JSF à la bolognaise

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JSF à la bolognaise


27 juin 2002 — Le magazine Air & Cosmos en date du 21 juin publie, dans sa rubrique Confidentiel, des précisions sur de récents développements dans la question de l'entrée de l'Italie dans le programme JSF. Il s'agit essentiellement de la nouvelle, désormais publique, que la participation italienne au JSF sera payée par de l'argent venu du ministère de l'Industrie, au nom d'une loi qui autorise les subventions directes à l'industrie aéronautique pour des programmes européens.

« Sitôt officialisée la participation de l'Italie au JSF pour 1 Md€, le gouvernement Berlusconi s'est vu attaqué par un membre de sa majorité, le sénateur Massimo Dolazza de la Ligue du Nord. Le budget de l'Aeronautica Militare ne suffisant déjà pas à payer l'Eurofighter, le milliard nécessaire au JSF sera pris sur le budget du ministère de l'Industrie, en dehors de tout contrôle parlementaire. La méthode ? Le gouvernement va recourir à la loi 808, qui autorise les subventions directes à l'industrie aéronautique sur les programmes européens. Les subventions iront donc payer l'achat d'Eurofighter et l'argent ainsi dégagé pour l'armée lui permettra ensuite de financer le JSF. Le problème, dénonce Massimo Dolazza, c'est que, les subventions ne devant pas être remboursées, la loi 808 est illégale sur le plan international. Si en plus le gouvernement la détourne... Combinazione, combinazione. »

Présentées dans le contexte de la décision de l'Italie d'entrer dans le programme JSF, les déclarations publiques du sénateur Dolazza peuvent sembler effectivement nouvelles, et, éventuellement, être considérées comme sensationnelles (du point de vue médiatique) en raison de l'aspect « combinazione, combinazione » réputé être cher aux activités politiques italiennes. A côté de cela, il faut noter plusieurs points qui permettront de mettre cette information dans son contexte et, éventuellement, de l'apprécier de façon différente, et, peut-être, plus enrichissante.

• Le sénateur Dolazza s'emploie depuis plusieurs années à dénoncer la loi 808, qui date de 1985. Sénateur, membre de la Ligue de Nord (jusqu'à son éviction par son parti en raison notamment de ses activités contre la loi 808), il agit ainsi au nom de l'idéologie qui anime cette formation politique, qui est l'idéologie libérale. Dolazza est déjà intervenu, en séance publique au Sénat, contre cette loi.

• D'autre part, les autorités européennes ont déjà été alertées sur cette question de la loi 808, précisément au nom des questions que cette loi soulève du point de vue du respect des règles de la concurrence (qui dépend du Commissaire Monti, chargé des questions de concurrence). Quelques extraits d'un document actant une séance du Sénat (“Annexe B — Séance n°748 du Sénat du 26 juin 2000 — Actes de contrôle —Présidence du Conseil de Ministres”) détaillent une intervention du sénateur Dolazza en liaison avec cet aspect de la question.

« ... Par le biais d’un acte syndical d’inspection n° 4-19329 du 24 Mai 2000, le sénateur Dolazza déclare avoir pris connaissance du fait que le Commissaire européen à la Concurrence Mario Monti a donné des instructions à ses services afin qu’ils lancent une enquête sur la compatibilité, avec la règle communautaire en matière de concurrence, de la loi n°808 de 1985 (« Interventions pour le développement et l’accroissement de la compétitivité des industries oeuvrant dans le secteur aéronautique ») ;

» Le journal La Padania du 26 Mai 2000, page 55, publie une interview du sénateur Dolazza où celui-ci dénonce par le biais de nombreuses interrogations le fonctionnement de la loi n°808 de 1985. A la question posée par le journaliste concernant l’incompatibilité potentielle entre la gestion de la loi n°808 et les règles de concurrence en matière d’aides d’Etat, le sénateur aurait répondu : «A cette question, seul Mario Monti pourra apporter une réponse quand il parviendra au bout de l’enquête»;

(...)

» Le Président du Conseil des ministres et les Ministres interrogés savent-ils si les autres pays ont octroyé (bien avant l’Italie) et octroient encore aujourd’hui à leurs industries aéronautiques des aides d’Etat comparables, voire supérieures?

» Le Président du Conseil des Ministres et les Ministres interrogés ne seraient-ils pas d’avis de signifier au Commissaire Monti la pertinence d’élargir l’enquête aux mécanismes d’aide actuellement en vigueur dans le secteur aéronautique à la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Espagne?

» Le Président du Conseil des Ministres et les Ministres interrogés n’estiment-ils pas que le lancement d’une enquête européenne en la matière pourrait porter fortement préjudice à un secteur à haute technologie, tel que le secteur aéronautique, présent en de nombreuses régions italiennes, et sont-ils à même d’exclure la possibilité que l’initiative du Commissaire Monti pourrait pas pour le pays des conséquences négatives dans le futur sur le plan économique et de l’emploi?»

• Il semblerait enfin que le Commissaire Monti ait envoyé une lettre le 21 janvier 2002 demandant aux pays membres de vérifier si toutes les aides à l’industrie aéronautique et spatiale avaient été bien notifiées à la Commission.

A la lumière de ces diverses remarques, on constate que le problème à nouveau soulevée par le sénateur Dolazza, à l'occasion de l'utilisation de la loi 808 pour l'entrée dans le programme JSF, a en fait deux aspects : le premier est celui de la légalité de cette loi par rapport aux règles de la concurrence ; le second est celui de l'entrée de l'Italie dans le programme américain d'avion de combat JSF par l'intermédiaire d'une subvention d'État autorisée par une loi qui organise une aide de l'État à l'industrie aérospatiale en faveur de programmes européens spécifiquement identifiés comme tels.

Le premier aspect est technique, éventuellement idéologique pour ceux qui font des matières économiques une idéologie. Cet aspect-là n'a rien à voir avec la question du JSF qui est, elle entièrement politique. Effectivement, dans le cadre dévoilé par Dolazza, la question politique de l'entrée de l'Italie dans le JSF (laquelle n'a pas l'air d'intéresser le sénateur) est bien celle-ci : est-il politiquement acceptable que l'entrée de l'Italie dans un programme militaire américain, dont le développement menace l'autonomie de l'Europe et son industrie aéronautique, se fasse par un financement obtenu à partir d'une loi qui autorise des subventions d'État pour une participation italienne à des programmes aéronautiques européens ? Cette question surtout, appréciée dans l'esprit de la loi plus que selon la lettre de la loi et hors des pirouettes comptables de l'équipe Berlusconi pour faire croire que les subventions vont à l'Euromaghrébin, cette question surtout et essentiellement requiert une attention et une appréciation critiques.