Erdogan-Merkel : barbichette pour barbichette

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Erdogan-Merkel : barbichette pour barbichette

... Prévaut d’ailleurs l’impression, dans notre chef, de l’inconvenance possible d’insinuer que la chancelière puisse disposer à son gré d’une barbichette. (Nous parlons de notre titre, au cas où les services de décryptage de quelque NSA de fortune s’inquiéteraient à cet égard.) Disons que c’est une licence, sinon poétique dans tous les cas symbolique, pour bien montrer combien ces deux étranges présidents, le Turc et l’Allemande, sont aujourd’hui compagnons hors-genre et frère-et-sœur dans le désarroi. Pour cela, le texte de Pépé Escobar du 4 février, que nous empruntons dans sa version française à nos excellents amis du Saker.francophone, fait l’affaire en nous instruisant bien dans le détail de la situation catastrophique du Vizir-à-la-place-du-Vizir, ci-devant “Sultan-du-Chaos”,  et terminant sur les effets pour la chancelière Merkel, elle-même dans une situation catastrophique en bonne part à cause du premier nommé. Il pourrait bien s’avérer que les deux personnages ont leurs sorts liés comme on se tient par la babichette, et selon des augures qui paraissent de plus en plus délicats.

Il y a dans cette étrange posture de barbichettes en goguette une curieuse rencontre d’utopies et de cynismes politiciens, aussi présents chez l’un que chez l’autre, à parts assez bien réparties (l’utopie et le cynisme). D’un côté, Erdogan et ses rêves fantasmagoriques de Grand Califat, – car il y rêve certainement, dans son palais aux mille-et-une-pièces (à peu près) ; de l’autre, la rescapée de la RDA, jeune étudiante communiste exemplaire d’une bonne famille de la nomenklatura du Parti (de la SED est-allemande), copinant éventuellement avec la Stasi et devenue presque soudainement la magique faiseuse d’Europe, leur- et donc notre-“Fuehrine” comme disent certains...

Comme face-à-face, barbichette contre barbichette, deux démiurges assez standards des rêves postmodernistes traités au rythme des narrative selon le mode de la complicité classique thèse-antithèse. Il y a d’une part la narrative de la résurrection du “saint-Empire (ex-)Romain Germanique” (c’est plus convenable que Reich) reloooké façon euro-Francfort pour les affaires et façon révolution sociétale à la mode de Bruxelles pour la morale convenue ; il y a d’autre part la narrative de la résurrection triomphante de l’Islam selon les lignes de la thèse d’Huntington, laquelle, il faut bien le dire en insistant lourdement, ne vaudrait même pas son pesant de papier sans l’aide prémonitoire et absolument créatrice de la chose, depuis les années 1970 de la part quasi-exclusive de la CIA et de ses réseaux Gladio étendus aux amis du Moyen-Orient (en l’espèce, à l’époque, au Caire et à Ryad, avec l’aide de Tel-Aviv) pour donner ses effets à partir de 1979, dans les montagnes de l’Afghanistan. On voit qu’il existe un certain parallélisme où les habituels avatars de la globalisation selon le système de l’américanisme, façon-Système pour le général, jouent leur rôle convenus de déconstruction-dissolution au service du Système . Cela rend un peu suspectes les belles théories civilisationnelles là où il y a d’abord le business as usual des “forces de l’ombre” que tout le monde connaît et qui fonctionnent à ciel découvert.

Les deux barbichettes étaient donc faites pour s’entendre, selon la logique de la théorie-du-genre, ou plutôt de la narrative. Elles ont donc (bis) évolué pour s’affronter frontalement, dans un labyrinthe de manipulations de communication, de chantages, de manœuvres de corruption psychologique assez sordides, conformément à la logique des vérités-de-situation. Aujourd’hui, chacun de leur côté, les deux héros de la politiques postmodernistes se trouvent assiégés par les inconséquences de leurs narrative qu’on présente comme différentes quoique parallèles mais qui n’en font qu’une, qui est la narrative de l’hybris que féconde le nihilisme de la postmodernité. Les ennuis d’Erdogan, par rapport à ses ambitions exposées en 2009-2011, lorsqu’on pouvait s’y tromper jusqu’à penser qu’il avait, lui, une vertu structurante, ne cessent de grandir depuis qu’il s’est engagé dans sa catastrophique croisade anti-Assad. Le résultat est qu’il a réveillé l’irrédentisme kurde, dont on constate la résilience, et qu’il est parvenu à se mettre à dos la vindicte russe, dont on connaît la durabilité et l’implacabilité. Du côté des “actifs”, l’entente avec la maison moisie et pourrie des Saoud d’une part, le soutien US qui ressemble à la très-classique corde qui soutient le pendu complètent le tableau dans le sens crépusculaire bien plus qu’ils ne l’équilibrent.

Pour ce qui est de Merkel, elle a réussi un parcours Capitole-Roche Tarpéienne étonnant de rapidité et d’efficacité, entre dominatrice incontestée de l’Europe, à la fois soft et d’une main ferme, avec un zeste de victimisation scandalisée (les écoutes de la NSA), jusqu’en 2014, et “Fuehrine” de plus en plus insupportable avec l’étranglement impitoyable de la Grèce suivi, par contraste complet dans l’inconséquence et l’irresponsabilité, de son incroyable et pitoyable odyssée d’“ouverture humanitaire” de l’Allemagne et de l’Europe aux flots des migrants, sous la cravache impitoyable du maître-chanteur d’Ankara. Question blockbuster et politique-BD, Hollywood ne fera jamais mieux.

Sur le chantage, on peut lire le texte de ZeroHedge.com du 8 janvier, avec un texte de KeepTalkingGreece qui extrait des publications de la presse grecque un document interne de l’UE sur les conversations Erdogan-Juncker-Tusk concernant les migrants, en novembre 2015. (Depuis, Reuters a repris la chose le 9 février.)  « In internal EU memo obtained by Greek media reveals the blatant Turkish blackmail on the refugee crisis. The memo contains a summary of the dialogue between Turkish President Recep Tayyip Erdogan with European Commissioner Jean Claude Juncker and President of the European Council Donald Tusk on 16th November 2015 during the G20 Summit in Antalya, Turkey. The three Presidents were discussing the Action Plan to tackle the Refugees and Migrants Crisis. » Le chantage crument et incroyablement exprimé en milliards d’euros et le reste par Erdogan (“3€milliards par an de l’UE pour la Turquie plus l’entrée de la Turquie dans l’UE ou j’ouvre à fond la vanne du flot de bus chargés de réfugiés-migrants”) s’adresse directement, au-delà des deux marionnettes, à la chancelière. Le résultat, via la nuit de la Saint-Sylvestre de Cologne et ce qui a suivi, se mesure aux positions d’assiégée de toutes parts où se trouve désormais Merkel, qui avait voulu ajouter à sa main de fer posée sur la Grèce le gant de velours du libéralisme-total de l’ouverture de l’Allemagne/de l’Europe à tous les flots migratoires du monde fracassé par l’interventionnisme pathologique et déstructurant du bloc-BAO. (Voir par exemple, pour la délicate position de la chancelière, Sputnik.News et Sputnik-français les 3 février et 7 février.)

Nos deux protagonistes sont donc les héros d’un épisode important de la tragédie-bouffe qu’est l’époque postmoderne, avec comme ingrédient la paralysie de la pensée politique enfermée dans ses narrative et soumise au rythme infernal surpuissance-autodestruction du Système. Il s’agit donc (bis) de héros-bouffes, modèle quasi-transcendantaux d’une époque qui devra être l’objet de l’attention des psychiatres plutôt que des historiens pour qu’on en comprenne bien les arcanes. Pépé Escobar a le style qu’il faut pour décrire l’opérationnalisation de la tragédie-bouffe, cette fois en s’attachant aux déboires du “Sultan du Chaos” durant ces dernières semaines, avec effet inévitable sur la “Fuehrine” dont, paraît-il, nous dépendons tous, ici-bas en Europe. La suite devrait s’enchaîner dans une multiplication du désordre sur tous les fronts, le lien étant cette fois fermement établi grâce au “lien transcrisique” de la crise des migrants-réfugiés entre la crise Syrie-II et son vaste territoire, et la crise européenne en général avec ses très-nombreuses ramifications.

Certains pourraient y voir, par exemple, la main de Washington qui est paraît-il le Grand-Manipulateur de cette tragédie-bouffe. Certes mais, lorsqu’on s’enquiert de l’état du Grand-Manipulateur, confronté à une saisons électorale qui fait se retourner frénétiquement les nobles Jefferson, Madison & Cie dans les  tombes honorables des Pères-Fondateurs, on se prend à douter de la fermeté de la main en question, plutôt occupés aux mouvements spasmodiques et désespérés du noyé qui ne cesse de couler toujours plus profond. Idéalement, du côté du Grand-Manipulateur et de son establishment, il nous faudrait la Manipulatrice-Folle en la personne d’Hillary ($225.000 en moyenne par conférence d’une demi-heure chez Goldman-Sachs et $24 millions rassemblés en deux ans), mais cette issue extraordinaire par rapport à l’instabilité des temps est de moins en moins assurée et, au mieux, elle se ferait dans cette atmosphère étrange et quasiment révolutionnaire qui est en train de s’installer aux USA. Prions donc pour que le New Hampshire vote bien et imaginons les effets que cet événement aurait sur les barbichettes respectives d’Erdogan et de Merkel.

... En attendant, place à Pépé Escobar, – Ollé !

dedefensa.org

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Qu’est-ce qui fait flipper le Sultan du Chaos ?

Imaginez toutes les nuits d’insomnie qu’endure le sultan Erdogan dans son palais à Ankara. Imaginez sa colère quand il a appris que l’Armée arabe syrienne (AAS), avec le soutien de la puissance aérienne russe, s’est lancée dans une Bataille d’Alep préventive dans la région de Bayirbucak, ce qui a permis de couper le principal corridor de livraison d’armes d’Ankara et l’autoroute djihadiste.

Qui tient ce corridor contrôlera l’issue finale de la guerre en Syrie.

Pendant ce temps à Genève, l’opposition syrienne contrôlée à distance (le Haut comité des négociations) a démontré hors de tout doute qu’il n’a jamais été question de rencontrer la délégation de Damas dans le cadre de pourparlers de proximité ou autrement, même après que Washington et Moscou ont accepté dans ses grandes lignes un plan de transition de deux ans aboutissant en théorie à une Syrie laïque et non sectaire.

Le front saoudien exigeait rien de moins que la présence des collaborateurs d’Ahrar al-Sham, de Jaysh al-Islam et du front al-Nosra, alias Al-Qaïda en Syrie, à la table des négociations à Genève. Il n’en fallait pas plus pour déchiffrer la charade genevoise pour ce qu’elle est vraiment, avant même d’avoir le temps de dire En route vers Alep !

L’Otan ? Rien à attendre de ce côté !

Le prince Turki, le réputé cerveau des services secrets saoudiens et ancien mentor d’Oussama ben Laden, était à Paris en mission offensive de relations publiques. Tout ce qu’il a trouvé à dire, c’est une avalanche de dénis de non-dénis, en rejetant tout le blâme de la tragédie syrienne sur Bachar al-Assad.

Le gros de l’opposition syrienne était jadis formé de combattants de salon cooptés par la CIA depuis des années, ainsi que de Frères musulmans vassaux de la CIA. Bon nombre de ces types préféraient la joie de vivre à Paris au long travail pénible sur le sol syrien. Aujourd’hui, l’opposition est essentiellement formée de chefs de guerre qui dépendent du bon vouloir de la maison des Saoud, même pour des bouteilles d’eau, indépendamment des anciens ministres du parti Bass en costard-cravate, triés sur le volet, qui représentent le visage de l’opposition auprès des médias institutionnels occidentaux crédules.

Au même moment, les 4+1 (la Russie, la Syrie, l’Iran, l’Irak plus le Hezbollah) multiplient les victoires décisives sur le terrain. Ce qui envoie comme message qu’il n’y aura pas de changement de régime à Damas. Mais personne n’a annoncé la nouvelle aux Turcs et aux Saoudiens.

Le sultan Erdogan nage en plein désespoir. Il continue de détourner l’attention des graves questions en jeu dans la guerre qu’il livre au PYD (le Parti de l’union démocratique, l’organisation mère des Kurdes syriens) et aux YPG (les Unités de protection du peuple, la branche armée du PYD). Erdogan et le premier ministre Davutoglu voulaient non seulement que le PYD soit interdit de séjour à Genève, mais qu’il soit aussi écrasé sur le terrain, car ils considèrent le PYD et les YPG comme des terroristes alliés au PKK.

Que va donc faire le sultan Erdogan ? S’en prendre aux chasseurs Soukhoi Su-35s de génération 4++ nouvellement arrivés et qui flanquent la trouille à tous les docteurs Folamour de l’Otan ? L’alerte orange décrétée sur les bases des forces aériennes turques n’effrayera au mieux que quelques chiens errants ici et là. Cela vaut également pour les admonestations du secrétaire général de l’Otan, l’homme de paille Jens Stoltenberg, qui supplie la Russie d’agir de façon responsable et de respecter tout l’espace aérien de l’Otan.

Moscou se venge des Turkmènes tout en apportant un soutien aérien au PYD à l’ouest de l’Euphrate. C’est frapper le sultan en plein cœur, lui qui a signalé à maintes reprises que toute percée du PYD et des YPG à l’ouest de l’Euphrate était considérée comme l’ultime ligne à ne pas franchir.

L’Otan déjà effrayée n’appuiera pas la folie guerrière d’Erdogan contre la Russie, même si cette possibilité fait saliver les néocons aux USA et au Royaume-Uni. Comme les décisions de l’Otan doivent être unanimes, la dernière chose à laquelle aspirent des puissances européennes comme l’Allemagne et la France, c’est une autre guerre au sud-ouest de l’Asie. L’Otan déploiera peut-être bien quelques missiles Patriot au sud de l’Anatolie et des AWACS (systèmes de détection et de commandement aéroporté) pour soutenir les forces aériennes turques, mais n’ira pas plus loin.

Choisissez votre changement de régime favori

Dans l’intervalle, Daesh continue de tirer profit de sa propre autoroute djihadiste sur un tracé de 98 kilomètres le long de la frontière turco-syrienne, notamment à Jerablus et à Al Rai, jusqu’à Gaziantep et Kilis en Turquie.

S’inspirant d’Israël, Ankara est en train de construire un mur de 3,6 mètres de hauteur et de 2,5 mètres de largeur entre Elbeyli et Kilis, essentiellement pour la propagande, car l’autoroute djihadiste demeure ouverte, à toutes fins utiles, même si les forces armées turques arrêtent de temps à autre un intrus (toujours libéré). Car ce à quoi on a affaire ici, c’est à une escroquerie monstre impliquant contrebandiers et soldats, où jusqu’à $300 changent de mains pour chaque passage de nuit, qui peut rapporter à un sous-officier turc jusqu’à $2 500 pour regarder ailleurs pendant quelques minutes.

La vraie question qui se pose, c’est pourquoi Gaziantep n’est pas assujettie au couvre-feu imposé par Ankara, là ou des milliers de membres des forces spéciales turques livrent en ce moment même sur place une guerre contre la terreur. C’est parce qu’Ankara et les autorités provinciales s’en balancent éperdument. La véritable priorité, c’est la guerre d’Erdogan contre les Kurdes.

Ce qui nous amène à parler du seul atout que possède encore le sultan. De Bruxelles à Berlin, les esprits sains sont terrifiés à l’idée que l’UE soit dorénavant à la merci de la priorité kurde d’Erdogan, pendant qu’Ankara ne fait pratiquement rien pour combattre le passage massif de clandestins.

Quand Davutoglu s’est rendu à Berlin récemment, non seulement il n’a  fait aucune promesse, mais il a aussi reformulé la volonté d’Erdogan d’anéantir les Kurdes syriens.

C’est ce qui explique le désespoir de la chancelière allemande Angela Merkel. Comment la prétendue politicienne la plus puissante d’Europe s’est-elle laissée entraîner dans un chantage aussi flagrant ? Le sultan veut beaucoup d’argent, beaucoup de concessions et même de nouvelles garanties d’entrée dans l’UE. Sans quoi, il ne fermera pas le robinet pour que cesse le flot sinistre de réfugiés.

Pas étonnant que les rumeurs de changement de régime fusent de toutes parts.

À Ankara ? Non ! À Berlin !

 

Pepe Escobar

(Source : Russia Today, Traduit par Daniel, édité par jj, relu par Nadine pour le Saker Francophone.)