Erdogan agace diablement The Economist

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Erdogan agace diablement The Economist

En temps normal, c’est-à-dire dans un temps fonctionnant bien au rythme de la narrative-BAO, Erdogan avec sa Turquie devraient être le favori de nos puissants Masters of the Universe. Ne voilà-t-il pas un homme qui veut la peau d’Assad de toutes les façons possibles, y compris en soutenant Daesh et en faisant la fortune de sa petite famille en même temps ; et mieux encore le fin limier, qui abat en plein vol un Su-24 de Poutine et menace l’ignoble Russe de toutes les calamités possible... Et encore “mieux encore”, pour ceux qui ont quelque mémoire disponible : Erdogan a pris cette position et fait ces choix après avoir copiné longuement et chaleureusement avec Poutine, pendant des années, à l’immense agacement de ceux qui, des Anglo-Saxons à l’OTAN, s’étaient considérés depuis des décennies comme les divers parrains, tuteurs et protecteurs d’une Turquie parfaitement occidentalisée par la corruption et l’occidentalisation affichées conjointement, – l’une et l’autre chose allant de pair, évidemment. L’irruption d’Erdogan avec certaines de ses lubies vers la fin de la première décennie du siècle, surtout son espèce de russophilie et ses positions anti-israéliennes, avait troublé le bon ordre des choses. Son retournement complet, préparé par son attaque contre Assad depuis 2011, achevé par le symbole musclé du flingage du-24 russe expédié ad patres le 24 novembre 2015, aurait du dissiper tout ce trouble de mauvais aloi et combler de joie tous ces messieurs-dames des diverses directions-Système du bloc-BAO. Eh bien, – surprise, surprise, ou bien désordre, désordre, – eh bien pas du tout.

The Economist consacre un long dossier à la Turquie et son texte de présentation est plus que critique vis-à-vis d’Erdogan. Par moment, – ô étrange et fatale ivresse des dieux, – on pourrait croire qu’Erdogan est le “méchant” et Poutine le “gentil”. Le distingué canard londonien va jusqu’à affirmer avec réprobation qu’Erdogan, en abattant le Su-24 de Poutine, s’est mis dans une position d’isolement ! Nous n’y comprenons plus rien, nous qui croyions avec constance et zèle que l’isolé-à-perpétuité, c’était Poutine avec sa barbare Russie ... On croirait presque à un compte-rendu de RT ou de Sputnik de l’incident, lorsqu’on lit dans The Economist, jusqu’à l’insistance sur les circonstances géographiques de la chose : « Le danger de l’isolement [de la Turquie et d’Erdogan] fut brutalement mis en évidence en novembre quand un chasseur turc abattit dans l’espace aérien syrien un chasseur russe qui avait brièvement pénétré dans l’espace aérien turc. » La suite du commentaire semblerait un conseil donnée à la Turquie de ne pas se frotter aux Russes, ce qui pourrait constituer avec un peu d’interprétation une drôle de façon indirecte de quasiment reconnaître la légitimité de l’intervention russe en Syrie.

Inutile de dire que les Russes, attentifs aux évolutions de la communication dans la maison de fous qu’est le bloc-BAO, ont sauté sur les jugements catégoriques de cette bible de l’hyperlibéralisme-hypercapitaliste qu’est The Economist. Le site de Sputnik.News en donne un compte-rendu résumé ce 8 février. Nous allons à la source originelle de l’outrage, pour donner la fin du texte de présentation de Max Rodenbeck, mis sur le site de l’hebdomadaire britannique ce 6 février.

« ...The danger of isolation was sharply underlined in November when Turkish jets shot down a Russian fighter over Syria that had briefly entered its air space. The Russian president, Vladimir Putin, swiftly responded with a broadside of sanctions. The Russian measures could trim up to 0.7% from Turkish GDP growth this year, according to the European Bank for Reconstruction and Development.

» With lukewarm support from its allies, Turkey has tried to calm the excitement. But given its support for militias fighting against Syria’s president, Bashar al-Assad, and Russia’s growing military commitment to his survival, there could well be more clashes. Turkey seems in danger of stumbling into an unplanned but potentially costly fight. It imports most of its gas from Russia, and Turkish construction firms have well over $10 billion-worth of Russian contracts on their books.

» Now Turkey faces a new threat. A double suicide-bombing in Ankara on October 10th last year aimed at a march by leftist trade unions and Kurdish activists killed more than 100 people. In January suicide-bombers struck again, this time in the heart of Istanbul, killing ten tourists. Both attacks were attributed to Islamic State. In a country that has long seen itself as insulated from Middle Eastern turmoil, the intrusion of violent radical Islam came as a particular shock. Worse, it partly reflected Mr Erdogan’s slowness to recognise the danger of blow-back from his own policies in Syria, where Turkey for too long indulged radical Islamists so long as they opposed the Assad regime.

» Rather than blame the party in power for such setbacks, worried voters in November rallied behind Mr Erdogan, backing a strong, tested government rather than risk rule by a possibly weaker coalition. It helped that the ruling party, in effect, controls Turkey’s mainstream media, which pumped up nationalism in the face of danger. Mr Erdogan had carried the 2014 presidential election with a slim majority of 52%, and his AK party, for all its success, enjoys the support of just half the Turkish public. Many of the rest remain sceptical or even bitterly opposed to him.

» This special report will argue that Turkey’s leaders, with their ambitions still set on mastery, are not doing nearly enough to heal such internal rifts. The Kurdish issue looms as one big danger, and so does the Turkish economy’s growing vulnerability to external shocks. Mr Erdogan’s blustering, bulldozing style, together with his party’s growing intolerance for dissent, portends trouble. »

...Non, The Economist n’est pas devenu fou, mais peut-être la cause qu’il défend avec une élégance toute britannique est-elle, elle, complètement folle. Ce digne organe de propagande de l’anglosaxonisme et de la globalisation hyperlibérale n’écrit rien qui n’ait une intention tactique, selon une stratégie qui ne varie pas depuis sa création, au XIXème siècle. Il s’agit de lire entre les lignes, et de retenir les paragraphes importants au milieu du bla-bla de convenance, comme avant l’on lisait la Pravda soviétique. Par conséquent, nous pouvons penser que ce texte de présentation si hostile à Erdogan et à la Turquie reflète un sentiment désormais dominant dans les milieux dirigeants-Système du bloc BAO. L’hypothèse s’impose sans aucun doute d’elle-même, quant à sa justification : il apparaît très probable que les manigances d’Erdogan dans la manipulation des migrants syriens vis-à-vis de l’Europe depuis le printemps 2015 est l’énorme goutte d’eau qui est en train de faire déborder un vase qui ne demandait pourtant qu’à rester bien sagement dans son espace contenu.

On a là un signe convaincant de l’ampleur de la crise que l’action d’Erdogan a provoqué chez les dirigeants-Système du bloc-BAO, dans leur entièreté puisque les meneurs anglo-saxons sont de la partie. On a la confirmation que la crise des migrants est un énorme problème pour la direction européenne. Si certains ont cru pouvoir avancer que cette crise des migrants constituaient un “plan” impliquant dans un parfait accord  tout ce beau monde solidaire [Erdogan + les dirigeants-Système], qu’elle était en un sens coordonnée entre les uns et les autres, nous serions tenté de penser que cette attaque de The Economist est une indice sérieux de la vanité de l’analyse. Notre préférence va plutôt au désordre, à l’absence de coordination, au déchaînement des hybris divers, aux mécanismes déterministes-narrativistes des fables sociétales, à la sottise et à la médiocrité standard des uns et à l’emportement hystérique et hyper-narcissique des autres, et ainsi de suite. Tout cela, qui caractérise le désordre général qui est désormais bien dans notre façon d’être, entraîne des heurts internes sans fin (au sein du au bloc-BAO), et chaque fois avec des conséquences de plus en plus considérables. C’est du standard surpuissance-autodestruction.

Autre indication que nous donne cette intervention, qui concerne les projets de Grand-Califat, avec invasion de la Syrie pour commencer, du président-Calife Erdogan. La position de The Economist avec des mots tels que “le soutien réservé” (de l’OTAN à la Turquie dans l’affaire du Su-24), est un indice de plus que le comportement d’Erdogan est de plus en plus mal vécu au sein de l’OTAN, y compris avec les alliés américanistes. S’il devait y avoir en enchaînement guerrier en Syrie du fait d’une intervention turque, il s’agirait d’un moment extrêmement difficile pour l’Alliance atlantique, soumise ainsi à une de ses plus rudes épreuves entre la solidarité affichée qu’on juge en général absolument impérative et les dissensions internes pouvant aller jusqu’à des situations proches de la rupture alors qu’il s’agirait d’une situation conflictuelle où les Russes seraient de la partie. Enfermé dans son palais des mille-et-un-songes, Erdogan qui est désormais plutôt du genre Prophète-Antéchrist n’est pas nécessairement informé de tout cela, ni même intéressé si on lui en faisait part. Il fait partie de cette nouvelle classe de dirigeants née du désordre du monde, et ayant ainsi délibérément choisi d’ignorer complètement les vérités-de-situation au profit des narrative qui correspondent à leurs humeurs et à leurs vaticinations diverses, – dont l’une des définitions, celle qu’on favorisera, est « Délire verbal, comme si on était habité par un dieu ». Tout cela est bien en phase avec le rythme du temps présent et à la représentation postmodeniste permanente.

 

Mis en ligne le 8 février 2016 à 10H59