Israël et l’Arabie, une solitude angoissée et partagée

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Israël et l’Arabie, une solitude angoissée et partagée

Il y a aujourd’hui deux thèses concernant Israël : Israël plus machiavélique que jamais, maître du jeu d’une certaine façon, qui profitera sans aucun doute des remous formidables qui secouent le monde arabe, – on pense à la Syrie, mais il faut aussi penser au reste, notamment à l’Egypte. La thèse inverse est qu’Israël, face à cet immense tourbillon, est de plus en plus mal à l’aise, inquiet, angoissé. Ces thèses sont des analyses générales, qui ne peuvent s’arrêter à un point de détail (par exemple, le Mossad collaborant avec le bloc BAO en Syrie, contre Assad) qui ne serait que tactique. Nous parlons d’une perception générale, à la fois stratégique, politique et psychologique.

…Depuis le premier jour, disons depuis la chute de Moubarak que les Israéliens observèrent avec angoisse, nous sommes tenants de la deuxième thèse. Nous pensons qu’Israël déteste la déstabilisation et le chaos dans et autour de son espace stratégique, quelle que soit l’orientation de l’une et de l’autre, parce que sa politique maximaliste, unilatéraliste, ennemie de tout compromis, sa politique de force systématique, accentuées ces dernières années en s’appuyant sur le soutien des USA eux-mêmes lancés dans ce même activisme, ont prodigieusement accentué l’illégitimité de la position de ce même Israël au Moyen-Orient, et donc sa fragilité et sa vulnérabilité aux pressions extérieures. Malgré toute l’arithmétique électoraliste et la bénédiction de sondages qui illustrent plus une impasse qu’une adhésion, malgré le formidable appareil de communication et d’influence dont elle dispose, l’actuelle direction israélienne présente une illégitimité et une fragilité similaires s’exprimant dans le caractère et la psychologie de la paire Netanyahou-Barak. La vulnérabilité psychologique d’Israël au mouvement dit du “printemps arabe”, qui est un pur mouvement de déstabilisation, de déstructuration et de dissolution, est un motif d’angoisse objectif dans le chef de cette analyse. L’on doit y ajouter une dimension d’incertitude et d’instabilité intérieure, de plus en plus présente en Israël, qu’il s’agisse de la corruption, des pressions des groupes juifs les plus extrémistes, des troubles sociaux, des désaccords publics entre l’appareil de sécurité nationale et les dirigeants “messianiques” type Netanyahou…

Russia Today présente, le 17 juin 2012, une interview du professeur Uzi Rabi, directeur du Centre Moshe Dayan sur le Moyen-Orient, à l’université de Tel Aviv. Le point essentiel est simplement la paralysie d’Israël dans un mouvement de maelström qui affecte toute la région, et un retour aux années 1950, fondatrices du pays dans une atmosphère de camp assiégé par les remous autour de lui, – mais avec quelle différence dans l’allant de la psychologie et la fermeté du caractère ! Avec quelle différence, également, dans l’homogénéité et la confiance intérieure d’un Israël qui jouait alors à paraître “socialiste” (l’expérience des kibboutz)...

«“Israel cannot influence nor do something with that ever-changing region now on top of the Arab Spring. I think that Israel is confused. Israel just has to come up with a kind of strategy or at least a set of tactics on how to deal with this new situation. Basically it has become a much more difficult Middle East for Israel because Egypt and Turkey – one-time friendly and staunch supporters of Israel and the West in the region – are not there anymore,” [Uzi Rabi] said.

»The confusion is evident in Israeli government’s attitude towards Syria. Syrian President Bashar Assad may not be as good a friend of Israel as former Egyptian leader Hosni Mubarak was. Nevertheless, Israel enjoyed years of a pretty-much silent Golan Heights on border with Syria. Now the country is in turmoil, with the government likely to fall in a matter of a year, expects Professor Rabi. “This is a state that could easily become what we call a failed state, which means a state that cannot control all of its territory, and more often than not you have some flanks or regions that are becoming no-man’s lands. We had had it in Libya already after the toppling of Gaddafi,” he said.

»“Al-Qaeda and other radical groups are capitalizing on that kind of a situation. And wherever you have a weak central state – and this is exactly the kind of a by-product of the toppling of a dictator – we are going to have a bunch of power centers,” the researcher added. The lack of stability in the region pushes it backwards in terms of security and diplomacy, from the Israeli point of view Rabi said. “Israel will find the Middle East as a kind of an area where you can’t think of a comprehensive peace as was the case before, but you just try for having what I would call interim or partial agreements. I think that we are getting back to 1949 or 1950s, when nobody talked about peace,” he explained.»

• Cette vision si pessimiste ne peut être que confortée par la nouvelle venue indirectement de Riyad, de la mort du Prince héritier Nayef, âgé de 79 ans. PressTV.com a interrogé plusieurs experts, ce 17 juin 2012, sur la situation en Arabie Saoudite, avec ce décès qui intervient dans une situation de luttes d’influence et de compétition stériles pour le pouvoir au sein de l’innombrable famille royale, dans une situation intérieure extraordinairement volatile, et alors que l’Arabie est engagée dans une action extérieure de déstabilisation extrêmement puissante et risquée (en Syrie). Il y a notamment ces observations de Zayd al-Isa, expert de nationalité britannique et d’origine irakienne…

»[Nayef] was one of the masterminds of sending the Saudi troops to invade, occupy… Bahrain. He also was instrumental in playing a role in destabilizing, derailing and ultimately dismantling the political process in Iraq. He basically will leave a power vacuum or a power void which is very hard to fill.” […] “Basically the main idea is that there is a fierce, intense contest between various princes within the royal family… They are still holding onto power and they are actually getting more desperate as they are getting older”… The political analyst added that the “situation now is highly volatile and is highly precarious.”

»[T]he death of Nayef “comes as a shock because it comes… even before the so-called royal family had a chance to sweep all their differences under the carpet.” “It is very important to point out that the loss of Nayef at such a highly critical moment is extremely perilous to the regime because Nayef played a major if not a pivotal role in running the security show both internally and externally.”»

D’une certaine façon, la similitude est grande entre l’Arabie et Israël. L’Arabie se sent, comme Israël, solitaire et menacée, à la fois par les turbulences du “printemps arabe” qu’elle hait en substance pour sa potentialité révolutionnaire et comme une pandémie expansionniste, à la manière d’un virus ; à la fois par ce qu’elle perçoit dans le chef de ses “alliés” les plus proches. (On connaît la célébrité, par sa diffusion massive sur Internet, de la fameuse intervention du Premier ministre du Qatar Sheikh Hamad bin Jassem Al Thani [voir le 29 décembre 2012], affirmant que le Qatar pourrait bien arracher une bonne partie appétissante de l’Arabie pour la soumettre à sa propre loi, et proférant en sus quelques avis sur la substance absolument vermoulue de la corruption de la maison des Saud. L’authenticité du document a été contestée parce qu’il fait désordre dans la vertueuse coalition anti-Assad, mais on ne prête qu’aux ambitieux et la logique des situations en cours de détérioration accélérée nous suggère de nous y tenir, certainement dans l’esprit.)

D’une certaine façon, leur agressivité presque commune (d’Israël contre l’Iran et éventuellement contre la Syrie si cela mène à l’Iran, de l’Arabie contre la Syrie, mais aussi contre l’Iran), si elle est substantivée par des motifs de “grande psychologie géopolitique” (religion, “messianisme”, etc.), ressemble de plus en plus à une “fuite en avant” désordonnée et furieuse pour tenter de provoquer un événement cathartique qui promettrait, en un éclair éblouissant, de tout résoudre des instabilités complexes et effrayantes qui parcourent la région ; si l’on veut, des postures offensives avec des actions camouflées dans ce sens, mais, en réalité, une psychologie angoissée et sur la défensive, dans un bouillonnement que les deux pays ne comprennent également pas, et haïssent avec une intensité égale.

Dans les années 1950 comme aujourd’hui, Israël et l’Arabie se gardaient, chacun à sa façon, des convulsions extraordinaires qui touchaient l’Égypte, l’Iran, l’Irak, la Syrie, etc., dans le grand mouvement d’émancipation et de décolonisation de toute la région. Aujourd’hui, ils ont la même ambition défensive et conservatrice… Ils ont aussi, supplément par rapport aux années 1950 où les USA ne couvraient pas Israël de leur affectueuse proximité, le même sponsor, l’indispensable Amérique, qu’ils abreuvent également d’injures (vitupérantes du côté israélien, chuchotantes du côté saoudien) pour n’avoir pas ce qu’ils jugent être la force de caractère de frapper, qui l’Iran, qui la Syrie, ou les deux à la fois après tout. Mais cette hargne contre les USA presque impuissants dissimulent mal que ces deux pays appellent de leurs vœux des USA agressifs comme substituts de ce qui s’avère être de plus en plus, dans ce binôme posture agressive-psychologie défensive, leur propre impuissance fondamentale… Ces deux pays forment les deux colonnes fissurées et vacillantes de l’empire d’influence du bloc BAO sur une région mythique par sa fonction de producteur de l’aliment vital du Système lui-même ; également conservateurs dans leur vision de la situation, également angoissés, solitaires chacun de leur façon, nourrissant chacun à sa façon le terrorisme (l’Arabie en le subventionnant, Israël en le justifiant) qui sert de faux nez désormais de plus en plus faisandé aux entreprises extérieures du bloc BAO. De plus en plus se renforce l’impression que l’énigmatique et tempétueux “printemps arabes”, qui n’a rien à faire de nos salamalecs démocratiques et droitdel’hommistes, finira finalement par toucher ce qui pourrait s’avérer être ses deux objectifs principaux : les deux “colonnes fissurées et vacillantes”…


Mis en ligne le 18 juin 2012 à 06H23