I Solemny Swear, – du bouffe à la tragédie

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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 2020

I Solemny Swear, – du bouffe à la tragédie

20 janvier 2016 – A l’heure où j’écris ces lignes, comme disaient les reporteurs de l’ancien temps qui passaient directement leurs dépêches écrites durant le combat qu’ils étaient censés décrire du bar le mieux achalandé du coin jusqu’à leur rédaction lointaine, à des milliers de kilomètres, à l’heure où j’écris ces lignes rien n’est encore fini de la solennelle journée d’investiture et de prestation de serment du président The-Donald, 45ème du titre, c’est-à-dire 45ème POTUS. A quelques centaines de kilomètres de là, à New York, sans doute à un autre moment de la journée (tout se brouille dans ces deux jours où plus de cent manifestations différentes étaient prévues) avait eu ou avait lieu un grand rassemblement de l’opposition “progressiste-sociétale-(chic)”, avec quelques vedettes de Hollywood, – Alec Baldwin, De Niro à nouveau passé dans l’opposition, – l’un ou l’autre réfugiés, une affiche bien avec les quotas bien soignés, repassés-pliés (blancs-honteux, black & brown et fiers de l’être, beige-clair, LGTBQ, etc.), sous la présidence considérablement plantureuse de Michael Moore. C’était un mélange de “concert des enfoirés” et de We Are The Word, une autre facette de ce Mai-68 cosmique en-hiver...

Maintenant, plongez-vous dans le tourbillon des multiples scènes, manifestations, cris, mains sur le cœur, promesses infinies, une cascade de vidéos (voyez Breitbart.News et de multiples autres) ; ce mélange de solennité bombastique, de strict observance des règles et d’escadrilles de véhicule noirs aux vitres teintées noires ahanant sous leur poids de blindage, entourées de nuées d’escort-bodyguards tous reconnaissables à un kilomètre (costume noir, cravate noire, chemise blanche, lunettes noires, cranes semi-rasés et rasés, oreilles chargées d’oreillettes, têtes en mouvement perpétuel, etc.) ; et puis en cent lieux épars des foules avec pancartes diverses, multicolores, hurlant ou se moquant, dressant le poing ou applaudissant...

Le spectacle est à la fois extraordinairement conforme si le regard seul s’en inquiète, et extraordinairement surréaliste si l’esprit s’y met pour tenter de donner un sens à tel ou tel sentiment... Celui-là, qui est le mien, avec Michael Snyder de Economic Collapse, sur cet étrange sentiment bouffe qu’on n’arrive pas tout à fait à écarter, – nous aussi retenus encore au Système même si c’est d’un seul cheveu, – cet étrange sentiment que Trump c’est The-Donald, et qu’il “ne fait vraiment pas sérieux”, pourtant avec une réserve : « It still doesn’t seem quite real to me that Donald Trump will soon be residing in the White House.  Perhaps after I watch him being inaugurated on Friday I will feel differently.  And I certainly am not expecting any miracles under Trump, but it sure will be nice to have a new face in the Oval Office... »

D’un autre côté, ou du même côté de la foule c’est selon, puisque, dans “tragédie-bouffe” il y a aussi “tragédie“ n’est-ce pas ; alors voici Nicolas J.S. Davies dans ConsortiumNews sur ce non moins étrange sentiment qui nous envahit lorsque nous voyons et entendons tous ces grands cœurs progressistes-sociétaux pleurer littéralement, – je parle des larmes-qui-coulent-des-yeux, – le départ de leur icône, de l’homme du Prix Nobel de la Paix en 2009 qui avait chassé l’horrible GW, et en toute justice puisque, effectivement, il l’a surpassé – plus de 100.000 bombes et missiles larguées et tirés en 8 ans (BHO) contre 70.000 pour l’autre benêt (GW) durant ses propres huit années. Sans être fana du règne de la quantité, il y a de quoi méditer... : « Four years ago, as Obama was inaugurated for a second term, I wrote that the U.S. and its allies dropped 20,000 bombs and missiles in his first term. In his second term, they have dropped four times that number, bringing the total for Obama’s presidency to over 100,000 bombs and missiles striking seven countries, surpassing the 70,000 unleashed on five countries by George W. Bush. »

Cette journée n’est pas encore terminée, alors que je vais bientôt vous quitter, mais déjà l’on sait que rien n’est tranché et surgit le sentiment d’un instant où le Temps s’arrête pour fixer les aspects ridicules, absurdes et incompréhensibles du côté bouffe, et la puissante présence, à peine cachée ou bien parfaitement dissimulée, du côté tragique. C’est un moment historique où l’Histoire s’arrête et ne se rédige plus elle-même, où elle retient son souffle pour nous observer ; où ce souffle pourrait se trouver coupé par une détonation, ou bien se reprendre en constatant que bientôt, l’instant passé, nous nous trouverons à nouveau entraînés dans notre “trou noir” du tourbillon crisique.

...L’Amérique s’est donc rassemblée comme s’il s’agissait de célébrer sa gloire et sa grandiose unité, pour constater combien elle se trouve désunie, combien elle s’abandonne dans l’illusion grandiose d’une gloire laissée à ses propres illusions, abandonnée à elle-même, livrée à l’ivresse de la diversité qui paraît si proche par instant de l’accumulation mortelles des ruptures décisives. L’Amérique se célèbre aujourd’hui, qui dans sa haine de Trump, qui dans l’assurance du “Back Again”qu’il leur promet, pour se prouver à elle-même combien, derrière le bouffe dont elle est familière, se tient fermement, prête à se manifester, la tragédie.

Dans ce jour solennel et barbouillé de mysticisme repeint à la hâte, je m’interroge sur l’énigme de l’avenir, désorienté par ce mélange étrange d’exubérance ridicule, d’agressivité furieuse limitée aux paroles et aux symboles griffonnés, à l’acquiescement contraint des autorités. Pépé Escobar vous l’affirme sans le moindre doute : aujourd’hui commence une immense bataille entre “l’État profond” et “les Maîtres de l’Univers”. Les trotskistes de WSWS.org se sont regroupés sous une seule plume pour proclamer d’une plume vengeresse, faisant analogie de l’adresse fameuse de Franklin Roosevelt le 7 décembre 1941 : « The inauguration of Donald Trump: An event that will live in infamy. »

... Tandis qu’une voix de rencontre, une de ces sources dont chaque chroniqueur a le secret, suggère comme pour elle-même, comme si elle était d’une tête qui hocherait en s’interrogeant sur l’énigme de l’avenir : “Ce jour-là, aujourd’hui, c’est du lourd...” Eh bien, ce n’est pas faux.

... Car voici mes dernières impressions, avant de vous quitter, après avoir vu sa prestation de serment et entendu le discours du 45ème POTUS. Justement, l’impression du Président-encore-qu’élu, descendant seul, vers le balcon où il allait prêter serment, qui était d’une gravité extrême, je dirais métahistorique si j’osais, d'une résolution inébranlable comme je n’ai jamais vu sur le visage de Trump. Son discours fut remarquable, un commentateur de LCI (Vincent Hervouet je crois, le seul à n’être pas banal-Système comme les autres) parlant justement d’« un discours de rupture, un discours révolutionnaire, un discours pour la cause du peuple ». L’accusé c’était Washington, l’establishment, les élites-Système, tous ceux qui l’entouraient – le Système, quoi. Le président Trump a dit ce qu’aucun autre président n’a jamais dit dans un discours d’inauguration, du moins selon ma mémoire et mon expérience : « From this day forward, it is going to be only America first. America first. »

Ce cri de guerre (ou plutôt d’anti-guerre, historiquement, à la fin des années 1930 et jusqu’à Pearl-Harbor), “America First”, c’est un défi., – le défi de briser l'establishment et de “rendre le pouvoir au peuple”... Bonne chance, The-Donald. Voilà la perspective d’une bataille terrible, – j’entends déjà le Système qui rugit d’une colère furieuse, aveugle, – autodestructrice espérons-le ; une bataille terrible, auprès de laquelle tout ce qui s’est passé depuis 18 mois aux USA, n’était qu’une aimable mise en bouche... Ainsi terminerais-je cette petite pièce d’atmosphère en observant que, cette fois, pour cette heure, pour cette impression qui se clôt avec ces derniers mots, finalement le côté “tragédie” l’emporte sur le côté “bouffe” tandis que Trump s’est transmuté dans ces instants-là en un “Shakespearian President.