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 2008

Entre amis

9 février 2003 — A Munich avait lieu la Wehrkunde, grand séminaire annuel en Allemagne, sur les questions de sécurité, où ont l’habitude de parler quelques-uns des ministres les plus importants des pays occidentaux. Rumsfeld était présent, le ministre des affaires étrangères allemand Fischer, Michèle Alliot-Marie, ministre française de la défense. De ces trois-là, nous allons parler à propos de leur ton, de leur attitude psychologique, de ce que cela dit des convictions et des équilibres des uns et des autres, — plutôt que du fond de leurs interventions, qui n’apporte rien de nouveau, ce qui est logique. (C’est dans tous les cas notre approche dans une première démarche, à partir des informations que nous avons.)

• Rumsfeld a été égal à lui-même : brutal et sarcastique, —ou, disons, sarcastiquement brutal, avec ici ou là quelque chose qui se rapproche de « propos insultants » pour les Européens (selon le ministre belge des affaires étrangères, Louis Michel). Emphatique, aussi, avec sa coalition, les fameux « the willing and the able », regroupant aujourd’hui 90 pays, selon sa comptabilité très enthousiaste. (Il en pleut de partout, c’est une avalanche de pays coalisés, nous dépasserons bientôt l’effectif terrestre.) C’est la dernière « plus importante coalition de l'Histoire » en date. Bref, hystérie as usual si l’on veut, les Américains fonçant sans s’occuper de rien, même pas du fait que leur déboulé ressemble parfois à du sur-place, avec cette guerre annoncée depuis 14 mois et toujours pas faite.

• Fischer a été égal à lui-même (bis), c’est-à-dire pathétique, fiévreux, finalement très incertain. A l’entendre, on comprend que l’équipe Schröder n’est anti-guerre que parce qu’elle est faible, qu’étant faible elle ne peut prendre l’opinion publique de front et que cette opinion est farouchement anti-guerre. Sans doute Fischer, au secret de lui-même, n’aimerait rien tant qu’être aligné, comme il le fut sur Albright pendant la guerre du Kosovo. Le peuple en a décidé autrement. Fischer est pathétique. (Les Américains, eux, n’y comprennent rien. Leur aveuglement est également pathétique. Ils font pression sur ce gouvernement allemand et l’affaiblissent de plus en plus, — voire en l’humiliant, ce qui est pire que tout, — alors que c’est cette faiblesse même qui oblige ce gouvernement à être anti-guerre.)

Selon un article du Monde du 9 février 2003  :

« Tout en campant sur ses positions, le ministre des affaires étrangères allemand Joschka Fischer a tenté de saisir l'occasion de la conférence pour apaiser un peu les tensions qui marquent les relations germano-américaines depuis le début de la crise irakienne.

» “Nous ne sommes pas si loin des Etats-Unis”, a-t-il lancé en réponse au secrétaire à la défense américain Donald Rumsfeld pour lequel “les divergences européennes” sur l'Irak “sont plus importantes que les différences entre l'Allemagne et les Etats-Unis”. »

• Maintenant, la Française. Nous l’avons vu, elle aussi, une poignée de secondes dans les reportages TV de l’événement. Le verbe ferme, une conviction sans faille, une critique qui va de soi et qui roule comme l’évidence du bon sens, l’absence complète de cette trouille (pas d’autre mot car la vulgarité définit l’attitude) qui trempe littéralement les discours de nos compères de l’OTAN et de l’UE devant la personnalité US de service. Que dire d’autre ? Le discours d'Alliot-Marie, par le ton et par la conviction, a soudain remis Rumsfeld à ses dimensions humaines (il n’est pas très grand), et ramené la politique US à ce qu’elle est, — pas grand’chose mais le déchaînement aveugle d’une puissance colossale et l’hystérie de l’analyse pour se faire croire qu’on maîtrise, qu’on est « in charge ». A ce propos, on veillera de mettre en exergue un passage du discours d’Alliot-Marie qui nous fait espérer que certains Français pourraient commencer à envisager que le fondement du “problème américain” est d’ordre psychologique, au niveau de l’affection de la psychologie collective et conformiste de l’establishment US : Alliot-Marie
 a même ironisé sur la “combativité” de la délégation américaine qui avait fait le voyage depuis Washington. “Si j'en crois la combativité des propos ce matin, je crois qu'il va bientôt falloir inscrire le jetlag dans les produits dopants”, a-t-elle déclaré. Le jetlag est l'effet du décalage horaire sur la santé et le psychisme. »

Autre exemple de l'intervention de la ministre française ;

« A la tribune de la 39ème Conférence internationale sur la sécurité, qui réunit chaque année à Munich les principaux acteurs de la défense dans le monde, la ministre de la défense française, Michèle Alliot-Marie a martelé : “Etre allié, c'est un statut qui implique le dialogue et le respect des partenaires.”

» ”Cela veut dire qu'on évite les accusations infondées, les assertions mensongères”. “C'est savoir se consulter pour trouver un consensus”, a-t-elle asséné. »

A côté de ces représentations psychologiques si significatives, et qui vous résument aussi bien la crise, nous avons la représentation médiatique. Nous retrouvons le décalage entre “monde réel” et “monde légal”, et complètement “monde virtualiste” dans ce cas, — décalage qui a excité notre humeur par ailleurs. Ce décalage fait que quelques pays qui “résistent” sont décrits comme extraordinairement isolés, alors qu’ils ne le sont implicitement pas du tout par ailleurs, au contraire seuls à représenter une opinion publique mondiale qui proteste contre cette crise et la guerre qu’on lui réserve.

Pour l’exemple, on comparera ces deux extraits qui portent sur une situation assez proche et qui disent exactement le contraire.

• D’une part, Le Monde, dans le même texte, appréciant dans le sens habituel (phrase qui nous importe souligné de gras par nous) :

« La France et l'Allemagne sont de plus en plus isolées dans l'Union européenne (UE), et surtout dans l'Otan, dans leur opposition à un recours immédiat aux armes contre l'Irak, mais continuent à résister aux pressions pour faire fléchir leurs positions. »

• D’autre part, l’excellent site Truthout.org, publiant un éditorial de William Rivers Pitt, auteur (War On Iraq, avec Scott Ritter, et The Greatest Sedition is Silence, publication prévue pour mai 2003), professeur à Boston, qui analyse la situation créée par la dégradation de la position de Tony Blair à la suite de l’affaire du rapport-bidon (nous soulignons la phrase de la citation qui nous importe) :

« This report could shake Blair's standing with his government and his people. Blair's relationship with his own party, and with the British citizenry, has already proven rocky on the subject of his alliance with the Bush administration over this conflict. If Blair's ability to stand with Mr. Bush becomes undermined, Mr. Bush would find himself almost completely isolated on this issue. »