Entre haine et fascination, vertige...

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Entre haine et fascination, vertige...

15 mars 2016 – Cette époque que nous vivons restera-t-elle, plus qu’aucune autre malgré les tentatives désespérées de l’historiographie-Système, comme “l’époque-de-la-Haine”, dans notre Histoire et par conséquent dans l’histoire de la modernité ? Celle-ci, la modernité, figurerait alors comme la Grand Apprentissage de la Haine comme moteur de l’humanité se constituant en Progrès éternel, – cette Haine, bien entendu, parce que l’Histoire n’a pas répondu, comme l’on entendrait “il n’y a pas d’abonné...”, à ce diktat du Progrès-éternel. L’Histoire a ignoré ce diktat comme l’on chasse une poussière inopportune, et c’est bien cette humiliation suprême qui nourrit cette Haine majusculée comme si l’on en faisait un objet métaphysique. Il y a dans cette force suprême (la surpuissance du Système) produisant sa propre autodestruction, toute la rancœur suicidaire accumulée sous la forme de cette haine.

...Ce qui nous conduit, d’une façon assez inattendue peut-être, au The Donald, bouffon qui pourrait être intronisé par un accident inexplicable du mécanisme général, “roi du monde”. Certains jugeraient cette perspective plus absurde encore que le projet de Caligula de faire consul son cheval favori Incitatus ; d’autres voient en lui un nouvel Hitler, parce que les circonstances leur semblent correspondre et qu’il faut bien habiller leur haine d’une cause à mesure... Car il y a bien de la haine autour de Donald Trump, et il ne s’agit pas tant de l’expliquer que de la constater et de la mesurer, et d’avoir ainsi une mesure de la puissante tempête qui secoue les psychologies et fait de cette crise quelque chose qui n’a pas d’équivalent, et cela d’autant plus qu’elle se produit au cœur du Système, au cœur de la modernité, au cœur de notre contre-civilisation.

Arrivé à ce point de la réflexion, c’est dire, – une fois de plus d’ailleurs, – qu’il nous importe peu d’être “pour” ou “contre” Trump, de savoir ce qu’est son programme, de juger de sa compétence politique. Ce qui doit nous importer pour ce Moment historique, c’est tout ce que son “intrusion” presque inconvenante au cœur du Système a mis à nu, en général sans le vouloir expressément, en général sans s’aviser de ce qu’il provoquait, en général sans mesurer, encore aujourd’hui, de quoi il est la cause. Pour tout cela, il fut bien le “bouffon utile” type-bulldozer en attendant d’autres jugements basés sur les vérités-de-situation qui se révèleront.

Ainsi les réflexions vont-elles désormais dans des directions intéressantes. Peu importe qu’elles soient justes ou fausses, fondées ou pas, il reste que l’événement qu’est The Donald a provoqué un choc psychologique tel qu’il libère les esprits, et les esprits libérés s’en vont où il leur plaît d’aller. Ainsi de Martin Armstrong, économiste-“gourou” de grand renom, qui nous donne sa propre improvisation sur le thème de notre époque, sur le thème de la Haine, selon la question : pourquoi haïssent-ils Trump à ce point ? Ce n’est pas dire qu’Armstrong s’étonne de la vigueur de cette haine, il cherche plutôt à la définir et à la déterminer. Son explication n’est pas inutile, même si certains s’en doutaient déjà. Le texte d’Armstrong est là pour illustrer à la fois la référence à la haine, à la fois les libertés que prennent les esprits pour offrir leurs explications qui sortent des règles convenues de leurs disciplines et de leurs formes habituelles de pensée.

« There’s a different, more subtle reason why the Republican establishment, donor class, political operatives, and the news media in general hate Donald Trump. The reason can be found in a New York Times best selling business book, Stacking The Deck, by Wharton professor David Pottruck. Pottruck, the Charles Schwab CEO who took the genial brokerage house online and into the big time, says that organizations hate change. Hate it with a PASSION!

» That’s because when there’s a new way of doing things, a new way of solving problems, a new way of relating to everything, they feel threatened as a deep personal-loss. Change renders meaningless the value of their hard-won experience and know-how. In politics, it may means family member lose their cushy jobs and perks. [...]

» The handwringing, the dire predictions of doom, and the wailing and gnashing of teeth have little to do with Donald’s positions, but their loss of power. They complain Trump is bringing in new voters who are not Republican. And this is bad?

» The Trump threat isn’t to the Constitution, to America’s standing in the world, or even to Republican Congressional candidates, it is to the establishment. If you think Trump’s supporters are angry about the way the government and the business world colluded, you are right. The establishment fails to appreciate the anger. They’re just furious. Even if Trump fails to win, there will be more in the wings. He is inspiring a change and he doesn’t even understand how profound. »

Il y a effectivement deux positions possibles vis-à-vis de Trump : la position idéologique et la position-Système (par rapport au Système). Ne parlons pas ici des Européens qui, pour la plupart, regardent, hébétés, incrédules, interdits, le spectacle de la Grande République qui les avait tant habitués au rangement du conformisme-Système et de la corruption scrupuleusement pratiquée, les deux pratiquées dirions-nous presque avec le sens de la liberté et de l’équité. Bref, les Européens n’y comprennent rien et s’en tiennent aux slogans de circonstance, avec les “mots-raccourcis” qu’on connaît bien, ou bien aux silences révélateurs.

Les citoyens américains, surtout les citoyens-intellectuels, surtout les citoyens intellectuels-de-gauche aux USA, tentent régulièrement de se replier sur ces jugements rassurants des idéologies du siècle passé, – ainsi montre-t-on bien que l’on sait être progressistes parce que, comme dit le physicien Etienne Klein, « le Progrès c’était mieux avant ». Ainsi importe-t-il de saluer lorsqu’on en rencontre un, l’un de ces guerriers gauchistes montrant sa capacité à percer le brouillard de ses engagements idéologiques. L’un des plus brillants d’entre eux, l’un des plus “jeunes” dirions-nous, est un vieillard de 83 ans, William Blum. Il quitta le département d’État en 1967, en complet désaccord avec la politique étrangère des USA, et n’a cessé depuis d’être l'une des consciences activistes des “dissidents de gauche”. Son texte du 11 mars 2016 sur Consortium.News est un modèle du genre ; bien qu’il n’aime pas Trump, mais vraiment pas, bien qu’il diffère de lui sur bien des points, il est de son côté en grognant furieusement et, s’il faut voter en cas de bataille Clinton-Trump, il votera pour lui parce que le “bouffon-Hitler” est le seul candidat à avoir à avoir dit certaines choses incroyables en matière de politique étrangère.

« If the American presidential election winds up with Hillary Clinton vs. Donald Trump, and my passport is confiscated, and I’m somehow FORCED to choose one or the other, or I’m PAID to do so, paid well … I would vote for Trump.

» My main concern is foreign policy. American foreign policy is the greatest threat to world peace, prosperity, and the environment. And when it comes to foreign policy, Hillary Clinton is an unholy disaster. From Iraq and Syria to Libya and Honduras the world is a much worse place because of her; so much so that I’d call her a war criminal who should be prosecuted. [...]

» ...And Mr. Trump? Much more a critic of U.S. foreign policy than Hillary or Bernie. He speaks of Russia and Vladimir Putin as positive forces and allies, and would be much less likely to go to war against Moscow than Clinton would. He declares that he would be “evenhanded” when it comes to resolving the Israeli-Palestinian conflict (as opposed to Clinton’s boundless support of Israel). He’s opposed to calling Senator John McCain a “hero”, because he was captured. (What other politician would dare say a thing like that?) He calls Iraq “a complete disaster”, condemning not only George W. Bush but the neocons who surrounded him. “They lied. They said there were weapons of mass destruction and there were none. And they knew there were none. There were no weapons of mass destruction.” He even questions the idea that “Bush kept us safe”, and adds that “Whether you like Saddam or not, he used to kill terrorists.”

» Yes, he’s personally obnoxious. I’d have a very hard time being his friend. Who cares? »

Il y a aussi ceux qui ont finalement changé d’avis sur le fait de savoir s’il peut encore “arriver quelque chose” aux USA par la voie classique du processus dit-démocratique, c’est-à-dire au cœur du Système et sous le contrôle du Système. Ainsi dira-t-on au Saker-US, “bienvenu au club” ; il écrivait le 3 mars 2016, tel que nous le citions : « [T]o be honest, I have not been following the latest presidential race in the USA.  Simply put, I have long lost any hope to see any change come from any election in the USA.  Changing the puppet makes no difference as long as the puppeteer remains the same one. »

En une semaine, il a changé d’avis ; ce n’est pas lui faire reproche de souligner cela mais simplement de saluer, une fois de plus, l’extraordinaire rapidité des évènements, c’est-à-dire de l’Histoire, et la contraction du Temps qui s’ensuit, et l’évolution des jugements par conséquent. Ainsi confirme-t-il, le 10 mars qu’il ne votera pas puisqu’il n’est pas citoyen US, mais que son désintérêt comme dit précédemment s’est transformé en un jugement qu’il se passe quelque chose d’important.

« ...And then Trump happened.

» My first hunch was that Trump was “created” to scare people into voting for Hillary.  Only a clown looking like an out of control loose-cannon could make the Republicrats lose the next Presidential election to the Demoblicans, right?  Maybe. But now I am starting to get the feeling that the Neocons are really freaking out, and that Trump, possibly to his own surprise, is starting to believe that he might make it.  Well, what if?... »

A côté de ces évolutions, il y a la question plus directe du point de vue évènementiel du sort de Donald Trump. Il s’agit d’abord de la question de sa désignation, en supposant qu’il poursuive son parcours en tête et se présente à la convention dans une position lui donnant le droit d’exiger cette nomination. Certains jugent que l’affaire est déjà faite, comme David Stockman le 12 mars : « You can give it this much. The Thursday night GOP debate was civil, and probably the last one, too. Rubio is done, Kasich is on vapors and Senator Ted will never stop the Trump Express. In short, The Donald didn’t blow it, and therefore he is the presumptive GOP nominee. And probably the 45th President of the United States. For better or worse. »

D’autres, tout en étant du même camp hors-Système, émettent un jugement différent, sinon complètement opposé. C’est le cas de Justin Raimondo, le 12 mars encore ; pour autant, cela ne signifie pas la fin de la crise, l’arrêt des hostilités et le retour “à la normale” (“normale-Système”, s’entend) ; l’on dirait même que, dans l’esprit de Raimondo, ce serait le contraire, c’est-à-dire avec la perspective de la transformation de l’insurrection de communication en insurrection tout court... Et naturellement, il s’agit de la meilleure option conclut le commentateur d’Antiwar.com, qui a bien compris ce que c’est que d’être antiSystème.

« I’ll end this with a prediction: Donald Trump is not going to be the Republican nominee. I don’t care how many delegates he amasses: for all his inconsistencies, he still represents a deadly threat to neoconservative domination of the GOP, and the party elite isn’t going to let him have “their” GOP. Doug Wead, a longtime libertarian and strategist for both the Ron Paul and Rand Paul campaign, here outlines the many ways in which the Establishment can – and, in my view, will – steal the nomination from under Trump’s nose. Wead knows the nuts and bolts of the Republican party machinery all too well, and I don’t believe Trump and his campaign managers have a clue about what they are up against.

» In a sense, this is the best outcome we could hope for: by stealing the nomination away from Trump, the elites will de-legitimize not only the Republican party but also the illusion of electoral politics and American “democracy.” People will wake up to the fact that the game is rigged – and that’s when our not-so-wise rulers will begin see that they’re in some really serious trouble. »

Aujourd’hui est une journée importante (un deuxième Super Tuesday, avec la Floride et l’Ohio votant type-“winner-take-all”, ce qui fait beaucoup de délégués pour le vainqueur). Aujourd’hui, rien ne sera réglé, dans aucun sens. Depuis vendredi et les évènements de Chicago, les évènements ont encore accéléré avec le processus de diabolisation de Trump passant en mode-turbo et touchant désormais l’Europe (et Paris, Paris et ses salons, toujours à l’avant-poste de la sottise-BAO !). Il s’agit d’un spasme classique du Système, toujours prêt à sauter sur la première sottise venue, aidée en cela par la gauche-humanitariste transatlantique, à peu près aussi stupide que la droite dans son genre. (C’est le Diable qui inspire tout cela, comme nous dit et redit Guénon, comme s’il s’agissait d’une de nos devises : « On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature... ».)

La diabolisation de Trump, avec affrontements à la clef, qui pourraient bien dégénérer, c’est l’aggravation assurée de la crise. Il ne s’agit plus, mais alors plus du tout d’une élection présidentielle, fût-elle essentielle et vitale. Il s’agit du cœur du Système qui est mis sur la place, avec à la clef un banco dont on ne voit pas par quelle issue il pourrait ramener à ce calme qu’apprécie le Système lorsqu’il exerce son empire ; dont on voit au contraire toutes les issues, comme autant de voies d’eau du Titanic, qui pourraient nous conduire au terme catastrophique de la crise... Oh là là, comme nous sommes loin des risques de “fascisme”, de “xénophobie”, et autres cerises sur un gâteau complètement illusoire et transformé en énorme bombe à retardement qui fait déjà “tic-tac”.

Et ainsi les perspectives sont-elles vertigineuses, jusqu’à penser que Dieu lui-même n’y peut rien, – à moins qu’il soit complice, sinon instigateur, comme une sorte de super-ben Laden (Michael Snyder, le 14 mars) : « In the end, Americans are going to kill Americans, our cities are going to burn, and we are going to experience a period of governmental shaking unlike anything that we have ever seen before. All of this could have been avoided if we could have simply learned to love one another.  But instead, we have allowed ourselves to be divided in just about every way imaginable, and the mainstream media is constantly tossing more fuel on the fire.

» This isn’t about Donald Trump, Bernie Sanders, Hillary Clinton or any other politician.  Rather, this is about a once great country that is deeply, deeply divided and that is coming apart at the seams right before our very eyes.

» May God have mercy on the late, great United States of America. »

... On veillera donc à intercéder auprès de Lui, dans ce sens.

Au risque de l’American Dream

A la question qui commence ce texte (“Cette époque que nous vivons restera-t-elle, plus qu’aucune autre malgré les tentatives désespérées de l’historiographie-Système, comme “l’époque-de-la-Haine”, dans notre Histoire et par conséquent dans l’histoire de la modernité ?”), à cette question s’en ajoute une autre, d’ordre psychologique et d’ordre immédiatement opérationnel puisque posée dans le cours de cette élection présidentielle devenue une crise pleine de bruits et de fureurs. Il s’agit de la question de la destruction de ce qui tient psychologiquement le Système, qui est la fascination universelle de la modernité pour l’American Dream. (On sait que, pour nous, comme on peut le lire à de nombreuses occasions, et comme on peut le lire dans diverses occurrences dans La Grâce de l’Histoire, l’American Dream et la fascination qu’il suscite sont la ruse et le moyen psychologique fondamentaux posés par le “déchaînement de la Matière” et constamment raffinés et renforcés par le Système pour verrouiller la modernité et la course déstructurante-dissolvante qui va avec. Cette fascination est un phénomène psychologique qui survit encore malgré l’effondrement de la puissance et des pseudo-“valeurs” des USA, c’est le dernier bastion, le dernier carré du Système.)

Le déclenchement d’une puissance phénoménale du processus de la diabolisation de Donald Trump pose un risque d’une puissance tout aussi phénoménale, – cela considéré hors de tout débat sur le bien-fondé ou pas de la chose (la diabolisation), aspect absolument accessoire et dérisoire et qu’il faut tout aussi absolument dédaigner. Sans même conjecturer sur l’avenir opérationnel proche, sur la désignation ou pas de Trump à la candidature républicaine, sur sa victoire ou non s’il est désigné et s’il figure dans l’élection finale, le constat est aujourd’hui qu’il (Trump) représente de plus en plus à lui seul, – qu’il le veuille et le réalise ou pas, peu nous importe, – un mouvement populaire perçu comme la dynamique même des USA, c’est-à-dire le devenir des USA, c’est-à-dire les USA eux-mêmes, contre un establishment incroyablement délabré et corrompu. (“A lui seul” parce qu’en s’enfermant dans une critique de diabolisation de Trump comme il l’a fait, Sanders, d’une part, se prive de plus en plus de sa vertu antiSystème ; parce que, d’autre part, et sans doute ceci expliquant cela, il tend à disparaître du jeu à moins d’une extraordinaire surprise électorale dans cette deuxième phase des primaires.) En d’autres termes pour ce qui concerne cette question de la diabolisation, c’est la diabolisation des USA qui est aujourd’hui l’enjeu de la situation et, par conséquent, la diabolisation de l’American Dream ; on ne peut imaginer pire catastrophe pour le Système...

Nous avons envisagé depuis longtemps, depuis 2008-2009 où s’est posée à notre sens d’une façon opérationnelle concrète la question de la fin brutale de l’Amérique en tant qu’artefact fondateur de la modernité dont nous vivons aujourd’hui la crise existentielle, avec la question parallèle du destin possiblement catastrophique de l’artefact fascinatoire (l’American Dream). Nous allons donner ici un extrait d’une Note d’analyse d’octobre 2009 où est envisagée la problématique de la “fin brutale”, notamment et essentiellement à la lumière de cette question psychologique de la fascination de l’American Dream. Cette occurrence de la fin de l’Amérique était envisagée à l’occasion de la montée du Tea Party et l’hypothèse principale portait sur “la dislocation de l’Amérique”. Même si la crise actuelle est de forme différente, les composants sont évidemment les mêmes, et le thème final de “la dislocation de l’Amérique” est plus que jamais sur la table, – parce qu’il est, finalement, la seule “sortie de crise” concevable pour un pays qui est d’une si grande fragilité unitaire derrière l’apparence de l’hyperpuissance... “Sortie de crise” évidemment catastrophique, activant le reste.

« ...Notre appréciation est que l’extrême complexité de la situation US se résume à deux questions ou constats paradoxalement très simples.

» • Nous serions tentés d’accepter l’hypothèse du “quand” plutôt que du “si”: “quand une explosion aura lieu aux USA” – plutôt que “si une explosion a lieu aux USA” – entraînant une véritable situation de désordre civil, que se passera-t-il? (La caractérisation d’une telle “explosion” est quasiment impossible, en raison de la variété des situations et de leur volatilité, à cause de la puissance de la communication.) [...]

» • Lorsque l’explosion aura eu lieu et qu’une situation de désordre existera, deux forces s’exerceront en faveur d’un système de partition, ou de “dévolution” (comme dit Starobin), mais plutôt brutalement que dans l’apaisement. Ces deux forces sont d’une part les tensions populaires qui sont nettement centrifuges, d’autre part les réactions de certains centres de pouvoir du centre général qui, imbus de leur pouvoir et refusant tout compromis, pousseront vers des situations de résistance très forte sans moyens réels pour en contenir les effets. Dans ce cas où une situation d’affrontement aura été créée, il sera de plus en plus difficile de parvenir à des situations de compromis qui permettraient de résorber la crise. On fera encore monter la tension (“‘montée aux extrêmes”) sans résultat décisif en faveur du centre qui sera la principale cause de cette montée de la tension.

» C’est en ceci que la crise US potentielle est spécifique. Si elle éclate, les forces déclenchées tendraient à son aggravation, alors que dans nombre de cas, une crise peut au contraire libérer des forces dont la confluence tend à chercher la solution de problèmes jusqu’alors écartés. Cela situe toute l’ampleur de la distance qui s’est établi, du gouffre qui s’est creusé entre Washington et le “pays réel”.

» Nous avons déjà écrit et nous le répétons avec force : il ne peut y avoir, aujourd’hui, d’événements plus important pour la situation du monde qu’une dynamique de dislocation des USA. Nous pensons que la crise actuelle est à la fois, et contradictoirement, formidablement amplifiée et formidablement bloquée dans sa compréhension par la puissance de la communication. Ce phénomène ne cesse de dramatiser et d’attiser les conditions de la crise tout en renforçant la pression du conformisme de la pensée dominante pour ne pas mettre en cause les éléments qui sont les fondements de cette crise.

» L’un des fondements est psychologique, avec le phénomène de fascination – à nouveau ce mot – pour l’attraction exercée sur les esprits par le “modèle américaniste”, qui est en fait la représentation à la fois symbolique et onirique de la modernité. C’est cela qui est résumé sous l’expression populaire mais très substantivée de American Dream. Cette représentation donnée comme seule issue possible de notre civilisation (le facteur dit TINA, pour “There Is No Alternative”) infecte la plupart des élites en place ; elle représente un verrou d’une puissance inouïe, qui complète d’une façon tragique la “fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique” pour former une situation totalement bloquée empêchant de chercher une autre voie tout en dégringolant vers la catastrophe. La fin de l’American Dream, qui interviendrait avec un processus de parcellisation de l’Amérique, constituerait un facteur décisif pour débloquer notre perception, à la fois des conditions de la crise, de la gravité ontologique de la crise et de la nécessité de tenter de chercher une autre voie pour la civilisation – ou, plus radicalement, une autre civilisation.

» L’alternative n’est pas une évolution des arrangements politiques, économique ou géostratégiques (par exemple, la Chine remplaçant les USA comme n°1, mais toujours dans le même système). En raison du blocage psychologique ainsi décrit et de la prédominance de la communication, parce que nous sommes dans une ère psychopolitique et non plus dans une époque géopolitique, il n’est pas raisonnble d’envisager une évolution “douce” où les USA accepteraient de perdre leur position dirigeante absolue. L’alternative est une poursuite catastrophique de la crise vers des situations inconnues de désordre, avec les USA bloquant toute évolution possible. Mais il y a également de fortes chances que cette alternative renvoie évidemment à la première hypothèse, parce que l’entraînement “vers des situations inconnues de désordre” affecterait justement, en priorité, les USA, vers l’évolution qu’on suggère, prédatrice et liquidatrice de l’American Dream... »

Le risque de la crise, c’est-à-dire désormais et de plus en plus comme une probabilité fondamentale, c’est l’effondrement psychologique du Système et de tout ce qui, en nous, le justifie et le légitime même contre notre gré, contre notre pensée, contre nos démonstrations furieuses. La diabolisation qui caractérise la campagne présidentielle est une ombre terrible portée sur ce montage-Système qu’est l’Amérique, et sur son principal masque psychologique qu’est l’American Dream ; c’est-à-dire qu’est en jeu notre réalisation et notre acceptation de l’effondrement du Système qu’inconsciemment nous craignons autant que nous la désirons, – et même si consciemment nous proclamons, comme nous-mêmes le faisons, qu’il faut que le Système s’effondre. Ce dernier verrou inconscient sautera “si l’Amérique saute” ; et il n’y a pas de meilleur moyen, aujourd’hui, de faire sauter un verrou que de le diaboliser, tant la diabolisation est l’arme absolue du terrorisme psychologique qui caractérise le fonctionnement intellectuel de notre contre-civilisation. Ainsi serait accomplie dans sa quasi-perfection mathématique l’équation-maîtresse du Système, de la surpuissance-autodestruction.

En attendant, à vos écrans pour le super-Tuesday, et la poursuite de la course vers l’abîme... Mais cet abîme doit être perçu, comme tout aujourd’hui sous l’empire du Système, d’une façon invertie. Cet abîme est en vérité une porte ouverte sur l’échappée décisive, vers le haut, hors d’un Système achevant son effondrement. Le vertige est donc inutile, sinon celui des grands Moments métahistoriques, lorsque bascule l’Histoire. Nous sommes aux premières loges.