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1528Nous avons eu, ce 19 janvier, une phase intéressante de la guerre qui se développe sur l’Internet, dont la description renvoie sans aucun doute à la définition la plus large possible de la “guerre de 4ème génération”. (Nous rappelions la définition de la G4G, son universalité, sa diversité, dans un texte sur la crise iranienne et du Golfe, le 12 janvier 2012.). Cette passe d’armes suivait la journée d’action de grève du 18 janvier (voir le 19 janvier 2012) contre les lois SOPA-PIPA. Barrett Brown, un proche d’Anonymous a observé, commentant la riposte d’Anonymous à un raid des autorités fédérales US contre le site de service Megaupload : «This is a war they plan on fighting until the end and so do we…». Par war, il faut sans aucun doute entendre G4G, car il s’agit bien de cela.
Brown parlait à Russia Today, qui suit bien les péripéties de cette nouvelle forme de G4G. RT publie deux textes sur l’événement qui nous importe ici, dont celui de ce 20 janvier 2012. Le récit des opérations, attaque et contre-attaque, est intéressant.
«Federal agents executed a crackdown on the files sharing website Megaupload on Thursday. The response, you could say, was not minor.
»Authorities attest that Megaupload, at one point the fifteenth most popular site on the Web, was guilty of costing copyright holders upwards of $500 million in lost revenues because users of the service can easily and freely upload and distribute pirated material. Four people were arrested in New Zealand Thursday as part of the sting, which also yielded the site going offline.
»Given that Megaupload boasts an audience of 500 million users daily, a reaction was expected. Only minutes after the Web began digesting the news, that response came by way of thousands of upset users, many aligned to the online collective Anonymous. The attack started swift and strong and only grew. First fell the website the US Department of Justice, justice.gov. Next was the site for Universal Music Group, a SOPA supporter and the largest record label in America.
»Over the course of a few hours, hacktivists involved with the loose knit group Anonymous waged attacks on site after site, and before long the web presence for the Recording Industry Association of America (RIAA), Motion Picture Association of America (MPAA), Broadcast Music, Inc., or BMI, and finally FBI were down. Anonymous calls it the single largest Internet attack in its history, and it crippled the biggest sites for the US government and entertainment industry.
»To those close to Thursday’s campaign, it not only was a necessity but it was only the first step in a battle that’ll continue for a while to come.
»“Obviously, this couldn’t have come at a worse time in terms of the government’s standpoint,” Barrett Brown says calmly from Texas. Speaking to RT from Dallas, the founder of Project PM and frequent Anonymous collaborator says that it is a terrible case of happenstance that federal agents went after Megaupload only hours after the thousands of sites protesting in an anti-SOPA blackout went back online. Web surfers were by-and-far ready to defend an open Internet, and Brown says that the feds “could not have chosen a worst time to take down Megaupload.” “It was in retaliation for Megaupload,” he says of the attack, which involved thousands of operatives going after numerous sites linked to both the federal government and entertainment industry.
»“There are a number of targets, high profile targets, that were taken down,” says Brown. In addition to the sites for the FBI, RIAA, the DoJ and BMI, other assaults were launched against the official site for the White House.»
L’intérêt supplémentaire de la chose, qui est tout à fait caractéristique d’une phase de la G4G, est que les intérêts, les orientations, les domaines concernés, sont tous marqués par le paradoxe, la contradiction, le mélange des genres et ainsi de suite. Résumons par trois mots : désordre, désordre, désordre... Ainsi, la prise de position anti-SOPA-PIPA de BHO, selon une rhétorique quasiment progressiste qui dénonce la censure, avec les intérêts qui vont avec le président en phase de tentative de réélection, heurte de plein fouet Hollywood, important pourvoyeur de fonds pour le président, et résolument progressiste lui aussi (dito, Hollywood). C’est que, dans ce cas très compliqué, là où BHO prétend défendre la liberté contre la censure, Hollywood prétend défendre la liberté de ses intérêts “artistiques” (droits d’auteur, notamment) contre le piratage illicite sur Internet. Les vertus s’entrecroisent et s’entrechoquent dans un bruit de tonnerre et de ferraille “bling-bling”. Résultat : désordre, désordre, désordre…
RT, à nouveau, consacre un texte à cet improbable et impensable affrontement entre Hollywood, qui proclame les vertus du progrès, de la liberté et du multiculturalisme, et ce président, symbole on ne peut plus incontestable du multiculturalisme, qui prétend défendre les vertus du progrès, de la liberté, etc. (le 20 janvier 2012).
«After US President Barack Obama demanded revamped provisions in the controversial Stop Online Piracy Act, or SOPA, Los Angeles film executives are rescinding their support of the commander-in-chief. While Hollywood hot-shots were in the past major contributors to the 2008 campaign for Barack Obama, movie execs are heated up over the presidents halting of SOPA. On the West Coast, filmmakers and affiliated are insisting that the move is a major blow to the movie industry and it will only further encourage an Internet already ripe with pirated motion pictures.
»Under the proposed SOPA legislation, both websites and Web surfers involved in sharing copyrighted material would be imposed with hefty fines and imprisonment, imposing a government-sanctioned firewall of sorts to shut down a large chunk of the Web. Advocates for an open Internet have protested in droves against both SOPA and its sister legislation, the Protect IP Act, or PIPA, and a massive campaign against them both on Wednesday this week brought thousands of websites down to show the impact the laws could have. Search engine giant Google warned users of the acts’ implications on Wednesday, and both Wikipedia and Reddit turned their sites black for the day. On Twitter, users used the microblogging sight to tweet opposition to SOPA and for a while the term “Save Porn” became the top trending topic in America, as passed legislation would no-doubt cripple the online adult entertainment industry.
»Although Obama has won the favor of much of Silicon Valley by striking down SOPA for now, downstate in the Hollywood Hills, executives are furious that the president has put his foot down on the legislation, potentially allowing for the sharing and pirating of films to continue endlessly…»
On apprend d’ailleurs, en poursuivant ce texte, et cela comme une somptueuse cerise sur le gâteau : 1) qu’Hollywood a dépassé Silicon Valley d’un $million dans ses donations au parti démocrate (et donc au président), au 31 décembre 2011
Proposons une transition à ce point, pour reprendre notre souffle et pour mieux réunir ces divers évènements dont les péripéties semblent éloignées et renvoyer à des domaines différents, et qui concernent pourtant le même domaine du formidable désordre qui envahit, comme une marée grondante, ce crépuscule de notre contre-civilisation et, particulièrement, cette année 2012 qui commence au grand galop de l’apocalypse chaotique. Ce qui est révélateur dans les deux épisodes, c’est la disparité des domaines qu’ils abordent, dans un enchevêtrement de désordres divers, et, en même temps les processus semblables qu’ils suivent, en se conformant aux “règles” de désordre définissant le G4G en tant que “guerre” asymétrique et postmoderniste, – “guerre” qui n’a même pas besoin de faire “pan, pan, pan” pour être guerre effectivement.
La disparité des domaines ne permet plus d’identifier politiquement ou moralement les acteurs, en “bons” et “méchants”. Ils sont tous, à la fois, “bons et méchants”, c’est-à-dire qu’ils présentent eux-mêmes des identités politiques et morales confuses. Hollywood est d’une part une citadelle du libéralisme type-US, c’est-à-dire s’affirmant progressiste, avec, parfois, sur sa marge, des productions qui sont proches de la “dissidence”. Politiquement, Hollywood se situe glorieusement et emphatiquement “à gauche”. Dans ce cas envisagé ici, Hollywood s’appuie sur un principe qu’il juge vertueux, qui est celui de la défense des droits d’auteur, – et l’on observe qu’il ne s’agit pas de l’argument du seul et détestable “Hollywood-industrie du cinéma”, machine américaniste par excellence, mais que cette démarche est appuyée par ceux (acteurs, réalisateurs) qui prétendent au statut d’artistes, dont certains (bis repetitat) parfois proches de la “dissidence”. Pourtant, Hollywood appuie les lois scélérates dont on démontre aisément qu’elles ont un considérable potentiel de censure (contre lequel s’élèvent les “proches-de-la-dissidence” du cinéma). Ainsi en est-il de tous les participants, à l’intérieur du Système puisque cet épisode se situe effectivement dans ce cadre. Même Anonymous pourrait se voir reprocher certains comportements d’illégalité, de piraterie de productions de gens qu’on pourrait juger honorables puisque “artistes”, etc. Par conséquent, cette sorte d’analyse est bien faite pour démontrer sa propre inutilité et sa propre fausseté.
Ce qui nous importe alors est de juger en termes de structuration et de déstructuration, et selon une logique inversée : tout ce qui déstructure est bon, parce que toutes ces opérations se déroulent dans le cadre du Système, structure fondamentale par définition (et, bien entendu, structure absolument subversive), – donc structure à déstructurer absolument. Dans ce cas, le jugement est complètement différent… Tous les acteurs, y compris les stupides “fédéraux“ intervenant à un moment incroyablement mal choisi pour leur cause (en marge de la grève), produisent un effet à solde net largement déstructurant, donc très largement positif. Le résultat est donc particulièrement glorieux puisque cette somme déstructurante s’effectue nécessairement contre la structure subversive suprême qu’est le Système. D’autre part, c’est le Système lui-même qui suscite ces affrontements confus et contradictoires, et il s’avère donc qu’il est déstructurant pour lui-même et, au-delà, dissolvant pour lui-même. La dynamique de surpuissance du Système est donc plus que jamais en cours d’évolution transformatrice, à toute vapeur, vers l’autodestruction.
Ce spectacle général se déroule dans le cadre de l’Internet où l’on voit confirmée l’absence de toute règle structurante, c’est-à-dire l’absence de tout principe régulateur qui pourrait figurer comme un simulacre de principe structurant positif (souveraineté, autorité, légitimité et donc légalité, etc.). Par le jeu des positions relatives, on voit que la dynamique d’Internet, quels que soit le sens des choses et l’identité des acteurs, est profondément déstructurantes et que cet effet s’exerce nécessairement contre le Système, qui est la structure dominatrice où même Internet se situe, disons par nécessité et par évidence. Ce caractère déstructurant s’impose donc comme absolument vertueux parce qu’absolument antiSystème. Le caractère d’affrontement direct, d’attaque et de contre-attaque, avec les prises de position autour, confirme une situation de “guerre” qui est effectivement de type-G4G, c’est-à-dire se déroulant de façon asymétrique et anarchique, mais pourtant avec des références claires a contrario, – c’est-à-dire en se référant de facto au caractère subversif de la puissante structure qu’est le Système, et produisant des effets déstructurants sur cette structure subversive. Le désordre général est la marque de cet affrontement, et une marque profondément vertueuse puisqu’il devient rapidement impossible, dans le chef du Système, d’identifier quel est l’adversaire, ou quel est “l’adversaire le plus dangereux”, etc., jusqu’à la paralysie et l’impuissance complètes du Système. L’épisode achève de nous représenter cette “guerre” de type G4G qui se déroule dans le réseau Internet et autour, comme le type de conflit antiSystème par excellence. Et plus l’on est de fous, – Hollywood, le Congrès, Anonymous, Obama, SOPA-PIPA, Silicon Valley, l’Internet et la censure, les “fédéraux” déguisés en Keystone Kops, – plus l’on rit…
Mis en ligne le 20 janvier 2012 à 11H32