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94310 septembre 2007 — Aujourd’hui commence la grande semaine des soldes du général Petraeus, désormais surnommé “Brand Petraeus” par Tom Engelhardt.
(“Brand” signifiant “marque” au sens commercial, ou bien étiquette, l’expression est difficilement traduisible d’une façon acceptable. Disons qu’elle désigne un général transformé en marque commerciale ou en étiquette de relations publiques. On acceptera alors l’idée que la semaine qui commence à Washington est une grande “semaine des soldes”, au cours de laquelle la version de GW Bush-“Brand Petraeus
Le même Engelhardt résume dans son article d’hier cette opération de promotion commerciale, ce “D-Day de la guerre de relations publiques” que représente la présentation du “rapport Petraeus” sur la situation en Irak après huit mois de “surge”. Le général apporte à Washington “son” rapport de combat, rédigé par les services de communication de la Maison-Blanche pour présenter “ses” recommandations de guerre à la Maison-Blanche, le tout étant destiné à une présentation devant un Congrès d’ores et déjà informé du contenu du rapport, des manipulations qui le caractérisent, des intentions diversement avouables, tout cela mis en condition et en musique par une presse elle-même manipulée ouvertement par les services de communication du Pentagone grâce à un récent “surge” de visites guidées de journalistes sélectionnés et avisés.
«Why anyone in the media or Congress takes this situation seriously as “news,” or even something to argue about, is hard to tell. Think of it this way: The most political general in recent memory has been asked to assess his own work (as has our ambassador in Iraq), and then present “recommendations” to the White House in a ''report'' that is actually being written in the White House. You couldn't call it a political version of “the honor system”; but perhaps the dishonor system would do.»
Il ne semble guère faire de doute que “Brand Petraeus” doive l’emporter devant un Congrès paralysé par ses propres contradictions, ses paniques électoralistes et sa solidarité de système, ses propres manipulations de la vérité, tout cela au cœur d’une “réalité” sans le moindre rapport avec celle de la guerre en Irak. Dès la semaine dernière, c’était devenu presque un jeu pour les commentateurs d’annoncer l’offensive victorieuse de “Brand Petraeus” à Washington et de décrire son déroulement, — dito, le victoire de GW Bush.
• Le 6 septembre, le célèbre éditorialiste de MSNBC Keith Olbermann annonçait que GW avait d’ores et djà gagné.
«Since last spring, the White House has been saying the nation should reserve debate about America's presence in Iraq and the possibility of withdrawal until after General Petraeus delivers his report on the effectiveness of the surge. However, according to Keith Olbermann, “Today we learned that by then it will have been too late. ... The president has already made up his mind. We are staying.”
»In an interview with USA Today on Wednesday, White House chief of staff John Bolten confirmed that “Bush wants to make ‘it possible for his successor — whichever party that successor is from — to have a sustained presence in the Middle East.’”
»“America's purpose in Iraq now officially, just to be in Iraq,” Olbermann commented.
»Olbermann's larger point, however, concerned the tactics by which the administration regularly avoids any debate of its policies. “Whether it be about disbanding the [Iraqi] army or about the surge, we have seen this congenital aversion to debate before,” he stated. “The shell game is an old and practiced one, the nation debating withdrawal while the administration has only seemed to.”»
• Le 2 septembre, dans un commentaire grinçant, notre ami “Fabius Maximus”, sur le site Defense & National Interest annonçait que le gouvernement des Etats-Unis avait réussi à maîtriser la fameuse guerre de 4ème génération (G4G) et qu’il avait par conséquent gagné la guerre en Irak.
«Every war has its surprises. The major experts on 4GW have so far accurately forecast the nature and trends of the Iraq War, but recent developments have disproved one of their most important beliefs: that America’s government, especially its military, would be unable to master 4GW.
»This is important news! I too believed it almost impossible, but recent operations have demonstrated that our senior political and military leaders have mastered the intricacies of their target’s culture, manipulating both old and new information media to shape the war’s outcome.
»This is bad news, as the target of these operations is us, the American people. The goal: to deceive the American public in order to maintain support so that the Iraq War can continue.
»They’ve succeeded, beyond what most critics of the war imagined possible. Polls show increased public support for the war. Pro-war geo-political and military experts exult at our success. Mainstream Democratic Presidential candidates grow even vaguer about their withdrawal plans.
»As usual in 4GW, the methods by which this was achieved are not new. Our government’s actions display many of the classic elements of agitprop, skillfully applied.»
Nous ne pouvons plus nous contenter de suivre les nouvelles, voire de les commenter avec sarcasme ou avec colère devant l’évidence de la manipulation virtualiste. Nous devons observer cette opération, ceux qui l’inspirent, ceux qui la réalisent et ceux qui la subissent, comme un fait politique en soi, sans rapport avec la réalité irakienne. Il faut se dégager de la tâche harassante de démontrer et démontrer encore qu’il s’agit d’un montage. (La plaidoirie et la démonstration de l’évidence constituent effectivement cette sorte d’exercice intellectuel harassant.) Il faut admettre l’existence de cet univers virtualiste d’une réalité vertueuse à laquelle même les plus endurcis finissent par céder et se prennent à croire. Il faut simplement observer ce phénomène et en mesurer les effets possibles.
On peut donc envisager le parcours probable de GW Bush à partir de cette réalité virtualiste qui devrait normalement s'imposer à Washington.
Il apparaît de plus en plus assuré que GW Bush, à moins d’un accident imprévisible (une chute à bicyclette, une blessure en sciant du bois dans son ranch, etc.), quittera en janvier 2009 la Maison-Blanche en laissant à son successeur une situation catastrophique en Irak, avec une armée US embourbée plus ou moins complètement dans cette catastrophe. Il n’y a pas de calcul machiavélique derrière cette prévision. Les experts qui vous expliquent que les USA veulent sciemment “organiser le chaos” en Irak pour pouvoir partir tout en empêchant une autre puissance d’y contrôler la situation sont trop intelligents pour comprendre cette époque et ce président.
GW Bush est un homme simple, avec une psychologie à mesure. Il n’y a aucune organisation dans cet esprit ni de place pour le débat, l’incertitude, l’appréciation, parce que toute sa psychologie est concentrée sur une seule idée. Il est par conséquent l’homme d’une seule idée, qu’il défendra jusqu’au bout, avec tous les moyens de la puissance de communication que détient son gouvernement. Cette idée, c’est sa grandeur même, sans aucun doute depuis le 11 septembre 2001, c’est la représentation qu’il se fait de la grandeur de sa mission et de la noblesse de sa fonction; cette idée, c’est la guerre en Irak dont il s’est persuadé, en plus des arguments rationnels qu’on a l’habitude de débiter à ce propos, qu’elle constituait le fondement de sa vision salvatrice de l’Amérique et de l’Occident chrétien; cette idée se traduit dans sa pratique politique par la nécessité de tout faire pour empêcher un retrait qui serait la trahison de ce fondement, donc de tout faire pour faire durer la guerre et obliger son successeur à la poursuivre après son départ simplement parce qu’elle sera toujours en cours. La tâche du gouvernement Bush et de son équipe de marketing (c’est la même chose : gouvernement égale marketing), est de faire croire que la phase actuelle (le “surge”) nous promet une victoire des USA dans un futur plus ou moins éloigné, qu’il s’agit par conséquent, par cette seule perspective, d’ores et déjà d’une victoire des USA. Pour l’heure, “Brand Petraeus” s’en charge — puisqu’il est “le Grant de Bush”, comme dit Bill Kristoll. L’affaire semble s’amorcer pour marcher comme sur des roulettes.
“Fabius Maximus” écrit : «Our primary goal in Iraq was to rebuild a strong and stable central government, preventing either a failed state (breeding ground for Islamic terrorists) or a satellite of Iran (making Iran the hegemon of the Middle East). Fragmentation of Iraq represents failure, making both these dangers more likely. Here we see near-genius at work. Actual defeat, failure to achieve important strategic objectives, becomes victory in the eyes of the American public.»
Le simplisme de la psychologie de GW, qui l’apparente dans l’environnement sophistiqué de Washington et de la civilisation occidentale à la psychologie sommaire de l’“idiot du village”, a eu raison de cette sophistication. L’homme ridiculisé, sans aucune autorité, bénéficiant (?) d’une extrême impopularité, considéré comme une intelligence sommaire justement, l’homme qui préside à un désordre exceptionnel du gouvernement des USA, qui est considéré avec mépris, cet homme s’est enfermé dans le seul rôle qu’il maîtrise. Il est donc l’homme de cette seule idée, l’idée sommaire à laquelle il s’agrippe sans s’intéresser le moins du monde à considérer la réalité et ses nuances. Il refuse que quiconque touche à “sa” guerre. A défaut de la guerre, il mènera cette idée à son terme. Les USA seront toujours emprisonnés dans la guerre en Irak quand il s’en ira.
Son “biographe” Robert Draper, un journaliste texan qui vient de publier Dead Certain, trace le portrait d’un homme seul et décrit la solitude du président. Draper suggère à GW Bush qu’«un président n’a aucune épaule sur laquelle il puisse pleurer». GW s’exclame, soudain furieux: il a Son épaule, il a l’épaule de Dieu sur laquelle il pleure! Et il pleure, my God … («Of course I do, I've got God's shoulder to cry on, and I cry a lot. I'll bet I've shed more tears than you can count as President.») Toute la grandeur sommaire et la philosophie à mesure du président se trouvent dans cette exclamation : il est seul, abandonné de tous, trahi et humilié par Washington («The guy who said “If you want a friend in Washington get a dog” knew what he was talking about»), — et Dieu sait s’il souffre de tout cela mais Dieu, justement, est avec lui. Alors, convenez que GW n’abandonnera pas et devinez qui l’emportera…
GW Bush, l’“idiot du village”, va l’emporter contre Washington D.C. et toute sa puissance. Il est en train de nous démontrer que sa faiblesse n’est qu’un composant parmi d’autres, qui rendent compte d’une faiblesse générale du système. A ce jeu, celui qui l’emporte est le moins faible de tous ou le faible le plus entêté. Le très-faible GW, l’“idiot du village” devenu président, a pour lui une idée primaire qui nourrit une volonté de fer, ou bien une idée de fer qui conduit une volonté primaire, et un seul but, — sa victoire à lui, qui consiste à faire durer cette défaite le plus longtemps possible. Le paradoxe est éventuellement à faire pleurer des larmes bien incertaines sur le sort de la civilisation. Il décrit dans tous les cas assez bien le sort étrange qui entraîne dans les profondeurs la plus grande puissance que l’Histoire ait connue.