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222308 février 2018 – Il est vrai qu’une situation devenue réflexe, ou plutôt pour garder ses principes, devenue tradition, m’est apparue hier d’une façon clairement interrogative. Il suffit de consulter le texte d’Orlov d’hier justement, et précisément la “Note indispensable“ en fin de texte, pour comprendre ce dont je parle et en même temps répondre à l’appel qu’on y trouve contenu, – “rappel de note”, si l’on veut... (J’ajoute, gros sabots en action, l’emploi du gras pour qu’on m’entende bien.)
« Dans le texte initial et sa traduction figurent un certain nombre de photos qui sont plus que des illustrations et s’inscrivent dans le cours et le sens du texte. Notre politique immémoriale et nos moyens divers font que nous n’utilisons pas de photos, – et il est bien possible que PhG suggérerait rapidement une explication conceptuelle à ce qui fut au départ une attitude naturelle... »
Aussitôt suggéré, aussitôt fait...
A première vue si l’on peut dire, on dirait que la “politique” de dedefensa.org de ne quasiment-jamais utiliser d’illustration, ou vidéos, ou radiodiffusions, etc., fait partie d’un “réflexe” que je voudrais plutôt nommer “tradition”, pour les explications bienveillantes ; les malveillants, eux, parleraient plutôt d’une “pose”, d’une “posture” délibérée, et je n’aurais aucun argument décisif pour les démentir complètement, – à moins que l’on me fasse crédit de ma bonne foi et qu’on la juge décisive à cet égard...
(Il y a des exceptions, mais qui confirment la règle : ici ou là, tel ou tel texte, où l’illustration sous forme schématique ou symbolique est jugée essentielle et scientifiquement nécessaire au propos ; et, bien sûr, l’expérience malheureusement interrompue [et souvent regrettée] pour des raisons matérielles, des “Conversations”, mais qui étaient une production intégrante de dedefensa.org et nullement une intrusion extérieure d’une de ces technologies de la communication dont je vais parler.)
Ce “réflexe” initial qui serait devenu “tradition” au fil des temps, depuis qu’existe ce site, se serait parfaitement arrangé de l’explication assez prestigieuse de l’austérité du lieu d’accueil. Le site ne fait pas mystère de sa volonté d’accorder le cœur de son propos avec les moyens qu’il déploie pour le développer : “antimoderne” selon l’expression mise en vogue par André Compagnon et et que je considère comme reniée par lui depuis (je reviendrai un jour pas trop lointain sur ce point qui est très intéressant) ; “antiSystème” selon une expression plus précise (avec le “S” majuscule au milieu du mot) et plus brutale qui est parfaitement définie à tant de reprises dans ce même propos... Tout cela bien compris et entendu, il paraît logique, et je ne le démens certainement pas, de vouloir dans la tenue habituelle du site repousser toute la quincaillerie moderniste et postmoderniste qui encombre le net, – jusqu’à contrecarrer parfois directement la lecture, – couleurs violentes, animations diverses, publicité envahissante, intrusive, grossière et je dirais même puante dans l’idéologie qui la sous-tend, images de toutes les sortes, mise en page déséquilibrée et peu harmonieuse, etc...
(Ici, je pose cette précision sans ambiguïté acceptable, donc prévenant toute accusation dans ce sens : je ne fais aucun procès à quiconque de montrer un peu ou beaucoup de ce que j’estime être pour mon compte un travers. Chacun en juge comme il veut, selon l’importance qu’il accorde à cet aspect des choses ; quant à moi, je m’en tiens à la valeur des textes et rien que cela. Ce que je fais et décris ne concerne que la définition de dedefensa.org, étant admis que votre serviteur a eu une longue carrière journalistique, d’abord dans un quotidien extrêmement bien typé à cet égard, où l’esthétique de la mise en page, sa rigueur et ses audaces à la fois, faisaient partie intégrante des facteurs dont le journaliste tenait compte dans sa démarche. J’ai gardé cette façon-là, et la “formule” visuelle du site n’est effectivement pas gratuite, et dit quelque chose de son orientation intellectuelle, sinon spirituelle.)
... Mais voici qu’autre chose m’est apparu avec le texte d’Orlov comme détonateur, comme je le rappelai plus haut, quelque chose qui ne supprime pas ni ne discrédite ce qui précède, mais au contraire le renforce et le complète “par le haut”, c’est-à-dire conceptuellement. Il y a là une démarche involontaire, incontrôlée, pour conduire à un rangement nouveau, ou bien supplémentaire, du fonctionnement du site. Très curieusement, j’ai réalisé cet aspect de la chose, de ma prévention mesurée mais tout de même ferme contre ce que je nommerais les “technologies-subversives” (potentiellement subversives, pour être plus précis), c’est-à-dire les instruments des technologies de la communication autour de l’image et du son, en me souvenant que la dite-chose pouvait renvoyer conceptuellement à l’un ou l’autre passage de La Grâce de l’Histoire ; et il m’a fallu un certain temps pour en retrouver un, – car je crois qu’il y en a d’autres, – comme si le livre était d’un autre auteur que moi-même... (Bref, il faudra que je relise ce livre, La Grâce...)
Il s’agit de l’idée selon laquelle ces nouvelles technologies de la communication, liées à l’image et au son, et transportables, et émises sur de grandes distances, complètement coupées de leur créateur à l’origine, semblent acquérir une sorte d’autonomie qui semble les parer dans le chef de la perception de notre “psychologie d’accueil” de beaucoup d’entre nous, d’une objectivité et par conséquent d’une vertu de vérité qu’elles n’ont évidemment pas. Ainsi peuvent-elles introduire, le plus souvent complètement à notre insu, des éléments de tromperie dans les montages et les structurations des publications que nous faisons avec tant de vélocité et de rapidité dans le cours de la puissance actuelle de la communication. Je crains beaucoup cette sorte de tromperie complètement inconsciente et involontaire qu’entraînerait le manque d’attention ou le vertige de la puissance des moyens ; je juge par conséquent d’une façon d’autant plus insistante que l’écrit, qui oblige à passer par le décodage du filtre des outils du langage (les lettres de l’alphabet, l’orthographe, la grammaire, le style, etc.) et qui ne peut par conséquent acquérir la moindre autonomie faussaire dans l’outil constituant de sa forme, donne une garantie de fer, – au sens de « la plume de fer qui n’est pas sans beauté » d’Alfred de Vigny, – contre les tromperies de l’arsenal postmoderne de la communication.
(Le langage-seul, avec l’exemple extrême de la langue, est une formidable barrière qu’il faut savoir franchir, une frontière avec laquelle il faut savoir négocier, c’est-à-dire dans les deux cas montrer que l’on n’est pas faussaire, au contraire des œuvres du son et de l’image, jusqu’aux plus grandes : à l’origine et avant l’intervention des intermédiaires autorisés [traducteurs, etc.], vous pouvez écouter Tchaïkovski sans savoir le russe et par conséquent interpréter cette musique, pour certains dans un sens trompeur ou faussaire, mais vous ne pouvez lire Dostoïevski sans connaître le russe... Je pensais également à cela mais dans un autre type de situation, hier soir, en revoyant Que la fête commence..., de Bertrand Tavernier : quelle mise en scène superbement structurée, quel excellent rythme des images, richesse de la reconstitution, superbes acteurs bien sûr, maniant à merveille le dialogue, intérêt du scénario ; donc excellent film, et là-dessus selon mon jugement, avec le constat immédiat qu’il véhicule des lieux communs, des clichés idéologisés dans un sens faussaire et trompeur presque insupportables pour qui y prête attention. Combien s’y sont laissés prendre à cause de la séduction ? Mais prenez le scénario et les dialogues, faites-en un livre sans la séduction des images et du son et vous n’aurez plus cette magie faussaire du très bon film, l’envoutement de l’image, du son lui-même. Vous n’êtes plus passif, acceptant l’idée à cause de la grâce et de l’élégance de l’emballage ; vous devez activement faire votre travail de jugement, c’est-à-dire “juger sur pièces”, et nous verrons alors ce qu’il restera de l’idée.)
Peut-être trouverais-je plus tard, – s’il y a un “plus tard”, – de plus en plus grand nombre d’exceptions à cette règle mais pour l’heure je crois fermement, pour mon compte et pour ce site, que la règle de méfiance complète vis-à-vis des technologies-subversives de la communication vaut d’être connue et appréciée à sa juste valeur qui pourrait être celle d’un principe, et appliquée à mesure. Voici l’extrait qui précise ce point de vue en décrivant l’aspect faussaire du caractère autonome et objectif que les nouvelles technologies de la communication fabriquent pour le bénéfice des idées qu’elles véhiculent... C’est dans La Grâce, Tome-I, Quatrième Partie (“Le Pont de la Communication”), p.319-321, – où l’on parle du rôle de la communication dans les destins politiques récents, – l’effondrement de l’Union Soviétique et l’évolution de l’américanisme.
« ...Mais observons la chose d’une manière plus générale, car il y a une thèse à ce propos, un bouleversement général et considérable qui mérite et exige à la fois d’être apprécié dans un cadre synthétique. Il importe à ce point du propos, à partir de notre référence chronologique de l’effondrement de l’URSS, de rassembler les éléments de la thèse par un retour en arrière et des considérations sur un phénomène de structuration de la psychologie. Le développement de la communication tel que nous l’avons épisodiquement observé, à partir de l’identification que nous en avons faite initialement dans notre récit, avec l’apparition de la transmission par ondes, de la retransmission par pellicule, de la phénoménologie informatique, etc., ce développement en lui-même, par sa dynamique veux-je dire, a créé une catégorie nouvelle de ce domaine général de la communication. Auparavant, au travers de la parole dite directement, de l’image peinte, du livre écrit, de la musique interprétée, le phénomène de la communication était inéluctablement attaché à une amarre humaine, qu’on percevait et mesurait aussitôt d’une façon ou d’une autre ; il s’agissait d’un phénomène relatif à son créateur, à son interprète, voire à son lieu d’exposition ; il s’agissait d’un phénomène qui ne peut en aucun cas arguer d’une autonomie quelconque, sinon par la grâce, au sens élevé du terme, de son interprétation, de la richesse qu’on y met soi-même, sans jamais méconnaître l’origine amarrée de la transmutation. La communication moderniste, machiniste et mécaniste, change tout cela, – je parle pour le terme du processus de ce qui apparaît presque à la manière d’une génération spontanée acquérant une forme sophistique dont la tâche serait de tenter de re-légitimer le système de l’américanisme alors que s’effondre la référence par effet indirect contraire de l’Union Soviétique.
» Les systèmes et les technologies de la communication ont créé un détachement radical de la matière communiquée, fût-elle image ou texte qu’importe, fût-elle information triviale ou représentation tenant de l’art lui-même, du sujet activant cette communication ; parlant du point de vue de la nature de la chose, on peut parler d’une rupture achevée. A partir de cette rupture, les orientations et les techniques ont proliféré mais il ne s’agit que de différences de stades, d’étages, dès lors que nous sommes dans ce domaine d’une substance différente avec la séparation physique entre le sujet et l’objet. L’essentiel à ce point est de mesurer, en renvoyant pour bien en apprécier la différence à l’observation du “mouvement” que crée la communication dans les années 1920, combien ce “mouvement” devient une vie en soi, une vie autonome, éventuellement artificielle, remarque-t-on d’abord puis de moins en moins, – et qui le sait encore et qui s’en souvient même, de cette artificialité perçue d’une façon contraignante d’abord, puis de toutes les façons possibles, et elle-même de moins en moins suspecte de nous contraindre, à mesure que passe le temps et que se développe le progrès, à la vitesse de la communication ? La rupture est achevée, et oubliée en tant que rupture pour que nous n’en constations plus que les effets sans les identifier comme tels. Les images et les sons, qui sont également des informations de toutes sortes, sont appréhendés, au résultat de la chose, dans notre temps, comme des artefacts absolument autonomes, comme des choses vivantes en soi. Nous ne parlons certainement pas du jugement délibéré, mais, d’une façon bien différente, et bien plus permanente et impavide, de la perception de la psychologie. Le jugement délibéré identifie la communication pour ce qu’elle est mais d’une façon passive, sans en tirer aucune conclusion qui puisse susciter une mobilisation de la psychologie ; au contraire, cette psychologie, laissée à elle-même, développe une perception de plus en plus ouverte à l’interprétation autonomiste des artefacts de communication. Bientôt, nous n’y pensons plus, et tout se passe comme si, effectivement, la communication était devenue chose en soi, et sa transmission, réalité en elle-même, sans plus de nécessité d’une référence amarrée à un facteur humain qui nous permettrait de faire jouer notre libre arbitre et son esprit critique à ce propos. »
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