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5609Dans son livre Hillary Clinton, la Reine du chaos (Editions Delga, 2015), la commentatrice et auteure américaine Diana Johnstone met notamment en évidence la présence de l’élément féminin, non seulement chez Clinton bien entendu, mais dans son entourage, – et, pour la prospective, dans ce que serait son administration en cas de victoire le 8 novembre prochain, notamment dans les postes vitaux de sécurité nationale.
Cette tendance n’est ni récente ni conjoncturelle : c’est Hillary Clinton, nouvelle Secrétaire d’État, qui a remis en selle Victoria Nuland comme porte-parole du département d’État, en 2009. C’est encore elle qui favorisa l’accession de Samantha Powers à la fonction d’ambassadrice des USA à l’ONU, Susan Rice que Powers remplaçait passant à la fonction très puissante de directrice du National Security Council. Tout cela découlait d’un arrangement entre Clinton et Obama, le président lui-même étant très favorable à l’approche sociétale de la politique (Susan Rice est bien entendu une femme, mais aussi une africaine-américaine, ce qui allait dans le sens des conceptions d’Obama) ; cet “arrangement”, “facilité” par certains moyens de pression de Clinton sur Obama, datait du marché initial des primaires de 2008 où Clinton accepta d’appuyer la cause d’Obama pour la désignation aux présidentielles auprès de la direction du parti démocrate une fois qu’elle ait eu perdu tout espoir d’être désignée elle-même. Effectivement, Obama “paya” cela en donnant le poste de Secrétaire d’État à Hillary plus divers “droits de regard” pendant son mandat et même après ; la puissance des Clinton à Washington leur assure à cet égard de vastes moyens d’influence.
Un autre aspect de cet “arrangement” Clinton-Obama de 2013 (départ de Clinton pour préparer sa candidature-2016) fut la promotion de Nuland de la fonction de porte-parole à celle d’assistante du Secrétaire d’Etat pour l’Europe et l’Eurasie, ce qui lui permit de faire les étincelles qu’on sait en Ukraine, en 2013-2014. Il semble bien que cette nomination ait été imposée à Kerry d’une façon complètement arbitraire et sans que Kerry ne puisse mesurer les conséquences de cette nomination. Par rapport à ce que nous écrivions le 21 avril 2015, et qui venait de confidences de Lavrov, il semble que l’on puisse préciser sans aucune restriction que la nomination de Nuland avait été décidée avant même que Kerry exerçât pleinement ses fonctions, et qu’il s’agissait d’une conséquence directe des exigences de Clinton ; c’est à ce point qu’on peut dire que Nuland fut la véritable courroie de transmission directe de Clinton au département d’État de Kerry, et que la politique antirusse qu’elle y développa elle-même, souvent différente de la ligne-Kerry, convenait effectivement à ses propres convictions mais, surtout, rencontrait l’accord total d’Hillary Clinton au point que Nuland prenait rarement une initiative sans en aviser Clinton, et ainsi d’ailleurs en bonne partie “couverte” par Clinton (et son influence sur Obama) vis-à-vis de Kerry.
... Pour rappel, voici donc ce que nous écrivions en avril 2015, où l’on comprend que les Russes s’attendaient au début 2013 au départ de Nuland en même temps que celui de Clinton, selon ce qu’ils savaient de Kerry, et qu’ils furent grandement surpris sinon stupéfaits par sa promotion – ce qui tend effectivement à confirmer ce que nous disons plus haut de Clinton-Obama, et de leurs tractations nécessairement secrètes :
« Le Russe Lavrov a raconté comment, lors d’une de ses premières rencontres avec le nouveau secrétaire d’État au printemps 2013, il avait félicité Kerry pour avoir “liquidé” Victoria Nuland de sa position de porte-parole du département où l’avait installée Clinton ; Kerry lui avait répondu qu’il l’avait au contraire promue (comme assistante au Secrétaire d’État pour l'Europe et l'Eurasie), ajoutant qu’il aurait ainsi, à ses côtés, une diplomate expérimentée pour conduire une politique d’entente, notamment et précisément avec la Russie. Lavrov avait considéré Kerry pour tenter de distinguer dans ses paroles quelque ironie ou sarcasme, pour n’y trouver qu’un sérieux ingénu et désespérément naïf, – et peut-être, même, volontairement naïf. La question se pose en effet, dans ce cas de Kerry comme dans tant d’autres, et dans le cas d’Obama comme dans celui de Kerry, s’il existe une conscience réelle de la signification des actes ainsi posés, par rapport à ce que tout homme normalement informé doit en savoir, à la lumière de la personnalité et de l’activisme bien connues d’une Nuland. Lavrov rapporte que Kerry ne semblait pas vraiment comprendre ce que signifiait, en termes de perspectives politiques, la nomination de Nuland à un tel poste, – non plus que, dans un autre contexte, celle de Powers à la tête de la délégation diplomatique US aux Nations-Unies. »
Il semble donc que l’on verra ces diverses personnalités de genre féminin ensemble, sous la direction coordinatrice de la présidente Clinton, si présidente Clinton il y a. Les prévisions sont déjà largement exprimées pour Michele Flournoy à la tête du Pentagone (moins mentionnée que les autres mais très active comme “technicienne” et de tendance politique aussi extrémiste, – experte des questions de défense, n°4 du Pentagone de 2009 à 2012), Nuland au département d’État, Powers peut-être à la tête du NSC, éventuellement maintien de Susan Rice dans une administration Clinton (à la CIA ?). Pour le parti féministe, on ajoutera sans doute l’actuelle secrétaire à la Justice Lynch (Africaine-Américaine de genre féminin), que l’on laisserait à ce poste parce qu’elle a bien mérité des Clinton en tentant d’éviter au plus qu’il lui était possible des ennuis à Hillary avec ses diverses casseroles, jusqu’à se mettre en conflit avec le Congrès et le FBI (conflit dans la question d’une enquête sur la Fondation Clinton, où elle aurait finalement perdu, notamment face à une connexion Congrès-FBI).
Le phénomène est assez intéressant pour être effectivement qualifiée de “féministe”, et c’est ce que fait Diana Johnstone dans son livre Reine du chaos. Dans une interview donnée le 27 mai 2016 à Grégoire Lalieu, de Investigaction.net, deux actions portent sur ce thème.
Question : « En devenant la première femme présidente des Etats-Unis, pensez-vous que Hillary Clinton ferait avancer la cause féministe ? »
Diana Johnstone : « Le fait d’être femme est le seul élément concret qui permet à Hillary de prétendre que sa candidature soit progressiste. L’idée est que si elle “brise le plafond de verre” en accédant à ce poste suprême, son exemple aidera d’autres femmes dans leur ambition d’avancer dans leurs carrières. Mais pour la masse des femmes qui travaillent pour de bas salaires, cela ne promet rien.
» Il faut placer cette prétention dans le contexte de la tactique de la gauche néolibéralisée de faire oublier son abandon des travailleurs, c’est-à-dire de la majorité, en faveur de l’avancement personnel des membres des minorités ou des femmes. Il s’agit de la “politique identitaire” qui fait oublier la lutte des classes en se focalisant sur d’autres divisions sociétales. En d’autres termes, la politique identitaire signifie le déplacement du concept de l’égalité du domaine économique à celui de la subjectivité et des attitudes psychologiques.
Question : « Dans votre livre, Hillary Clinton, la reine du Chaos, vous revenez sur la guerre du Kosovo. Hillary Clinton était la première Dame des Etats-Unis à l’époque. En quoi le bombardement de la Yougoslavie en 1999 a-t-il été un épisode marquant de son parcours politique ? »
Diana Johnstone : « Avec son amie Madeleine Albright, l’agressive ministre des Affaires étrangères de l’époque, Hillary poussait son mari Bill Clinton à bombarder la Yougoslavie en 1999. Cette guerre pour arracher le Kosovo à la Serbie fut le début des guerres supposées “humanitaires” visant à changer des régimes qui ne plaisent pas à Washington. Depuis, Hillary s’est fait la championne des “changements de régime”, notamment en Libye et en Syrie.
» Dans mon livre, La Reine du Chaos, je souligne l’alliance perverse entre le complexe militaro-industriel américain et certaines femmes ambitieuses qui veulent montrer qu’elles peuvent faire tout ce que font les hommes, notamment la guerre. Un intérêt mutuel a réuni les militaristes qui veulent la guerre et des femmes qui veulent briser les plafonds de verre. Si les militaristes ont besoin de femmes pour rendre la guerre attrayante, certaines femmes très ambitieuses ont besoin de la guerre pour faire avancer leur carrière. Les personnalités les plus visiblement agressives et va-t’en guerre de l’administration Obama sont d’ailleurs des femmes : Hillary, Susan Rice, Samantha Powers, Victoria Nuland… C’est un signal au monde : pas de tendresse de ce côté-ci ! »
On ne peut se départir du constat qu’on se trouve devant un phénomène très spécifique, résultant de l’introduction des matières sociétales (en passant du social au sociétal) dans l’arsenal des politiques idéologiques, qui introduit plus le chaos qu’une époque nouvelle, – sinon une contribution par ailleurs puissante à une époque de chaos, certes, mais on rejoint alors le grand ébranlement du Système. En effet, s’il s’agit de “féminisme” dans le constat de ce regroupement féminin avec et autour de Clinton, il s’agit également de ce que d’aucuns, parmi les adversaires conservateurs de cette évolution, nomment le “marxisme culturel” (c’est-dire le marxisme où l’économie est remplacée par la “culture” au sens le plus large, selon l’enseignement d’un Gramsci ou d’un Lukács). On observera, allant dans ce sens, que le “marxisme culturel” ne rejette évidemment pas certaines tendances trotskistes dite-de “révolution permanente”, qui sont clairement déstructurantes et dissolvantes, d’ailleurs retrouvées chez les neocons, le plus souvent de descendance trotskiste.
Néanmoins ces mouvements neocons-R2P (le R2P où l’on classe la plupart des “Harpies”, – puisque c’est le surnom qu’on leur donne, – de la “reine-Clinton”) entretiennent des liens étroits, sinon plus qu’étroits jusqu’à être incestueux (notamment les Clinton) avec Wall Street et, pas moins avec le CMI (complexe-militaro-industriel, ami des phénomènes sociétaux) dont elles sont les vecteurs politiques favoris pour savoir si bien vendre les “guerres humanitaires” à la fois avec une violence extrême et un affectivisme qui les place quasiment “au-dessus des lois” (on veut dire : “au-dessus des lois” de la raison et de la logique politique). On sait bien que Wall Street et le CMI sont des entités, ou des “États parallèles” qui n’affectionnent rien tant que la déstructuration et la dissolution, et la“guerre humanitaire” par conséquent et par vocation, et en cela pas si hostiles au “marxisme culturel” ; mais, cela admis dont on peut soupçonner le caractère purement tactique, ils représentent tout de même ce que le capitalisme peut présenter de pire pour être seulement acceptables par le “marxisme culturel” (voir et lire les éructations de WSWS.org, site de la IVème Internationale trotskiste, contre ces temples du capitalisme, bien entendu).
D’autre part, dans ce féminisme guerrier que Clinton introduirait en masse, c’est le qualificatif “guerrier” qui va poser de plus en plus de problème alors qu’il est essentiel dans les projets politiques qu’on lui connaît. Comme les neocons eux-mêmes, les “féministes guerrières”, à qui l’on ne peut plus rien passer en matière de privilège du sexe dès lors qu’elles ont proclamé l’égalité à cet égard, souffrent de la même contradiction de prôner la guerre partout, y compris de se moquer du massacre ignoble et de lynchage barbare d’un homme (“We Came, We Saw, He Dies”), sans avoir elles-mêmes jamais connu l’expérience, le courage et la peur de celui (de celle) qui fait la guerre.
Puisqu’il s’agit de féminisme, on considérera que les députées de la Chambre des Représentants Gabbard et McSally sont aussi bien des gloires du féminisme que les autres, sinon bien plus puisqu’occupant avec grand succès des fonctions souvent considérées comme masculines, de responsabilité politique, mais elles en plus, après avoir effectué des services de longue durée dans les forces armées, dans les conditions de combat les plus rudes, en Irak, en Afghanistan, etc. Le moins qu’on puisse dire de ces deux personnes du genre féminin, c’est qu’elles se trouvent loin, sinon complètement opposées à l’affectivisme et à la folie guerrière des “Harpies” clintoniennes (Gabbard surtout, furieusement opposée à toutes les “guerres humanitaires”, partisane d’un arrangement avec Moscou, avec Assad, etc.). Aux yeux d’un(e) féministe conséquent(e), elles devraient valoir infiniment plus que les “Harpies” pour la cause féministe, ayant accompli avec bien des honneurs la plus risquée des fonctions traditionnellement attribuées aux seuls sapiens de sexe masculin.
Cela, pour conclure que les valeurs sociétales qui jouent un rôle grandissant dans ce qui tient lieu de politique, comme on le voit avec Clinton, vont se trouver de plus en plus et même se trouvent d’ores et déjà confrontées aux contradictions inhérentes au chaos général qu’elles ont très largement contribué à créer. Cette évolution, qui fait passer ces phénomènes du rang de facteurs d’influence irresponsables sinon intouchables au rang d’acteurs actifs devant rendre compte de leurs responsabilités, et ainsi leur faisant une place qui leur donne à la fois une grande force et une extrême vulnérabilité, cette évolution est elle-même la conséquence de notre chaos. Le féminisme, et avec lui les “valeurs sociétales” jusqu’au “marxisme culturel”, ne règnent pas en maîtres comme on pourrait le croire, l’espérer ou le craindre : arrivés au niveau des responsabilités, ces phénomènes vont être confrontés, si ce n’est en train de se faire déjà, aux contradictions et aux affrontements internes caractérisant cette époque crisique dont ils ont été l’un des principaux moteurs.
Mis en ligne le 13 août 2016 à 16H29
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