En marche avec le ‘Wokenisme

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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En marche avec le ‘Wokenisme

22 novembre 2020 – On a noté l’apparition d’un nouveau mot, désignant un phénomène évidemment postmoderne, pseudo-culturel, pseudo-insurrectionnel, évidemment communicationnel et donc ‘politique’ selon l’entendement actuel. Il s’agit du pléonasme à partir du mot “woke”, – ‘Wokenisme’, pour désigner le mouvement actuel, en-cours aux USA, de radicalisation extrême, de type sociétal.

Je pense qu’il faut être extrêmement attentif à ce phénomène, le pister et l’observer avec entêtement et l’esprit très-ouvert, parce qu’il contient toutes les nullités, toutes les absurdités nucléaires de notre Grande Crise, et par conséquent tout ce qui constitue le meilleur détonateur interne pour le suicide en grandes pompes que nous prépare la Grande Crise. Je pense qu’il n’est pas prêt de s’éteindre ni de se diluer, encore moins bien sûr si Biden entre en civière à la Maison-Blanche. Il est le plus parfait faux-nez, le masque quasi-covidien désignant le contraire de la vérité-de-situation du monde, comme s’il était porteur d’un message de la plus haute importance et tout à fait recommandé de notre Ange-Noir, et cela justifie l’intérêt qu’on doit lui porter.

Le ‘Wokenisme’ est, à mon sens, et sans peur et sans reproche d’être dénoncé par le ‘nonsèmes’ ou “non-sens”, l’installation opérationnelle ultime d’une catégorie de la pensée qui se tient dans le vide, au-dessus du néant, rythmant selon le rire sardonique de ce qui serait un plaisantin explosif et publié, l’abondance des restes de l’anéantissement d’une chimère incompréhensible. Tout ce baratin ne prétend pas seulement accrocher cette ‘école’ grandiose des déconstructeurs à ses descendants du début XXIème, nous précipitant de Badiou en Žižek pour nous faire déboucher sur le ‘Wokenisme’ ; il est là pour faire résonner les grands appels que nous dispense cette pensée-masquée, annonciatrice de l’ère covidienne... Ne cherchez pas de correspondance de sens là où il n’y a que le non-sens, mais cherchez plutôt les signes de l’ultime équipée de l’Effondrement du Système. Le ‘Wokenisme’ est une bonne piste à cet égard et il faut souhaiter qu’elle puisse mener à la destination promise, exactement comme l’on attendait que s’épanouissent les Cent-Fleurs (« Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent ! »). Le ‘Wokenisme’ est l’entrée en majesté dans la gare du terminus, en croisement de Mao et Foucault.

Plus sérieusement et plus respectueusement, je dirais sans trop me risquer que le ‘Wokenisme’ est l’opérationnalisation politique du ‘nonsèmes’ ou “non-sens”, et l’on peut trouver une approche d’analyse explicative de ce phénomène chez l’auteur déjà cité dans notre texte sur le ‘Wokenisme’. Roger Scruton nous avertit, nous qui avons cru en 1989 que la balade communiste avec tous ses étapes originales et ses extras salutaires dans les stations balnéaires de la Kolyma était finie, qu’il n’en était rien ; qu’au contraire, 1989 nous débarrassait d’un poids encombrant, pour ouvrir la route à l’éclosion du simulacre ultime, à l’intronisation majestueuse du ‘nonsèmes’ en guise de bon-sens ; ou encore, le comique de l’absurde nous indiquant que le non-sens est le bon-sens même, exactement comme un voyageur le constate dans le train qui le conduit à bon port :

« Ceux qui imaginèrent, en 1989, qu’on ne verrait plus jamais le moindre intellectuel défendre le Parti léniniste ou prôner les méthodes de Staline, ne tinrent pas compte du pouvoir du non-sens. Confronté à l’urgence de croire, de trouver un mystère central qui serait la véritable signification des choses et auquel il pourrait dédier sa vie, un individu ne peut que préférer le non-sens au sens ? Car celui-ci crée un mode de vie autour de quelque chose qu’on ne peut remettre en cause.
» Aucune attaque raisonnée n’est possible contre une chose qui nie la possibilité d’une attaque raisonnée. Et c’est ainsi que, sans opposition, l’utopie prit de nouveau la place laissée vacante par la théologie pour bâtir son propre ‘mysterium tremendum et fascinans’ [‘Mémoire effrayant et fascinant’] au centre de la vie intellectuelle. » (Scruton, dans ‘L’erreur et l’orgueil’)

Je crois  effectivement que ce qui est en route aux USA, avec le ‘Wokenisme’, emportera tout le reste, avec la complicité active de l’hyperlibéralisme, transformant le capitalisme en une drogue dispensant la folie décisive, une folle maquillée et déguisée en poule de Toulouse-Lautrec, la talent parigot en moins. Nous allons vers la Fin de l’Histoire grâce aux hordes en folie des rues de Minneapolis, de Portland et de Seattle, sous la direction avisée du président Joe Biden, comme une sorte de Mao Tsé-toung de supermarché, revu et corrigé par Mark-Facebook et Jack-Tweeter. Ainsi cet avertissement ci-après doit-il être, à mon sens, et bien à mon non-sens, être pris complètement au sérieux, – y compris les derniers mots, sur la fin suicidaire. (Décodage partiel : l’allusion au poète et à son épouse-KGB va à Aragon et à sa femme Elsa Triolet, née Elia Yourevnia Kagan et excellente correspondante des ‘Organes’ soviétiques pour faire marcher droit l’artiste.)  :

« Pour nous, et nous reviendrons là-dessus, le ‘Wokenisme’ est l’achèvement d’une transmutation qui intègre totalement l’hypergauchisme post-communiste dans le néolibéralisme capitaliste, ou l’inverse. Ce n’est plus une union de convenance, où l’un pourrait se croire cocu et l’autre malin ; c’est un mariage de passion, et le Grand-Amour entre capitalisme et modernité enfin consommé jusqu’à la gauche, et même jusqu’à l’au-delà de la gauche. Mais nous sommes inquiets pour eux car, comme écrit le poète quand son épouse-KGB ne le surveille pas, “il n’y a pas d’amour heureux”,  et l’on sait bien comment se termine ‘Roméo et Juliette’. »

Scruton, lui, est un remarquable philosophe qui est à déguster pour les avis qu’il donne sur les philosophes postmodernes. A le lire, vous vous sentez moins stupide de ne pas être au niveau des philosophes les plus stupides de ce “stupide XXème-XXIème siècle” le phénomène des ‘deux siècles en un’, ou le développement du jugement sous la poigne amicale des ‘nonsèmes’. Il aide à faire le ménage, Scruton. Vous pouvez alors mieux identifier et distinguer le phénomène qui sourd de la crise de l’effondrement des USA.

... Après tout et pour tenter de mieux comprendre, voire de définir l’époque, je dirais que je ne vois pas vraiment de différence entre la surprise d’‘En Marche’ de mai 2017 et la gloire du ‘Wokenisme’ en même temps que l’ascension de Joe Biden. Nous sommes sur la même piste qui mène à la maison d’arrêt ultime, au bout de la route, du côté d’un de ces nid de coucous qui cultivent les vertus ; tant il est vrai, selon la parole fameuse du philosophe de nos salons, que “les Cent-Fleurs fleurissent bien mieux lorsqu’elles sont plantés à l’ombre du nid de coucous”.

Ce constat fera l’affaire pour définir le ‘Wokenisme’. N’attendez pas de moi que je lui fasse l’honneur d’une « attaque raisonnée », qui serait le piège le plus hermétique où je pourrais me fourrer.