Internet versus SOPA-PIPA et notre “appel du 19 courant…”

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Comme l’on sait, le 18 janvier 2012 fut un jour historique en ceci qu’il a marqué la première “grève” massive et coordonnée sur le réseau Internet, essentiellement par le blackout volontaire, ou des dispositions apparentées, d’un nombre élevé de sites et d’organisations de service, dont quelques-uns des plus importants en termes quantitatifs, essentiellement aux USA. D’autres ont soutenu cette “grève” tout en continuant leur travail, parce que ce travail essentiellement d’information est impératif et essentiel dans la bataille générale qui est, selon certains, engagée contre le Système par le biais d’Internet. Ce dernier point rejoint à peu près notre jugement et notre attitude, même si nous nous plaçons, dans ce cas précis de l’événement du 18 janvier, à la périphérie d’une bataille spécifique dont le centre effectif est la système de l’américanisme, et précisément le Congrès des États-Unis, qui débat de deux lois (SOPA et SIPA pour Stop Online Piracy Act et Protect IP Act) dont l’application contient toutes les possibilités de censure possible, et cela, nécessairement, en violation de toutes les considérations de souveraineté par rapport aux espaces et aux entités politiques considérés. Il n’y a aucune surprise à manifester, ni même d’indignation particulière à avoir vis-à-vis de ces projets ; il y a déjà plusieurs années que l’on a pu commencer à se convaincre que les représentants théoriques de la légalité et des souverainetés dans les pays du bloc américanistes-occidentalistes, sont devenus, par un processus d’inversion significatif, les agresseurs et les liquidateurs directs de ces valeurs, et cela est particulièrement évident dans le cas du Congrès des USA. Corrompus vénalement et surtout psychologiquement, irresponsables, aveugles, ces centres de pouvoir sont devenus les outils et les serviteurs d’un Système nihiliste qui manifeste une dynamique de surpuissance se transformant très rapidement en dynamique d’autodestruction.

Si l’essentiel est ainsi dit, il reste à mesurer certaines modalités qui ne sont pas rien. Tous les participants à cette grève n’avaient pas les mêmes points de vue, ni même, il s’en faut de beaucoup, les mêmes attitudes vis-à-vis du Système. Nous l’avions déjà signalé dans notre texte, en Ouverture libre, le 18 janvier 2012, en donnant l’exemple d’une déclaration d’une porte-parole de Google, confirmant la participation de cette société à la grève mais en signalant que sa protestation ainsi affirmée concernait plus les modalités des lois en question que le principe de censure que ces lois manifestent subrepticement. Lorsqu’on déclare qu’il existe “des moyens sophistiqués et très précis de faire taire des ‘sites voyous étrangers’ sans avoir à demander à des compagnies américaines de censurer l’Internet” («Like many businesses, entrepreneurs and Web users, we oppose these bills because there are smart, targeted ways to shut down foreign rogue websites without asking American companies to censor the Internet»), le moins qu’on puisse dire est qu’on ne s’oppose pas au principe de la censure basé sur la vertu de l’américanisme et l’identification sans coup férir, à peu près comme font les drones-tueurs de la CIA, de la racaille (synonyme de “voyous”) non-américaniste. Google n’est pas dépourvu du trait psychologique spécifique à l’américanisme, que nous nommons “inculpabilité”. L’action de grève est belle et bonne per se mais les “compagnons de route” ne sont pas tous recommandables, de notre point de vue dans tous les cas, à l’aune de l’évidence de l’affirmation publique autant que de l’intuition qu’on en a sans aucun doute. Il faut au moins le savoir.

Cette dualité est parfaitement résumée, par exemple, par la passe d’armes entre Rupert Murdoch et Barack Obama, telle qu’elle est notamment rapportée par Russia Today le 17 janvier 2012.

«Despite being apparently smitten with the microbogging site as of late, Murdoch apparently doesn’t want to keep the Internet open for everyone. In a recent rant posted via a series of tweets, the News Corp. CEO came after US President Barack Obama for his position against both the Stop Online Piracy Act and the Protect IP Act. […] Murdoch, who has pumped massive amounts into advancing the bills, doesn’t quite agree with Obama. “So Obama has thrown in his lot with Silicon Valley paymasters who threaten all software creators with piracy, plain thievery,” Murdoch tweeted over the weekend. “Piracy leader is Google who streams movies free, sells advts around them. No wonder pouring millions into lobbying.”»

On sait qui est Murdoch et quelle stature morale lui permet d’avancer de telles accusations contre Obama, et l’on se dit qu’il n’est pas mauvais qu’Obama ait pris position contre SOPA et PIPA, les deux propositions de loi scélérates dont débat le Congrès. On sait également qui est Obama, et combien cette prise de position, dont on comprend les avantages électoraux pour son compte, ne l’exonère en rien d’être traître à toutes ses promesses, impeccable créature du Système et continuateur non moins impeccable de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” de son prédécesseur G.W. Bush, qui s’exprime par la guerre et l’agression permanentes. Bref et bis repetitat, il faut le savoir : cette grève et tout ce qui l’accompagne ne se décrivent pas par la seule et sainte image de la bataille de la vertu contre le vice.

Cela nous conduit à observer que cette éclatante démonstration de solidarité qu’a été cette grève dissimule à peine quelques chausses trappes et faux semblants de taille, et qu’il faut avoir ce constat à l’esprit. Par contre, on peut également observer qu’il n’est pas mauvais que ces deux lois soient tout de même l’occasion d’une “discorde chez l’ennemi” (symbolisée ici par la passe d’armes Murdoch-Obama) ; il ne faut pas trop en attendre, mais admettre qu’un peu plus de désordre dans les rangs des troupes du Système n’est pas une mauvaise chose ; et que ce désordre rend beaucoup, beaucoup moins aisées les actions de censure systématiques dont on sait déjà qui seraient les premières victimes. Cela nous conduit par conséquent à observer également que cette même éclatante démonstration de solidarité que fut cette grève ne règle en rien les véritables antagonismes, que l’Internet n’est pas une potion magique créant un esprit commun mais un outil général dont chacun use selon ses propres engagements. Prenons, dans cette affaire, ce qui est bon à prendre, et gardons-nous du reste.

Cela, enfin, “cette éclatante démonstration de solidarité qu’a été cette grève”, ne doit surtout pas faire oublier que les sites qui assurent une bataille sans merci contre le Système, avec leurs faibles moyens, et souvent en solitaire dans le sens qu’ils n’ont pas le soutien de puissantes organisations, n’ont pas vu un iota de leur situation changé pour autant. Faibles et solitaires ils sont, faibles et solitaires ils restent… Ils n’en méritent donc pas moins qu’avant-hier, et peut-être plus encore qu’avant-hier, d’être soutenus par ceux qui les suivent qui les lisent et qui y trouvent les aliments de leur espérance et de leur endurance pour poursuivre la bataille. Cela, on le comprend, c’est parler pour notre chapelle

…En effet, puisque le 18 janvier se place un jour avant le “19 courant” qui est le jour où nous rappelons l’attention de nos lecteurs à notre situation, et à notre campagne permanente de donation sur un rythme mensuel, – qu’il en soit donc ainsi, effectivement, et que ce 18 janvier globalisant nous permette d’introduire notre ”19 courant”. C’est dire que nous espérons et attendons avec confiance la manifestation de la solidarité de soutien de nos lecteurs, laquelle nous paraît plus sûre et plus vertueuse que celle qui s’est manifestée, dans tous les azimuts, lors de cette grève du 18 janvier. Nos lecteurs trouvent, bien sûr, dans le texte du bandeau et de la barre de comptage installée à partir de ce jour en tête de notre page d’accueil, toutes les précisions à ce propos.


Mis en ligne le 19 janvier 2012 à 04H38