Humeur de crise-24 (Syrie & USA)

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Humeur de crise-24 (Syrie & USA)

5 octobre 2016 (*) – Il y a des pressions grandissantes et des avertissements anxieux au niveau de la communication, pour nous faire raisonnablement penser qu’existe très sérieusement la possibilité d’un affrontement, sinon d’une guerre du plus haut niveau entre les deux grands adversaires, essentiellement par le biais d’une attaque US contre Damas. Je sais que, dans ces périodes, le sentiment de l’urgence de la situation conduit à des réactions affectives qui ne sont pas du tout, dans ce cas, de l’affectivisme mais une simple réaction humaine, – et le commentateur est dépendant de ces mêmes humeurs, humain, trop humain... Il reste qu’il y a le vrai, ce qu’on nomme la vérité-de situation.

Il y a de très nombreuses indications de cette extrême tension, pour mon compte selon les sources que je juge normalement de bonne tenue (pour le reste, selon le mode hystérique qui ne cesse d’être incroyable de la presse-Système) ; que ce soit l’avertissement du groupe VIPS, qui est un groupe pour lequel il faut avoir une très-haute considération, que ce soit l’article de ZeroHedge.com sur le compte-rendu du Washington Post salivant à l’idée d’un briefing de l’administration Obama (ce jour même, 5 octobre) à propos d’une attaque US contre Damas, que ce soit le compte-rendu de TheDuran sur un exercice de préparation de 40 millions de Russes à une attaque nucléaire, cela avec tant d’autres nouvelles et analyses allant toutes dans le même sens.

Nous sommes à un de ces moments où le commentateur ne peut plus rien avancer d’assuré, s’il est honnête avec lui-même. Décidément, je ne cache en rien ma complète incertitude, alternant entre la considération qu’il s’agit d’un affrontement de pure communication, avec quelques risque certes mais aucune intention de passer à l’acte des autorités, ou de ce qu’il en reste du côté US (là est le problème, au reste, celui de l’autorité qui est si insaisissable et si mal identifiable) ; et d'autre part la certitude soudain angoissée de l’irréversibilité de la marche de l’évènement vers le pire, et l’on imagine ce que ce “pire” peut signifier d’absolument terrible...

La confusion et le désordre sont complets, essentiellement sinon exclusivement du côté US, comme si cela constituait une spécialité made in USA mise au point par Obama pour caractériser son gouvernement. On notera, par exemple mais bon exemple pour le propos par une certaine similitude des situations, que c’est la même atmosphère de confusion et de désordre qui régna à Washington, entre le fin août et le 11-12 septembre 2013, où l’administration Obama sembla vouloir sinon devoir attaquer Damas, puis se défaussa sur le Congrès pour voir sa manœuvre se transmuter en une menace pour sa légitimité, pour finalement saisir la perche que Poutine avait miraculeusement sorti de son arsenal, sur la recommandation, – involontaire ou pas, qui sait, –  de John Kerry. L’on débat donc à nouveau, quasiment à ciel ouvert comme c’est la coutume désormais à Washington, d’une attaque en Syrie, qui signifierait à la différence d’août-septembre 2013 une très forte probabilité d’un affrontement direct avec les Russes, – puisque les Russes sont en Syrie, avec armes et bagages, alors qu’ils ne s’y trouvaient pas en 2013.

Les positions des uns et des autres se brouillent et semblent se renverser, – ou bien furent-elles si trompeuses précédemment et se découvrent-elles pour ce qu’elles sont, ou bien, ou bien, – le désordre toujours lui... Kerry, longtemps considéré comme partisan d’une option diplomatique à tout prix, apparaît maintenant, après la “fuite” de l’enregistrement d’une rencontre avec l’“opposition” syrienne en marge des réunions de l’ONU de fin septembre, comme “profondément frustré” qu’on n’ait pas (encore ?) attaqué Damas, et lui-même se présentant comme partisan d’une attaque dès son arrivée au département d’État au début de 2013. Autant pour ses excellents rapports, presque d’amitié, avec Sergei Lavrov ; pourtant, c’est à lui qu’on réserva, en reconnaissance de son zèle avisé et de son habileté diplomatique, le rôle de la colombe dans l’administration Obama, et sa visite à Sotchi, en mai 2015, sembla un des points d’orgue d’une possible entente Moscou-Washington grâce à lui et seulement grâce à lui.

D’un autre côté, les militaires sont parfois présentés, dans leur complet état de “mutinerie” au côté du secrétaire à la défense Carter, comme devenus très prudents, notamment pour ce qui concerne l’idée d’une No-Fly-Zone. Devant les sénateurs de la Commission des Forces Armées, le général Dunford, le président du JCS, prenant le contrepied d’Hillary Clinton qui fait de cette No-Fly-Zone une des grandes idées de son futur mandat, ne dit pas différemment de ce que son prédécesseur, le général Dempsey, notoirement opposé à l’attaque, disait au printemps 2013. (« “Right now, Senator, for us to control all of the airspace in Syria would require us to go to war against Syria and Russia. That is a pretty fundamental decision that certainly I’m not going to make,” said the Chairman of the Joint Chiefs of Staff suggesting the policy was too hawkish even for military leaders », écrit Sputnik-News.) On m’objectera aussitôt, et au plus juste des propos, que le général Millney, chef d’état-major de l’US Army, vient de nous informer sur un ton sans réplique que sa formidable et si puissante armée, qui démontre partout depuis quinze ans son irrésistible efficacité, est capable de détruire n’importe qui, – et vous êtes convié à croire que la Russie est dans le lot et en tête du peloton, of course...

Tout cela se passe en pleine campagne électorale comme chacun sait, alors que le candidat vice-président républicain Pence semble avoir largement dominé le candidat vice-président démocrate Kaine, au comportement si bizarre, dans le seul “débat des vice-présidents” de la campagne. Cette fois, on parla sérieusement de politique extérieure et de sécurité nationale, et Pence sut dire tout ce que The-Donald n’avait su faire, face à un Kaine qui sembla bien confus et vociférant. Ainsi commence-t-on à se demander : mais quel fou aurons-nous donc à la Maison-Blanche si Hillary Clinton est élue et si, comme c’est prévu, elle passe rapidement la main à son vice-président pour raisons de santé, d’e-mails et de Clinton Foundation ?

Ainsi la campagne électorale se charge-t-elle d’un peu plus de sel supplémentaire et l’on se demande si, vraiment, les conditions sont si propices pour déclarer une Sainte-Alliance avec les “terroristes-modérés-radicaux” et attaquer Damas, et les Russes pendant qu’on y est... Des gens bien informés me répondraient que non, justement un tel épisode serait effectivement l’October Surprise que tout le monde attend ; si bien que plus personne ne serait surpris par l’October Surprise, si bien que la véritable surprise serait qu’il n’y ait pas de cette October Surprise-là. Je me méfie des gens bien informés dans cette époque où la communication semble être faite pour réduire l’information à un tourbillon qui prend les allures d’un trou noir ; finalement, je préfère sans exaltation particulière mais sans l’impression de déchoir mon incertitude et la variabilité inévitable de mon sentiment, – exact reflet, après tout, de la vérité-de-situation de cette situation, lorsqu'il s'agit de la situation du jour. Pour la suite, on verra.

 

Note

(*) Dans la série des Humeurs de crise développée à l’intérieur du Journal-dde.crisis, on trouvera désormais des occurrences où un sujet du jour très concret est abordé, indiqué entre parenthèses dans le titre. On constatera que ces Humeurs de crise-là sont en général plus longuettes que le courant de la série, parce que plus documentées par des événements précis.

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