Histoire d'hawks

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Histoire d'hawks


7 décembre 2002 — Voilà un article très intéressant, celui de Julian Borger, dans le Guardian du 6 décembre. Borger rappelle qu'un nombre important de super-hawks de l'administration GW vienne de l'entourage du sénateur Henry Scoop Jackson, démocrate de l'État de Washington. C'est notamment le cas de Richard Perle, qui a toujours refusé de quitter le parti démocrate par attachement au souvenir de Jackson, c'est le cas de Wolfowitz, de Douglas Feith, et d'un nouveau-venu, Elliott Abrams, qui vient d'être nommé au poste important de directeur pour le Moyen-Orient à la Maison-Blanche.

Un mot sur Abrams, et sur Abrams parlant de Jackson :


« Mr Abrams, who was convicted for misleading Congress about the Iran-contra affair (money secretly raised by selling arms to Iran sent to the contra guerrillas in Nicaragua), remains fiercely loyal to the source of [Jackson's] anti-communist zeal.

» He recently argued that the Jackson's “insistence on a 'moral realism', combining American power with principled support of human rights and democratic allies, helped to prevent disaster during America's post-Vietnam crisis of detente, malaise, and the Brezhnev Doctrine.” »


Il est important de rappeler à cette occasion quelles sont les les sources de l'actuelle politique interventioniste, suscitée essentiellement par les neo-conservatives qui ne sont pas, fondamentalement ni originellement, des républicains :

• Une partie d'entre eux (comme William Kristoll) sont d'anciens trotskistes passés à la droite radicale du parti républicain ;

• l'autre partie, comme ceux qu'on voit ici, comme Perle, Wolfowitz et compagnie, sont des émules de Scoop Jackson.

Ce sénateur démocrate est décrit comme un super-faucons du temps de la détente. Jackson joua effectivement un grand rôle en contribuant à démolir la détente avec les Soviétiques, dans les années 1965-80. Il fut sans doute le plus terrible et le plus constant adversaire des républicains “réalistes”, comme Nixon et Kissinger, principaux partisans et architectes de la détente.

Il est décrit ci-dessous comme un “moraliste réaliste”, comme une personnalité ascétique, etc. On ajoutera qu'il était également corrompu as usual, mais conformément à ses convictions de “réalistes” : il fut aussi surnommé the Boeing's Senator tant il fut soutenu, financé, etc, par la société Boeing, alors basée à Seattle et Everett, dans l'État de Washington.

Voici quelques traits d'un portrait de Jackson :


« “Jackson's influence is more powerful now than when he was alive,” said Charles Horner, who worked beside Mr Perle on the senator's staff, in his ''bunker'' — Room 135 in the Senate office building, from where they fought against detente and the peaceniks in their own party.

» Mr Horner, now a senior fellow at the Hudson Institute, another Washington crucible of conservative ideas, said: “For the Democrats in the 70s the ideas of the anti-war movement transmogrified into an attack on national security. There was a lot of stridently anti-American rhetoric, with America demonised as a force for evil.”

» In contrast, Jackson and his followers insisted that the US was a ''well-founded nation'' which could be a force for good in the world if it was not afraid to use its strength.

» From Room 135 ''Scoops Troops'' fought every international arms control treaty that came the Senate's way, successfully blocking ratification of the Salt2 treaty until it was buried by the Soviet invasion of Afghanistan. Jackson also pushed for trade sanctions against Moscow until it allowed the emigration of Soviet Jews: a policy he saw as the perfect marriage of hard-nosed diplomacy and moral principle. To bring that day closer, and in the name of melding foreign policy with moral principles, Jackson fought for and won trade sanctions on Moscow for its refusal to allow the mass emigration »


Les thèses de Jackson sont du classique “wilsonisme”, en ajoutant la mention de “réalisme” qui n'était pas vraiment faite par Wilson, mais cet élément parfaitement concrétisé dans l'action de Wilson. (Par “réalisme”, entendre l'application des moyens qu'il faut, également la protection et le renforcement des intérêts engagés et qu'on soutient : par exemple, Jackson, le Boeing's Senator, défendait une politique agressive et de forts budgets militaires qui ne pouvait que satisfaire Boeing).

A nouveau, quelques mots sur Jackson, sur ses conceptions cette fois. On retrouve toute la bible des neo-conservatives.


« Jackson, who arrived in the capital as a young congressman in 1941, ''came to believe that you have to confront evil with power'', as Mr Horner put it, and saw himself as upholding a Democratic tradition which married social support for civil rights and equality at home with unflinching military support for democracy abroad. His instincts were honed into a political ideology with the help of Dorothy Fosdick, daughter of a New York priest and famous pacifist, Harry Fosdick, who served as Jackson's foreign policy adviser for 28 years. Today's grey eminences behind the “war on terror” were once young apprentices under her supervision.

» As his party turned against the Vietnam war, Jackson formed a faction called the Coaltion for a Democratic Majority, intent on steering the leadereship away from detente, pacifism and isolationism. He sought the party's presidential nomination but lost to relative pacifists both times, first George McGovern and then Jimmy Carter, whose presidency he then pilloried bitterly in the Senate.

» He had minimal stage presence, and his ascetic personality - he did not drink, listen to music, follow sports or pursue hobbies - had little popular appeal. When Robert Redford visited his offices Jackson had no idea who he was.

» Jackson died in 1983 and therefore missed the collapse of communism he had long predicted, but his former disciples are united in the belief that he, as much as Ronald Reagan, helped the US to “win” the Cold war. They see him as the light guiding the evolving Bush security doctrine, and they should know: they are directing it. »


L'influence de Jackson aujourd'hui, sa politique dans son temps rappellent le rôle belliciste que les démocrates jouèrent tout au long de l'histoire du XXe siècle. (Borger le rappelle lui-même : «  Woodrow Wilson took the reluctant country into the first world war, and Franklin Roosevelt did the same in the second. Harry Truman took the anti-communist struggle to Korea, and the Vietnam war was pursued first by John Kennedy and then Lyndon Johnson. ») La situation actuelle est atypique, où GW se retrouve dans un rôle à contre-emploi par rapport à ses origines idéologiques.

Tout ceci nous donne une des clés de cette situation actuelle : un président soi-disant de la droite républicaine traditionnelle, élu sur un programme non-interventionniste, applique un programme super-interventionniste. Ce programme est inspiré aussi bien par une droite “pervertie” (selon la droite traditionnelle) par la Guerre froide et l'État de sécurité nationale (lié au Complexe militaro-industriel), que par une gauche hyper-interventionniste américaine, celle qu'on trouvait déjà dans le néo-wilsonisme de Clinton et qui a abouti à l'intervention du Kosovo et aux thèses sur l'“interventionnisme humanitaire”, puis sur l'“impérialisme humanitaire” (thèses dont Tony Blair aime bien se parer lorsqu'il justifie son interventionnisme/suivisme des US). Saupoudrez tout cela d'une influence crypto-trotskiste qualitativement très puissante et vous avez l'actuelle “politique” US, déstructurante à souhait.

Cette force de l'interventionnisme est l'une des deux forces qui animent aujourd'hui les USA. L'autre est celle de l'énorme et puissante bureaucratie de sécurité nationale, marquée par l'inertie et la planification paralysante. Ces deux forces, dont on pouvait penser que leurs effets s'additionneraient, finissent au contraire par s'opposer dans ces mêmes effets, conduisant à une curieuse situation des USA aujourd'hui : interventionnisme extérieur maximal et paralysie d'action maximale.