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192218 février 2017 – Depuis quelques temps, une-deux semaines, je me suis mis à l’ouvrage pour suivre un peu plus régulièrement la campagne de l’élection présidentielle française qui ne m’intéresse que dans la mesure où elle justifierait, et surtout comment elle justifierait la place qu’on lui accorde en général, y compris extra-muros des salons parisiens, dans l’immense dynamique en cours dans notre Grande Crise Générale (ou Grande Crise de l’effondrement du Système, l’expression variant un peu selon les jours et les humeurs, mais l’on comprend, si l’on ne fait pas trop la bête, de quoi je veux parler). J’ai donc entendu à plusieurs reprises, et donc observé comme un fait avéré, que le terme “anti système” ou éventuellement “anti-système” avec tiret si l’on est plus audacieux, selon l’orthographe telle qu’ils l’utilisent, est employé très couramment sinon avec une exagération révélatrice.
Il s’agit d’une mode, d’un néo-conformisme de circonstance et d’opportunisme si l’on veut, au point que des amateurs de paradoxe se jugeraient “révolutionnaire“ et “anticonformistes” en se disant “pro-système”. (Je crois bien qu’il y en a dans ce genre, j’ai entendu la chose au moins une fois.) Pour mon compte et sans étonner personne je pense, toutes ces expressions font partie de ce que je nommerais “l’écume des jours”, variations de type-“dir’com”, toutes en apparence et au goût du jour sinon de l’heure en prime time, pour sacrifier à ce qu’on croit percevoir comme une attente psychologique d’un public de plus en plus insaisissable, pour “rester dans la course” ou comme on disait autrefois (je ne sais si cela se dit encore) “rester dans le coup”.
Il s’agit d’un événement tout en surface et d’une piètre profondeur, une manifestation de plus du Rien comme pure production du Système. Il n’empêche que cet événement a une signification ; s’il est un embrun de l’écume des jours, celle-ci, l’écume des jours, est une conséquence, dérisoire mais conséquence tout de même d’un formidable ouragan, avec les lames tempétueuses qui vont avec, qui secoue effectivement le bloc-BAO et par conséquent le Système. Dont acte de ceci qui est n’est pas sans signification : la crise du Système, qui est d’une profondeur catastrophique et insondable, est la vérité-de-situation qui écrase notre temps ; elle est si prégnante, si puissante que la mode elle-même, c’est-à-dire l’univers fictif du Système, est obligée de singer une préoccupation sous une forme dont on comprend qu’elle n’est que d’apparence et d’opportunisme, – qu’importe, il faut singer... On comprend par conséquent que, dans ce cas, un nombre écrasant de ceux qui se disent ou sont dits “anti système”/“anti-système” ne sont évidemment que des simulacres de la chose. (Pour autant... on verra plus loin.)
Quoi qu’il en soit, cet emploi de mode et de dérision de l’expression “anti système”/“anti-système”, auquel des lecteurs peuvent n’être pas insensibles et peut-être dans un sens défavorable par rapport à l’emploi qui en est fait sur ce site, m’a donné l’idée de proposer une genèse de l’emploi de l’expression dans dedefensa.org. L’idée se justifie par l’emploi considérable qui est fait, dans nos textes, de l’expression, avec l’orthographe profondément modifiée et pour des raisons essentielles, d’“antiSystème” (expression devenue mot que nous avons décrété invariable, c’est-à-dire immuable). Il s’agit à la fois de remettre les idées en place et de se compter pour ce que nous sommes, ici, sur ce site, et dans ce cas de le faire selon notre propre chronologie. Je n’ai utilisé pour cela que le “moteur de recherche” du site, sans autre sophistication, y compris mémorielle.
Le fait est alors que la première fois qu’est recensé l’emploi de l’expression, l’est à propos du républicain-libertarien Ron Paul, le 24 juillet 2007 (« ...ce candidat “marginal” par excellence devient de plus en plus précisément le candidat anti-système, avec notamment la difficulté de rassembler sous son nom des électorats de tendances très variées, certains originaux, certains contradictoires, certains infréquentables... »). L’emploi est anodin, sans explication autre qu’une éventuelle évidence...
La première fois que ce qui est encore un concept peu élaboré, sous sa forme grammaticale initiale, est cité dans un titre l’est pour un texte du 30 septembre 2008. Il s’agit de l’événement du vote de la Chambre des Représentants US contre l’aide d’urgence proposée par le secrétaire au Trésor Paulson (ancien de Goldman-Sachs) de l’administration Bush, pour venir en aide aux banques de Wall Street plongées dans la catastrophe crise financière du 15 septembre 2008. Je cite les deux derniers paragraphes, justifiant le titre (« Finalement, un vote “anti-système”? »), et qualifiant de la même vertu a-posteriori, en en faisant un parallèle, le vote français au référendum sur la Constitution européenne du 29 mai 2005 :
« Le système US, dont on sait l’affirmation théorique de quasi-perfection qui accompagne l’appréciation qu’on en a en général, ne fonctionne qu’avec des arrangements constants dont le caractère démocratique peut être discutée simplement parce qu’ils sont profondément discutables. Dans ce cas, il s’agit bien d’un de ces votes “démocratiques” qui prennent tous nos théoriciens de la vertu démocratique de court qui a eu lieu hier soir, – encore une fois en mettant à part toutes les arrière-pensées, les manœuvres, la véritable situation des élus, etc., qui l’ont accompagné. Certains pourraient voir dans ce vote, dans les circonstances extrêmes où il a eu lieu, une allure involontaire de vote “anti-système”, un peu comme on pouvait interpréter le vote français au référendum de fin mai 2005.
» ...Car enfin, la Chambre a voté contre Wall Street, contre la rétribution éhontée des catastrophiques pratiques de la finance sans contrôle, de la finance-gangster qui mène le monde et qui est responsable à 100% de la crise actuelle. Il s’agit d’un vote “populiste” dans le sens US du terme, essentiellement initié par les républicains en général perçus comme réactionnaires, soutiens de la guerre en Irak et de la folle politique belliciste de GW Bush. Les stéréotypes nous donnent bien du tracas, dans cette époque complètement déjantée. Ils en donneront aussi aux candidats à l'élection présidentielle, entre un McCain qui a failli se prononcer contre le plan Paulson et qui l’a finalement soutenu, et un Obama qui se pose en représentant du petit peuple et qui se retrouve tributaire d’un choix (nettement en faveur du plan Paulson malgré toutes les réserves d’usage) perçu comme soutenant Wall Street et battu en brèche par la Chambre… 72 ans pour 72 ans, on se demande effectivement ce qu’attend Ron Paul. »
A partir de là, le concept est installé, l’idée ne nous quittera plus, ici à dedefensa.org, tout en recherchant constamment à l’explorer, à la préciser, à la raffiner. Le 10 décembre 2010, il y a une évolution grammaticale décisive qui entérine ce qui avait été identifié comme un événement “anti-système” (“antisystème”) majeur, la première campagne organisée et coordonnée de diffusion de document secrets (US) par WikiLeaks, et cela en passant au terme de l’événement à l’orthographe que nous utilisons désormais : « Des “antisystèmes” aux “antiSystème” ». Le Glossaire.dde du 27 juillet 2016, qui est une reprise pour une définition générale du concept, explique précisément cette orthographe :
« L’article référencé plus haut de décembre 2010 porte justement comme titre : « Des antisystèmes” aux “antiSystème” ». Dans notre toute première approche, qui s’était faite d’une manière intuitive sans que la raison explore la voie indiquée par l’intuition, nous étions simplement enclins à écrire “anti-système” avec un tiret. Très vite, le tiret disparut.
» Voici donc le terme essentiel d’“antiSystème” : nous le tenons comme invariable, nous ne nous embarrassons nullement de tiret (anti-Système) et nous tenons comme condition sine qua non que le “S” de Système est une majuscule parce qu’il s’agit “du Système”, de “notre Système”, du seul et unique, né du “déchaînement de la Matière”... Nous parlons ici, à ce point, de la “fonction antiSystème”... »
On comprend que je ne vois rien, absolument rien de similaire entre ce concept d’antiSystème et la vertu “anti-système” dont se pare tel ou tel candidat dans la campagne des élections présidentielles françaises en cours. Je reste sur cette définition très strictre de notre “antiSystème”, ici à dedefensa.org, autant que sur la latitude considérable que l’on se donne, avec les arguments à mesure, de distinguer ce qui l’est et ce qui ne l’est pas, et qui l’est et qu’il ne l’est pas.
Je rappelerai encore une fois l’extraordinaire souplesse et la remarquable agileté du jugement parce que le fait de l’antiSystème n’est en rien un acte constructif et identifiable selon des formes strictes, ni en rien un acte à “effets directs”, ni à “effets nécessaires” dans la conception, ni en rien un acte nécessairement éléboré, ni en rien nécessairement conscient, etc. L’antiSystème est le domaine le plus vaste qu’on puisse imaginer puisqu’il se nourrit littéralement du réflexe de résistance au Système, et qu’il existe donc potentiellement partout où existe le Système, c’est-à-dire dans chaque lieu et chaque occurrence du monde. (Effectivement, notre “contre-civilisation” est bien la condition de l’univeres entier.)
L’antiSystème n’appartient à personne même si certains sont ontologiquement antiSystème et ne peuvent rien être d’autre, et même s’ils sont conscients de cela. Ce raisonnement au-delà de la logique et manoeuvrant dans l’inversion peut aller jusqu’au plus grand paradoxe, aujourd’hui illustré de façon éclatante par Trump : personnage absolument né du Système, qui reste totalement dans le Système, et qui pourtant, à cause des choix qu’il a fait sans la moindre conscience des effets, s’est entièrement plongé dans la fonction antiSystème sans en savoir rien ; plus encore, c’est-à-dire moins... Au moins Trump réussit dans son entreprise qu’on croirait “anti-système” (moi le premier, à l’occasion tactique), au plus il est antiSystème parce que l’effet produit est la pire chose que puisse craindre le Système : le désordre (déstructuration, dissolution, etc.), qui est l’arme favorite du Système pour détruire le monde, qui s’installe en lui-même pour le détruire, lui le Système, c’est-à-dire l’autodétruire. Quoi que j’en puisse faire comme commentaire tactique, je dois affirmer absolument, du point de vue fondamental de la stratégie générale de la Grande Crise d’effondrement du Système, que si Trump réussissait, s’il parvenait à rendre les USA “Great Again”, avec tout ce qui va avec, y compris les meilleurs rapports du monde avec la Russie, ce serait alors que le Système l’aurait emporté contre la fonction antiSystème qu’il (Trump) nourrit présentement et généreusement... Parce qu’enfin, si tout n’est pas accompli, – Delenda Est Systema dans sa totalité, – rien n’est accompli. (Guynemer, cet ange innocent et fragile au regard fièvreux marqué de la pure angoisse de son destin inévitable, disait comme une évidence qui doit nous éclairer : « Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné... »)
Cela me conduit par ailleurs à observer, pour en revenir et en finir avec mon sujet de départ, que, pour autant, je ne juge certainement pas sans signification intéressante tout ce brouhaha de la campagne présidentielle française, même s’il ne s’agit que de “l’écume des jours” et des fleurs de rhétorique des démagogues qui me font en général enrager. Quelles que soient leurs pensées profondes, – je veux dire “cachées” bien plus qu’“approfondies”, – quels que soient leurs automatismes de récupération, quelle que soit leur fidélité aveugle au Système, quelle que soit leur ignorance complète de ce qu’est précisément le Système et cela justifiant l’aveuglement de la fidélité, quel que soit..., etc., reste le fait que la mode “dir’com” elle-même s’est trouvée forcée et justifiée d’exploiter ce filon. Il est donc devenu “de bon ton” d’être “anti-système” ? Ainsi soit-il.. L’on sait, depuis La Fontaine, qu’à force de crier “au loup” sans véritable raison de le faire, on finit par faire venir le loup sans prendre garde, sans le voir venir, sans rien du tout, et passez muscade ; car l’antiSystème est un loup pour les agneaux du Système...
Car pour moi, voyez-vous, les braves petits moutons qui se déplacent en rangs moutonniers et suivent les consignes “dir’com”, ce sont nos malheureux dirigeants-Système et nos pauvres élites-Système. Je ne suis pas du parti qui considère les électeurs comme constamment grugés, chaloupés, menés par le bout du nez ; ceux-là, les électeurs-en-colère à chaque tour de scrutin, ils enragent, ils fulminent, ils votent en se bouchant le nez tellement pue la chose immonde. (Steinbeck pourrait bien avoir voulu dire ceci : peu importent les raisons de la colère, seule importe la floraison des Raisins de la colère.) Les derniers croyants du Système, ce sont nos braves candidats, qui tentent de se forcer à y croire pour faire croire aux autres qu’il faut encore y croire, et pourtant forcés, malgré tout cela et en pure inversion, de s’enorgueillir d’être soi-disant “anti-système” sans y rien comprendre, ni au pourquoi ni au comment... Un jour, dans cet univers effectivement de la pure inversion, ils se réveilleront purs antiSystème sans avoir rien vu venir.