Gorbatchev parle de Poutine, et de la Russie par conséquent

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Nos lecteurs ont déjà remarqué que nous avons, hors de toute considération politique partisane, une réelle affection pour Mikhaïl Gorbatchev. Le dernier dirigeant de l’URSS fut, selon nous, le véritable artisan de la fin de la Guerre froide (bien plus que les fariboles américanistes sur la course aux armements “forçant” l’URSS à évoluer puis à se désintégrer). Il le fut, notamment, grâce à sa poussée réformiste (perestroïka) et, particulièrement, le volet psychologique (glasnost) de cette poussée. Gorbatchev est à notre sens un des grands hommes d’Etat de la fin du XXème siècle.

Gorbatchev est resté très impopulaire en Russie, ce qui est une situation très ambiguë. Une telle impopularité ne contrarie évidemment en rien la justesse d’un jugement très positif qu’on peut porter sur lui; mais son intérêt est peut-être d’avancer l’hypothèse qu’elle porte surtout sur le fait que Gorbatchev est perçu comme l’homme qui a liquidé l’URSS. S’il l’a fait, ce fut parfaitement involontaire, et d’ailleurs autant à cause des pressions de Eltsine et de l’Occident aux moments cruciaux de l’événement (en 1990). Gorbatchev regrette cette disparition et remarque, par référence à la situation actuelle, que l’URSS en tant que structure de stabilité aurait pu être sauvée: «Bien sûr, c’est intéressant de remarquer que… quand la perestroïka a démarré [en 1985], j'ai commencé… avec un prix du pétrole à 10 ou 12 dollars le baril… [Avec] un baril à 30 dollars, la perestroïka aurait été protégée.»

Cette remarque vient d’une longue interview de Gorbatchev par Ulysse Gosset, diffusée sur la chaîne France 24, hier 9 novembre. Novosti publie ce même 9 novembre des extraits de l’interview. Il est intéressant d’entendre ce que Gorbatchev pense de Poutine, ses rapports avec lui, ses considérations sur l’état et l’évolution de la Russie. Bien entendu, le jugement de Gorbatchev fait bonne et prompte justice de toutes les jérémiades occidentales et intéressées sur la stature morale du président russe.

«— Des regrets?

»— … D’abord l’effondrement de l’Union Soviétique! On a été en retard avec les réformes : les gens étaient pour les réformes et en même temps ils voulaient préserver l'Union Soviétique. Presque 78% ont voté pour préserver l’URSS… Donc, c'est le premier regret j’ai pris du retard dans la réforme du parti qui est devenu un frein à la perestroïka. Il y encore beaucoup de regrets… Raymond Barre… m’a dit un jour : “Ecoute Mikhaïl, Vladimir Poutine affronte une situation très dure. Dans des cas pareils, dans n'importe quel système, pour réussir, on ne peut tenir sans avoir recours à des mesures autoritaires”! Mais autant que je connais Poutine, il ne va pas instaurer de régime autoritaire. Je peux dire que Poutine a ses problèmes, parfois il fait des erreurs mais il avance dans la bonne direction… C’est vrai, il a parfois des actions autoritaires, mais après Eltsine l'armée était sur le point de se décomposer, les services sociaux, la médecine, les écoles ne fonctionnaient plus…Qu’est-ce vous voulez qu’il fasse, qu’il suive les manuels de savoir vivre ?....

»— Quels sont vos rapports personnels avec Vladimir Poutine?

»— On n'est pas de proches amis mais… nous avons confiance l'un dans l'autre. Parfois, quand c’est nécessaire pour l’un ou pour l’autre, on se rencontre, mais je ne suis pas son conseiller. Quand je considère qu'il faut que je dise quelque chose, je le dis ouvertement via la presse.

»— Quand Vladimir Poutine restreint les libertés d'opinion, quand il y a des emprisonnements d'opposants, on a vu le meurtre d'Anna Politkovskaïa qui n'est toujours pas résolu, vous n'êtes pas critique sur l'absence de démocratie? Sur ces questions-là, est-ce que vous n'êtes pas inquiet pour la démocratie en Russie et certains disent même que Poutine est un nouveau dictateur, qu'est-ce que vous en dites?

»— Je ne suis pas de cet avis. Poutine est un homme qui a une attitude très sérieuse vis-à-vis de ses obligations présidentielles. Il a sorti la Russie du chaos… J'ai beaucoup réfléchi sur qui critique qui, quand et pourquoi. Vous savez, pendant l’époque Eltsine, les gens pendant des mois où même des années ne touchaient pas leur salaire. Si cela s'était produit en France…, les Français auraient balayé le gouvernement !..

»Je pense que Poutine réagit à la critique de façon sérieuse. Il m'a dit qu’il est pour la presse libre, mais une presse responsable. Je crois que c'est la bonne attitude parce que la presse, parfois fait n’importe quoi… Poutine rencontre la presse plus que moi…; il travaille beaucoup avec la presse et c’est bien.

»— Et Anna Politkovskaïa ?… Vous pensez qu’on va trouver l’assassin?

»— J'aimerais mais jusque là beaucoup de meurtres n'ont pas été élucidés et la question est de savoir qui est le meurtrier si on ne peut pas le prouver. Alors, j'espère qu'il sera retrouvé et je crois que l’intention de Poutine c’est aussi qu'il faut absolument trouver l'assassin.

»— Si Vladimir Poutine n'est pas responsable de cette situation vis-à-vis de la presse et si, néanmoins, Anna Politkovskaïa a été assassinée, ça veut dire qu'il ne contrôle pas complètement la situation?

»— Je crois que c'est la responsabilité aussi bien de la société que du pouvoir…. Tout le monde pense que nous avons beaucoup progressé sur la démocratie. Nous sortons seulement de la période de transition pour aller vers des institutions démocratiques… Les Américains disent qu'ils veulent la même démocratie que chez eux mais moi je suis ravi !.. Nous sortons à peine de 70 ans d'un système qui était totalitaire, qui réprimait toute forme de démocratie !.. Alors, attendez, soyez patients…

»— Je vous propose maintenant de voir les résultats d'un sondage… [qui] montrent que pour la majorité des sondés, la Russie redevient une grande puissance... Vous êtes satisfait, vous êtes fier?

»— Ce n'est pas une question de fierté. Le pays s'est relevé, il va de l'avant et cela se produit parce que les gens arrivent à résoudre leurs problèmes… et, bien sûr, la conjoncture était très favorable. Je pense que c’est Dieu qui aide la Russie à sortir de la crise. Il faut se souvenir qu’en Occident et en Orient, nos amis n'étaient pas très inquiets de la situation en Russie et ils applaudissaient Eltsine. On voyait, nous, que ça allait mal et l'Occident applaudissait! Alors, je me suis demandé ce que voulait l'Occident… Moi je suis très content qu’on se soit débarrassé de Eltsine, il est parti lui-même, il n’y avait que 2% de Russes qui le soutenaient… Maintenant, la Russie s'est relevée, elle reste la Russie, elle a son expérience, sa culture, son histoire pour participer à tous les processus mondiaux et l'absence de la Russie quand elle était en crise, c'était très mauvais pour la Russie, pour l’Europe et le monde. Mais maintenant, la voix de la Russie est écoutée… et la Russie accepte cette responsabilité… La Russie va être un partenaire fiable et stable mais c'est peut-être intéressant pour l'Europe de parler du chantage énergétique de la Russie… Je ne sais pas qui est l'otage de qui... Ce qui est important pour nous, c'est que nous sommes des amis, des partenaires historiques. Il faut qu'on fasse du commerce ensemble et que la Russie remplisse ses obligations.

»L'Occident nous critique: pourquoi vendons-nous à l'Ukraine, à la Moldavie, à la Biélorussie, à la Géorgie, le gaz à moitié prix? Le marché doit être le même pour tous. On prévient nos partenaires un an à l’avance… mais les autorités suprêmes de ces pays disent: “La Russie ne peut pas augmenter les prix, nous sommes frères”… On commence à prendre des mesures concrètes. A ce moment-là tout l'Occident s’insurge pour défendre l'Ukraine, la Biélorussie… Je vous confirme que La Russie est un partenaire fiable… Il ne faut pas mettre la Russie dans une situation difficile. Il n’y a aucun plan machiavélique…»


Mis en ligne le 10 novembre 2007 à 10H53