autodestruction... Bref, – pour nous qui faisons de l’OSINT à tout va, – attendons la chute du Système pour “réformer” la CIA, non ?

 

Note

L’article de Robert David Steele, en traduction/adaptation française, est disponible à part dans la rubrique Ouverture Libre, publié sur notre site, parallèlement à ce F&C. Cet article étant, notamment à cause de l’importance de ses notes, d’une longueur respectable, nous avons pensé qu’une séparation des deux parties rendrait le tout plus manipulable.

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