Immobile à une vitesse folle en pleine accélération

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Immobile à une vitesse folle en pleine accélération

11 avril 2021 – ... et j’ajouterais “hermétiquement et hémiplégiquement” d’une part, “accélération exponentielle” d’autre part, vous voyez ? “Hermétiquement et hémiplégiquement immobile à une vitesse folle en accélération exponentielle”. J’ajouterais cela même si 96,666%% des gens ne s’aperçoivent de pas grand’chose à rien du tout parce qu’ils ne parviennent pas à distinguer complètement qu’ils sont au cœur semblant immobile, à l’intérieur de la matrice paraissant stable de l’ouragan cosmique qui fait trembler et se désintégrer notre monde.

(Vous savez que le cœur d’un ouragan est un instant de calme magique, tout tournant tellement vite avec des vents tourbillonnants si puissants et rapides que plus rien ne donne le temps à la perception de constater que l’on bouge, et que d’ailleurs plus rien n’a vraiment le temps de bouger.)

Dire “crise civilisationnelle”, ou, comme pour notre compte, GCES, ou bien encore nous dévoilant d’incroyables complots, et encore autrement, l’intervention tenue pour certaine de forces humaines-sataniques, ou sataniques enfantant de l’humain, – plus rien, parce que trop théorique, ne suffit plus à satisfaire notre entendement jusqu’à le combler même un petit peu, et qu’il cesse de nous réclamer un petit peu de quoi éclairer son entendement, – je veux dire “éclairer l’entendement de l’entendement”, vous voyez ?

Même notre inconnaissance (concept essentiel, vraiment) veut savoir pourquoi elle ne doit pas savoir, et le meilleur moyen est de lui expliquer ce dont elle se contrefiche (connaissance du phénomène, de l’événement), mais qui explique la nécessité du repli sur l’inconnaissance. La notion même de crise est en crise, et la tentative d’explication de la crise est elle-même en crise.

Le rêve de PhG

J’ai fait un rêve qui pouvait aussi bien être un cauchemar, mais alors de la catégorie, si vous voyez ce que je veux dire, du “cauchemar-bouffe” quoique non sans angoisse (mais “angoisse-bouffe”, et ainsi de suite-bouffe). C’est-à-dire que plus je progressais dans le désordre pour en informer qui devait l’être, plus tout devenait désordre, y compris ce.ceux qui devait.ent être informé.s du désordre [dans mon écriture inclusive à moi, qui n’est pas celle du commun-wokeniste, ne pas confondre]... Et pourtant, nulle part, rien ne cédait décisivement au désordre, comme s’il devait y avoir, comme but de ce désordre qui semblait ultime, plus de désordre encore.

(Je parle de “désordre” raffiné, pas celui des grosses foules en colère, des rapines grossières ou des violences barbares. Le désordre sophistiqué, complexe, impossible à embrasser ni à décrire, qui saisit tous les éléments composant eux-mêmes un désordre débouchant sur plus de désordre encore, qui embrase la psychologie, l’esprit, la raison-subvertie, la spiritualité faussaire, toutes ces choses. Littéralement désordre “hermétiquement et hémiplégiquement immobile à une vitesse folle en accélération exponentielle”.)

Voici donc mon rêve (de la nuit dernière, c’est dire)... Le cauchemar-bouffe était que je me trouvais, dans ma ville de proche résidence (laquelle ? Ici ou là), investi de la mission de suivre le développement d’un très important programme d’avion de combat qui se faisait curieusement dans cette “ville de résidence” qui semblait pourtant n’être le siège d’aucune activité d’excellence technologique de cette sorte. Je travaillais en indépendant, avec mes sources, réminiscence de mon intérêt de toujours pour l’aéronautique (JSF, I presume ?) et de mes activités journalistiques professionnelles, de l’époque pour moi classique. Il me semblait que je travaillais en équipe, avec une “personne du sexe” comme l’on disait, peut-être ma femme ; tantôt ce point paraissait clairement, tantôt cela devenait totalement secondaire et imprécis, comme un rêve dans le rêve, ou un désordre dans le désordre.

Régulièrement, il fallait que j’aille rendre compte en personne de mon rapport d’avancement auprès d’une autorité, rapport écrit que je commentais de vive voix. Où ? A Bruxelles, à Paris ? A quelle autorité ? Industrielle (Dassault), gouvernementale ou bureaucratique ? Finalement, il s’avérait, sur la fin de l’expérience, que cette autorité se révélait être peut-être, – surprise en désordre à laquelle je ne croyais pas une seconde, vous entendez, pas une seconde ! – mon ancien rédacteur-en-chef du journal quotidien La Meuse où j’avais travaillé de 1967 à 1985, lequel n’avait aucune raison de se trouver à Bruxelles ou à Paris puisqu’il est mort de toutes les façons, lequel se foutait du tiers comme du quart des programmes d’avions de combat ; qu’importe, l’évidence s’imposait et lui-même, dans le plus complet désordre, semblait convaincu qu’il s’intéressait aux programmes d’avions de combat avancés, et tout cela semblait “être peut-être”. Ce type, dont j’avais été proche, semblait ainsi en plein désordre mental. D’autre part, il y avait de la logique dans le complet illogisme de ce complet désordre d’une semblable “autorité” à laquelle rendre compte : après tout, j’étais journaliste, pas espion ou tout-comme, non ? On dit ça mais on n’en pense pas moins, car qu’y a-t-il de plus proche du métier d’espion que le métier de journaliste n’est-ce pas... (Cela n’est pas une question, c’est un constat.)

Mais le plus important était le contenu de mon rapport que je devais donc présenter oralement. Je parle d’un rapport précis, de la chronologie insaisissable du cauchemar-bouffe, qui était aussi un rapport décisif, puisque faisant part d’un développement décisif, au point où j’avais mis à la poubelle une première version du rapport déjà prête pour le remplacer par la version définitive, et décisive puisque sous le coup d’un développement décisif. Mais justement, voilà qui est décisivement intrigant : ce développement décisif était justement l’absence de développement décisif là où l’on attendait un développement décisif, mais plutôt le développement qui semblait soudain d’un désordre si plein de désordre qu’on parlerait d’un désordre décisif. (Avouez que, malgré l’absurde du propos ou justement à cause de l’absurde du propos, l’on n’est pas loin du JSF dans tous les cas pour le diagnostic final, non ?)

Et j’expliquais alors dans mon cauchemar-bouffe que tout était en désordre : le programme lui-même, complet désordre jusqu’à ne plus savoir de quoi il était question (qu’est-ce qu’on, voulait faire ? Quoi ? Un avion de combat ? Est-ce bien sûr ?). La communication qui m’en était faite, ma.es source.s elle.s-même.s, étaient frappés.es de grands et nombreux désordres mentaux, voire du désordre de l’expression, jusqu’au bégaiement d’une sorte d’insupportable Politiquement-Correct. Devant de tels désordres, les autorités du programme étaient dans un tel désordre de jugement qu’elles songeaient à des décisions marquées par le plus grand désordre...

Voilà où s’achève le cauchemar-bouffe, en pleine crise en développement et sans en rien connaître de la fin, comme dans tous les cauchemars-bouffe, – sauf le désordre, certes !... Car le désordre est incontestablement l’effet tonitruant d’un événement crisique multiple, lui-même en plein développement, communiqué par un rapport lui-même plein de désordre, et ainsi de suite.

(Sauf mon esprit, tiens, que je trouvais remarquablement distancié et donc en bon ordre pour rendre compte de ce désordre ; finalement complètement dans l’inconnaissance malgré, – quel paradoxe ! – la mission d’information.)

Ainsi en viens-je à mon vrai sujet, qui est l’environnement crisique sous toutes ses formes, manifestant partout son désordre sous toutes ses formes.

Mon rêve en cauchemar-bouffe, quoi de plus actuel, de plus symboliquement illustratif du temps-présent ?

T.C. emprisonné dans S.C

Ce rêve illustre deux choses : la rapidité de diffusion des crises et l’enfermement des crises qui facilite leur diffusion entre elles en interdisant leurs conséquences logique et leur résolution, ne laissant plus de place qu’au désordre. Il ouvre la voie à une réflexion sur la nature, non pas de la crise, mais de la multitude de crises qui nous affectent, regroupées à la fois en tourbillon crisique (T.C : vitesse folle des crises accentuant leur substance crisique) et en structure crisique (S.C. : enfermement des crises dans un état crisique permanent).

Un exemple de ce rapport T.C.-S.C. m’est venu ces deux jours derniers. J’ai d’abord lu une interview (« Immigration : “Nous avons perdu le contrôle” », Patrick Stefanini et Jean-Yves Le Gallou dans Éléments n°189 de mars 2021) puis quelques pages du nouveau livre de Bernard Lugan (‘Pour répondre aux “décoloniaux”, aux islmamo-gauchistes et aux terroristes de la Repentance’). La conclusion venue à l’esprit de ces lectures de qualité, sortant de l’habituel narrative-bienpensante, est que la crise de l’immigration en France est hors de contrôle, sans doute promise à se réaliser en une catastrophe inimaginable pour l’identité, la stabilité et la structuration de ce pays, voire à s’opérationnaliser en une guerre civile.

Perspective effrayante avec des effets profonds mais pas automatiquement durables. Vous passez à autre chose, pas très loin... A une observation de l’intensité extrême de la crise entre la Russie et l’Ukraine (avec derrière elle l’OTAN et les USA), la plus grave période crisique depuis le printemps 2014. Vous lisez même sous la plume d’une opinion qui compte, celle du Saker-US, des conseils inattendus. Toujours extrêmement prudent et opposé à toute aventure russe dans cette affaire (y compris en 2014, lorsque l’armée ukrainienne attaqua le Donbass), mais simplement une vigilance armée prête à intervenir, – mais cette fois l’opinion du Saker-US étant qu’il serait peut-être de l’intérêt de la Russie de riposter à une attaque contre le Donbass par une contre-attaque semblable à ce que la Russie fit contre la Géorgie en août 2008 :
« Quoi qu’il en soit, la séquence fondamentale désarmer–>protéger–>se retirer [comme contre la Géorgie en 2008] est, à mon avis, une séquence qui vaut la peine d’être considérée comme une “bonne’ guerre, d’autant plus que l’“alternative pacifique” pourrait s’avérer bien pire. »

Il n’empêche : imaginez le bruit formidable, les hurlements de mort, l’explosion de communication à laquelle nous assisterions dans le cas d’une pareille opération, – la Russie répondant à une agression, pensez donc, le scandale qui secouerait nos âmes si fragiles et tellement démocratiques !

Je ne dis pas que la Russie en mourrait, – oh, loin de moi cette idée, et je vois même le contraire, des répercussions chez ceux qui hurlent à la mort... Parmi la troupe de hyènes hurlant sous la direction fulgurante du dynamique et finaud Biden tant honoré par les jugements informés de nos belles consciences, il y aurait par exemple l’Italie et l’Allemagne. Ces deux pays (et d’autres) sont par ailleurs en négociations avec la Russie pour importer des vaccins Sputnik-V, et certains (notamment l’Allemagne) dans une position très difficile et éventuelle preneuse en hâte extrême du vaccin russe, au milieu de la catastrophe crisique que la pandémie Covid représente pour notre temps, pour notre civilisations, pour nos espérances postmodernes, surtout pour nou’z’autres, les Européens si fiers de l’être, et si fiers d’être ensemble dans le marigot commun, en train de mouliner des bras-de-manchots en s’acclamant, et criant “Je nage, je nage ! Glouglou, glouglou !”.

Alors, imaginez-vous ces négociations se poursuivre avec cette puissance qu’on serait contraints de vouer aux gémonies sous les hennissements de Biden ? Voyez le sort de l’Allemagne, alors que Merkel a confié à Poutine à plusieurs reprises qu’elle considérait la crise de la Covid comme « le désastre du siècle ». Nous serions tous dans de bien étranges circonstances

Que faire alors de cet enchaînement, de l’Ukraine, de Spoutnik-V, de la Covid, etc., sans oublier la crise de l’immigration hors de contrôle en France, par quoi nous avons commencé ?

En effet, vous revenez à la première réflexion de ce très bref exemple d’enchaînement crisique, – si bref, en vérité, car il y a tant d’autres crises en cours dont nous n’avons dit mot, avec la Chine, au Moyen-Orient, avec la Turquie, avec les USA et aux USA, aux frontières des USA, avec le climat et les climatosceptiques, avec la dette et les dettes, et même NordStream-2 pour revenir à nos moutons, et ainsi de suite... Vous revenez à la première réflexion et vous vous dites : la crise de l’immigration est catastrophique en France, mais qui peut donner son degré de gravité par rapport aux autres, et que va-t-elle devenir selon l’évolution des autres qui ont un effet direct et indirect sur elle ? Tout ce qu’on a éprouvé avec juste raison, soudain devient incertain et moins affirmé, – avec juste raison !

Que reste-t-il alors ? Le désordre dans tous les sens, comme dans mon rêve...

Continuons en tentant une explication à l’aide de nos instruments conceptuels, – T.C. (Tourbillon Crisique) et S.C. (Structure crisique). L’extraordinaire puissance et la rapidité tournoyante du Tourbillon Crisique se déploient absolument dans le temps qu’il contracte, mais dans un espace absolument délimité par la Structure Crisique. Que peut-on déduire de ce fantastique et terrible champ de bataille ?

• Que tout est crise ;
• que toutes les crises interfèrent l’une sur l’autre et les unes sur les autres ;
• que chaque crise semble vous emmener à une catastrophe spécifique décisive, mais qu’il faut aussitôt pondérer ce jugement en observant que les autres crises-catastrophes ont leurs effets parallèles, directs ou collatéraux ;
• qu’il est donc impossible de poser un diagnostic tenable, même celui de la catastrophe ici ou là car la catastrophe change constamment d’opportunité, tout en se renforçant à mesure qu’elle passe d’une crise à l’autre avant d’y revenir ;
• qu’en attendant “mieux”, c’est-à-dire pire, c’est le désordre qui se poursuit, qui enfle, qui prolifère...

Le T.C. fait que toutes les crises sont des crises-catastrophe (allant vers une catastrophe/la catastrophe). Mais la S.C. fait que toute crise-catastrophe est influencée par toutes les autres crises-catastrophe et influencent toutes les autres crises-catastrophe. Seul le désordre est assuré de grandir et de s’étendre autant que s’épandre et s’éprendre de lui-même.

Dans ce domaine cosmique comme en tout autre, l’espace a raison du temps. La S.C. règle l’espace tandis que le T.C. se joue du temps avec sa puissance, mais dans les limites spatiales imposées par la S.C. “Un tourbillon dans une structure”, c’est-à-dire une dynamique folle enfermée dans une forme très ferme et close, et très rigide quand il le faut. Tout bouge à une vitesse folle, mais tout est enfermé et immobile ; on ne peut rompre ni cette folie ni ce “confinement” (mot de fortune).

Le désordre, lui, trouve partout sa place, parce qu’il n’est pas considéré comme un acteur sérieux, qu’il est fluide et insaisissable, qu’il se moque du qu’en-dira-t-on, qu’il n’attend rien de lui-même qu’encore plus de désordre. C’est un acteur de complément, qui nous fait patienter avant le final dont nul ne sait rien.

Le fait essentiel n’est pas la crise qu’on mesure, dont on rend compte, disons la crise-objet, grosse d’une catastrophe-objet. L’essentiel est cette circonstance où la catastrophe devient sujet, avec la crise-sujet, et alors cet instant où vous pouvez songer à vous avancer pour risquer le tout pour le tout : “Suis-je devant la catastrophe-sujet et puis-je avancer un sujet qui entérinerait la catastrophe comme telle ?” Jusqu’ici, rien ne nous a permis d’aller à ce point : tout bouge et change constamment, et donc rien ne bouge qui puisse assurer un enseignement. Tout bouge et rien ne permet de se fixer. Nous sommes toujours dans un étrange segment de temps métahistorique où nous mesurons avec incrédulité la vitesse exponentielle dans son tourbillon crisique, de la crise immobile dans sa structure crisique.

...Et nous nous demandons : QUAND décidera-t-on d’intervenir dans ce processus pour ouvrir une brèche dans la Structure Crisique et laisser s’épanouir les Cent-Fleurs et les mille soleils par cosmos entiers du paroxysme de la catastrophe ? Et d’ailleurs, et surtout après tout, QUI le décidera ?