John Bolton, le profil psychologique d’un temps historique

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Bolton, psychologie d’un temps historique

18 avril 2005 — Les auditions de confirmation de la nomination de John Bolton comme ambassadeur des USA à l’ONU ont commencé le 9 avril et devraient se terminer le 21 avril par le vote des sénateurs de la Commission des relations extérieures du Sénat (à moins d’une nouvelle décision d’allongement, après une première décidée à la fin de la semaine dernière). Les témoignages qui s’accumulent sont extraordinaires parce qu’ils concernent, pour la plupart et certainement pour les plus étonnants, le comportement personnel de Bolton.

(Pour toutes les informations sur cette session de la commission sénatoriale, et sur John Bolton, le site à consulter est “The Washington Note”, de Steve C. Clemons. Clemons a mené dès l’annonce de la nomination de Bolton, une campagne très efficace contre la confirmation de sa nomination, et si les sénateurs refusent d’approuver cette nomination cela sera dû pour beaucoup à Clemons.)

L’étonnant de cette affaire est que le débat ne porte pas sur les options politiques de Bolton mais, véritablement, sur son comportement personnel, ses rapports avec ses collègues et ses subalternes, ses agissements dans le travail qu’il a à effectuer, etc. Un article de Jason Vest dans “The Village Voice”, sous le titre évocateur de « Wanted: Complete Asshole for U.N. Ambassador », détaille également certains comportements de Bolton, traçant le portrait d’une brute grossière et d’un voyou. Justin Raimundo, dans sa chronique d’aujourd’hui, revient également sur le cas. On sait aussi que c’est notamment par lassitude de la difficulté de ses rapports avec lui que Condi Rice a approuvé la nomination de Bolton à l’ONU, pour le simple fait qu’ainsi il se trouverait loin d’elle.

Pour finir de nous convaincre de l’étrangeté du cas Bolton, on peut citer des extraits d’un des innombrables témoignages sur le comportement de Bolton. Il s’agit de Melody Townsel, une ancienne contractante de l’organisation du gouvernement américain USAID, qui travailla avec Bolton au Kyrgistan.

« In the late summer of 1994, I worked as the subcontracted leader of a USAID project in Kyrgyzstan officially awarded to a HUB primary contractor. My own employer was Black, Manafort, Stone & Kelly, and I reported directly to Republican leader Charlie Black.

» After months of incompetence, poor contract performance, inadequate in-country funding, and a general lack of interest or support in our work from the prime contractor, I was forced to make USAID officials aware of the prime contractor's poor performance.

» I flew from Kyrgyzstan to Moscow to meet with other Black Manafort employees who were leading or subcontracted to other USAID projects. While there, I met with USAID officials and expressed my concerns about the project – chief among them, the prime contractor's inability to keep enough cash in country to allow us to pay bills, which directly resulted in armed threats by Kyrgyz contractors to me and my staff.

» Within hours of sending a letter to USAID officials outlining my concerns, I met John Bolton, whom the prime contractor hired as legal counsel to represent them to USAID. And, so, within hours of dispatching that letter, my hell began.

» Mr. Bolton proceeded to chase me through the halls of a Russian hotel – throwing things at me, shoving threatening letters under my door and, generally, behaving like a madman. For nearly two weeks, while I awaited fresh direction from my company and from USAID, John Bolton hounded me in such an appalling way that I eventually retreated to my hotel room and stayed there. Mr. Bolton, of course, then routinely visited me there to pound on the door and shout threats. (...)

» I've learned firsthand the lengths Mr. Bolton will go to accomplish any goal he sets for himself. Truth flew out the window. Decency flew out the window. In his bid to smear me and promote the interests of his client, he went straight for the low road and stayed there. John Bolton put me through hell – and he did everything he could to intimidate, malign and threaten not just me, but anybody unwilling to go along with his version of events. His behavior back in 1994 wasn't just unforgivable, it was pathological. (...)

» I cannot believe that this is a man being seriously considered for any diplomatic position, let alone such a critical posting to the UN. »

Le cas Bolton est intéressant parce que, s’il est certes extrême, il est d’abord exemplaire d’une psychologie qui règne désormais dans les cercles du pouvoir de l’administration GW, à Washington. Des hommes comme Michael Leeden, Frank Gaffney, ou même Richard Perle chez les néo-conservateurs sont connus comme “difficiles” ; dans l’administration, Douglas Feith, le général Boykin, Paul Wolfowitz, sont également connus pour entretenir des rapports difficiles, voire pire, avec leurs collègues et subordonnés.

Rumsfeld lui-même est une personnalité particulièrement difficile, et certains lui attribuent la situation extraordinaire de l’absence de titulaires dans une moyenne de 15 à 25% des 47 postes de direction civile du ministère depuis le début de l’administration Bush. Selon l’analyste Loren Thompson, du Lexington Institute, « Rumsfeld’s operating style may also be dissuading qualified candidates for [...] Defense Department posts. Rumsfeld’s management style is too exclusionary and brusque. I’ve never seen a Pentagon that has such chronic problems filling senior political posts. Rumsfeld simply does not seem to be able to attract a cadre of political appointees who are qualified” and willing to serve ».

Ces diverses indications semblent renforcer l’hypothèse qu’il y a là un “modèle psychologique” dont Bolton est l’exemplaire extrême. Il paraît de simple bon sens d’établir un lien entre ce “profil psychologique” et la brutalité de la politique menée par l’administration GW, son cynisme, l’usage sans vergogne du mensonge et du montage, enfin le déguisement conformiste extraordinaire de discours utopiste marquant pourtant un but complètement théorique qui existe réellement pour ces psychologies exaltées. Ce lien entre ces psychologies, les méthodes brutales et l’utopie des buts affichés, est une caractéristique d’une époque, d’un temps historique, où la communication permet effectivement à l’invective et au conformisme de prendre le pas sur la réflexion libérée. Comme on l’a vu dans le cas de Rice par rapport à Bolton, effectivement les psychologies exaltées et brutales prennent le pas sur les autres, qui suivent la radicalisation des premières par conformisme, de crainte d’être dénoncées si elles ne le font pas, etc.

Bien entendu, si le conformisme washingtonien n’exerçait pas sa véritable terreur, la nomination de Bolton n’aurait pas une seule chance, elle n’aurait même pas été envisagée. L’intéressante question posée est de savoir si ce conformisme sera vaincu par l’énormité, le cynisme et la brutalité du personnage de John Bolton.