En revenant de Prague

Faits et commentaires

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 868

En revenant de Prague


22 novembre 2002 — De nombreux textes de commentaires sur le sommet de Prague tendent à présenter cette réunion comme très décevante par rapport aux attentes créées par la présentation médiatique. On peut, par exemple, lire le compte-rendu du 22 novembre du Telegraph. Il nous dit beaucoup du climat délétère qui a régné lors de cette réunion. Ce sommet pourrait rester comme une étape importante dans l'effondrement du système occidental après la Guerre froide, — non pas l'effondrement de l'“Occident”, mais l'effondrement du système qui maintient artificiellement, par la force d'une pression permanente, une entité baptisée “Occident” et réunissant les deux continents américain et européen.

Le Telegraph rapporte un incident entre les Français et les Américains, qui illustre, par sa confusion, par la détermination de certains des acteurs (les Français notamment) le climat de ce sommet.


« Before the three-day summit began, President Jacques Chirac indicated that he was unwilling to move any further than he had during the furious debate over resolution 1441. That point was re-emphasised yesterday by French officials.

» On Wednesday, Mr Bush said Saddam should admit holding weapons of mass destruction by the UN deadline of Dec 8 or “enter his final stage with a lie”.

» In a sign of the gulf between Washington and Paris, French officials at the summit yesterday chose to interpret Mr Bush's words as a threat of military action if Saddam denied he was still pursuing weapons of mass destruction.

» “That is his own interpretation and we do not share it,” one said. “On Dec 8, we will take note of what Iraq says it has … and we will see if its behaviour is consistent with its statement.”

» Condoleezza Rice, the US national security adviser, stepped back from Mr Bush's doomsday tone, when she said Dec 8 would merely be the “start” of a new stage of the disarmament process. »


Une excellente appréciation du sommet se trouve dans l'analyse qu'en fait Adrian Hamilton, dans the Independent. Son titre est déjà très significatif : « Nato suffers from a terminal illness, but no one dares kill it off just yet » Voici quelques extraits significatifs du texte de Hamilton :


« There is a simple rule in politics. The more politicians talk of an institution as being ''relevant'' and ''reborn'', the more you know it's on its last legs. Yesterday the air in Prague was positively tropical with the hot breath of 40 world leaders attending a summit of the North Atlantic Treaty Organisation all saying how important this venerable alliance was. What they actually meant when you listened carefully was that they all had their individual reasons for finding the organisation useful at this particular moment.

(...)

» The particular casus belli of Iraq can be smoothed over between the allies – as it has been – through a resort to the United Nations, although it still leaves open the question of what happens if the inspectors approve the Iraqi response and Bush still decides to go to war. But the divide cannot be bridged overall. The two sides, with the presence inbetween of Tony Blair, are just too far apart. And you cannot sustain a military alliance on that basis.

» Still less can you regroup that alliance, as Donald Rumsfeld, the US Defence Secretary, is insisting, around a combination of vastly increased European military expenditures and the creation of a new super rapid reaction force for what is referred to as ''out-of-theatre operations''.

» But this only makes the basic dilemma worse. The whole debate set by US politicians about comparative defence expenditures between the US and its allies is a facile one. It is perfectly true that US military spending amounts to double that of all its Nato allies put together. But that is because the US wishes to be a global superpower keeping foreign bases in over 40 countries, maintaining permanent fleets in every ocean and a bomber capacity to reach anywhere in the world. Europe has not seen its interest in doing that since it gave up its empires.

» It is true that Europe badly needs to upgrade its equipment and invest in more high-tech and carrying capacity. But it needs this quite aside from its membership of Nato. The problem of that organisation is that any decision on out-of-theatre action will only exacerbate internal tensions, not ease them.

» The chief reason for opposing this desperate attempt to keep Nato on life-support, however, is that its continuation diverts attention from – actually obstructs, indeed – the development of its successors. In the end, the pattern of world defence, like the patterns of world politics, is likely to be regional. Europe, Asia and even perhaps the Arab Middle East will develop mutual support because they have to. Whether America acts as a nanny to these infants or as a broooding alternative presence has yet to be seen. But the present unipolar world leaves too great a vacuum for it not to be filled. »


De ce que nous avons cité, gardons ceci, qui nous paraît d'une justesse éclairante : « The problem of that organisation is that any decision on out-of-theatre action will only exacerbate internal tensions, not ease them. ». Hamilton fait cette remarque incidemment, il ne pousse pas son exploration à son terme, jusqu'à l'extrême de sa signification. Il s'agit sans aucun doute de la remarque la plus significative concernant l'évolution de l'OTAN :

• Alors que tout le monde connaît, depuis des années, des doutes multiples sur l'utilité de l'OTAN, une cause essentielle pour son existence a toujours été avancée, sur laquelle un accord général était réuni : l'OTAN comme forum de consultation transatlantique, — là où se retrouvent ceux qui sont finalement des alliés, des amis, là où se font les consultations, où s'ébauchent les projets communs.

• Surtout, depuis 1989-91 où les temps sont devenus difficiles pour l'Alliance : l'OTAN comme forum transatlantique, c'est-à-dire le lieu et le rendez-vous où les querelles extérieures finissent par se vider puis s'aplanir. Ce que nous montre Prague, c'est que cette fonction essentielle est finie par non-existence, ou par effet contre-productif.

• A Prague, on a pu constater que la division entre la plupart des Européens et les Américains sur l'Irak se confirmait et subsistait. Dans ce cas, qui n'avance pas recule : l'OTAN n'ayant pas réussi à exercer sa soi-disant capacité de rassemblement, c'est la désunion qui a été la marque du sommet et dont l'effet a été grandi par le faste du sommet.

• L'exemple le plus démonstratif de cette situation est le cas américano-allemand : que les Américains et les Allemands n'aient pas pu se réconcilier a conduit au constat qu'ils ont paru encore accentuer leur opposition. (Auriez-vous imaginé hier encore, avant Prague, un Joska Fischer déclarant [c'est le ton qui importe] : « We will not take part [to a war against Iraq], full stop », après que les participants au Sommet aient entendu les Allemands les avertir qu'une guerre serait « une catastrophe. ») Le plus pathétique quant aux relations germano-américaines et, en même temps, le plus irrésistiblement ironique, est sans doute cette affirmation venue d'une source allemande proche de Schröder selon laquelle les choses ne vont pas trop mal entre Schröder et GW puisque les deux hommes « se sont serrés la main durant un temps normalement long pour deux hommes qui se serrent la main ».

Au-delà des évolutions tactiques (la politique britannique notamment, qui est de plus en plus présentée effectivement comme un développement tactique), d'une façon générale les relations entre les USA et l'Europe continuent à se détériorer substantiellement. C'est une mécanique que nul ne semble pouvoir, non seulement arrêter, mais simplement contrôler. Elle dépasse désormais les principaux acteurs et devrait tendre à constituer le principal facteur de désordre dans les relations international.