Furieux comme Dieu en France

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Furieux comme Dieu en France

27 décembre 2019 –  L’autre jour (tiens, ce devait être le 23 décembre), je regardais mon réseau favori, – LCI et ses audacieux aventuriers, meilleur des réseaux pour ressentir ce qu’il en est de l’état d’esprit de nos élites, de nos zombieSystème ; donc, suivant LCI, il y était une fois de plus question de la question de la retraite et des retraites. Il y avait Serge Rafi, de L’Obs, le socialiste-PS Kalfon, Anne-Elizabeth Moutet, du Daily Telegraph, absolument parisiannisée, l’impayable Bernard Guetta devenu député européen du Macron’s Band. Ils étaient tous là, discutant retraite, humeurs françaises, feuille de route et éléments de langage, avec Guetta dans ses petits souliers, très inhabituel chez lui, parce que représentant le Macron’s Band dont tout le monde à la fois se gaussait et disait pis que pendre quant à sa maladresse pleine de fausses notes vis-à-vis du bon peuple.

Mais surtout, vous me croirez ou pas (croyez-moi, c’est plus simple et plus court), il y avait une masse pesante, un poids considérable qui les écrasait tous. Tous plus ou moins, une fois crié “Haro” sur le macroniste de service (l’indicible Guetta), tous avaient en commun un air catastrophé, une expression d’impuissance, confusion et anxiété mêlées, justement peinant sous cette masse qui les écrasait… En même temps s’égrenaient les signes de l’incompréhensible soutien dont bénéficiaient les grévistes qui, en faisant grève, rendaient si pénible la vue des quidams ; et pourtant non, cagnottes, sondages, etc., tout dans le public tendait à leur être plutôt favorable, et cela aussi était un grand motif d’angoisse et d’incompréhension des débatteurs autour de la table.

Bien sûr, je prends un exemple, je pourrais en prendre dix, cinquante, que mon sentiment et mon commentaire seraient semblables.

Mais ce dont je ne reviens pas et qui me met dans de grandes et graves incertitudes, c’est essentiellement ce contraste qui devrait à chaque seconde soulever toutes les interrogations du monde à propos de ce dont ils débattent… Contraste entre, d’une part, l’incroyable et complexe technicité que prend souvent et nécessairement ce débat sur les retraites, dans une tournure qui devrait m’en détourner à jamais ;et d’autre part, pourtant et en même temps, cette façon faite pour me fasciner dont ce même débat exsude une angoisse presque palpable chez les intervenants, qui ne concerne certainement pas les seules retraites mais un climat général, non seulement du pays, mais de l’époque et du monde. Cela vient par bribes furieuses, par éclairs éblouissants, au sortir d’un échange épuisant sur les points et les âges-pivots, soudain une remarque sur ce désordre, cette marée sans fin de la colère, cet entêtement dans la bataille de chaque instant !

Dans une autre occurrence voici ces deux débatteurs adversaires-complices, avec l’un qui tente de séparer sinon d’opposer Gilets-Jaunes et grévistes, parce que “les Gilets-Jaunes se révoltaient pour pouvoir travailler tandis que les grévistes se révoltent en arrêtant de travailler” ; et son interlocuteur de lui répondre, un peu gênés de devoir le contredire parce qu’au fond les deux sont dans la même galère des élites : “Bien sûr, vous avez raisons, mais vous savez bien que l’important c’est la révolte”… Et le premier, piteux, en convint.

Exactement, tout ce qui flotte dans l’air du temps est là pour nous le suggérer et nous en convaincre ; on le sent sans trop en dire, on le clame ou bien l’on n’en parle pas sans songer un instant à dire non, c’est selon, mais la chose est là, qui ne se déprend de rien. C’est  le Sapir  de « l’Acte II de la colère sociale », d’une « immense colère sociale[montant] des tréfonds du pays, bien au-delà de la question des retraites». C’est d’une telle évidence que toutes les réflexions, toutes les tournures, toutes les humeurs évoluent “sous influence”, sous l’influence de cette terrible humeur du monde qui se débat furieusement. Nul ne peut dire où cela mènera, ni même d’ailleurs d’où cela vient précisément car l’on vous démontrerait aisément que, même si  Dieu n’est plus si heureux en France, les Français, eux, par comparaison avec d’autres bien plus malheureux, devraient l’être.

Mais balivernes que tout cela ! L’humeur subsiste, et avec elle le poids énorme qui écrase ces malheureuses épaules de nos commentateurs-débatteurs, qui contraignent ces esprits zombifiés-élites et habitués à chanter le bonheur du temps présent qu’il ne faut surtout pas changer, et qui sont poussés dans leurs tout-derniers retranchements : “Eh oui, on en revient à la même sempiternelle question : d’où vient cette colère ? Où nous mène-t-elle ? Quand s’arrêtera-t-elle ? Que signifie-t-elle ? Quo Vadis ?”

On ne parvient même plus à désigner un coupable. Certes, les Macron’s Boys sont mauvais comme des cochons, mais les autres ne valent guère mieux, à droite, au centre-extrême, en arrière et en avant, à gauche toute, partout le navire tangue et rebondit de récif en récif sans que personne ne parvienne à jeter l’ancre. Cela est dit, ce n’est pas ici même, dans la France où Dieu était si heureux d’être, que l’on trouvera une réponse. D’ailleurs, ceux qui ont l’idée originale de regarder comment se porte le reste du monde après avoir grogné que la France est incapable de faire comme tout le monde et d’être heureuse avec l’hyper-purge postmoderne du Système, finissent par découvrir que Dieu n’est pas plus heureux ailleurs qu’en France, et que c’est même pire, que c’est la Terre entière, le cosmos qui grogne de fureur, qui fume de rage, qui hurle de dépit, qui ne se supporte plus, qui n’y comprend plus rien.

2020, dit-on, sera un grand millésime. Qu’est-ce qu’on en sait donc ! Rien, sauf que les dieux m’ont dit, – on a les sources qu’on peut, – que “le Patron”, Là-Haut, n’en avait pas fini avec nous. C’est le grand déballage, la mise en plat, l’audit universel. On a été un peu trop loin, une histoire de “ligne rouge à ne pas dépasser”, vous voyez ? On a perdu la trace de cette ligne marquée dans le feu grondant de l’histoire à partir de laquelle il importe de ne plus aller trop loin.

Ainsi les choses rentrent-elles dans l’ordre de la métahistoire. Les événements vus de cette façon, la France est à sa place et tient son rang. Sa catastrophe intérieure, son chaos sans fin, ses hoquets de fureur et de désordre, tout cela autant de signes du Ciel. Dieu n’est plus heureux en France, désormais Dieu est furieux en France.