En attendant Godot...

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En attendant Godot...

• Dans notre hypothèse en forme de théâtre d’ombre, “Godot” représente la “grande offensive russe” attendue/annoncée, etc., en Ukraine. • L’hypothèse est que la direction russe pourrait avoir envisagé de laisser les combats se poursuivre selon l’actuel schéma en verrouillant le Donbass, dans une situation où aucune entente n’est possible avec l’Ukraine et l’OTAN/les USA. • La conséquence de cette formule telle qu’on le constate est le pourrissement accéléré de la situation politique aux USA, du point de vue des bellicistes, de l’aveu même de Victoria Nuland. • L’idée centrale est que, dans cette bataille, rien ne peut être décisivement réglé par les armes sans risquer de monter au pire des affrontements (le nucléaire) et d’autre part aucune entente n’est possible. • La “sortie de crise » devient alors la dissolution, sous une forme ou une autre, de l’un des adversaires. • L’évolution de la situation US, sous la direction d’un Biden sénile entouré des neocon fous de guerre et devant une opposition montante laisse entrevoir la possibilité de la dissolution de la “politiqueSystème”.

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3 mars 2023 – Reprenons l’affaire ‘Ukrisis’ dans sa phase commencée avec l’année 2023... On a déjà écrit quelques mots sur le rapporte de la RAND Corporation, notamment le 29 janvier 2023 pour l’occasion la plus importante, pour dire combien la RAND Corporation était « devenue colombe ». Également comme nous l’avions apprécié, ce rapport a fait beaucoup de bruit, mais disons du “bas bruit”, avec quelques écumes en surface et beaucoup de matière à penser distribuée dans nombre d’esprit autant que l’alimentation de l’ambiguïté et de l’ubiquité du Pentagone.

Il s’agit réellement, désormais, d’un événement d’importance dans le déroulement d’‘Ukrisis’. On a pu le voir indirectement dès le 3 février, lors d’une audition au Sénat. Parmi d’autres réactions immédiates sur la signification et les conséquences de ce rapport, il y a ce texte de Mike Whitney, dans ‘UNZ Review’ le 1er février (traduction sur ‘Réseau International’ le 3 février). On cite un extrait de l’introduction qui confirme la mesure de l’événement.

« Ce qui rend le dernier rapport de la RAND Corporation sur l’Ukraine si important, ce n’est pas la qualité de l’analyse, mais le fait que le groupe de réflexion sur la sécurité nationale le plus prestigieux du pays a adopté une position opposée à celle de la classe politique de Washington et de ses alliés globalistes sur la guerre. C’est une très grosse affaire. Gardez à l’esprit que les guerres ne prennent pas fin parce que le public s’y oppose. C’est un mythe. Les guerres prennent fin lorsqu’un clivage critique émerge entre les élites, ce qui conduit finalement à un changement de politique. Le nouveau rapport de la RAND Corporation, “Éviter une longue guerre : La politique américaine et la trajectoire du conflit Russie-Ukraine”, représente justement cette rupture. Il indique que des élites puissantes ont rompu avec l’opinion majoritaire parce qu’elles pensent que la politique actuelle nuit aux États-Unis. Nous pensons que ce changement de perspective va prendre de l’ampleur jusqu’à ce qu’il déclenche une demande plus affirmée de négociations. En d’autres termes, le rapport RAND est le premier pas vers la fin de la guerre. »

« C’est une très grosse affaire », c’est évident, d’ailleurs la discrétion de la presseSystème en constitua la confirmation. Là où nous sommes moins d’accord, c’est au moins sur deux points importants :

• L’idée que l’affirmation de cette “opposition” à l’intérieur du Système va faire évoluer le Système d’une manière ordonnée et consensuelle, c’est-à-dire d’une manière “démocratique”. Notre avis va au contraire : cette affirmation doit exacerber une opposition radicale, jusqu’ici dissimulée mais très profonde, éclatant au grand jour pour opposer deux tendances qui se haïssent.

• L’idée que « le rapport RAND est le premier pas vers la fin de la guerre » ; cette affirmation nous paraît très incertaine ; par contre, nous avons estimé que le rapport était le premier pas annonçant que la la situation de la guerre, dans ce contexte d’affrontement-là, constitue un déplacement décisif de l’Ukraine vers Washington. C’est bien ce que nous nommions dès le début de février « la bataille de Washington ».

Cette “bataille de Washington” fut d’abord faite d’escarmouches. Un exemple : suivant ce qu’on rapportait concernant des poussées pour un désengagement US vint la nouvelle que Washington allait laisser toute latitude à l’Ukraine d’utiliser des munitions guidées (lanceurs HIMARS) à longue distance, n’importe où sur le territoire russe à sa portée.

« C'est au gouvernement de Kiev de décider de l'utilisation des nouvelles munitions livrées pour les lanceurs HIMARS fournis par les États-Unis, a déclaré le Pentagone vendredi [3 février]. Cette déclaration confirme que le dernier lot de munitions financé par les contribuables américains comprendra des bombes à petit diamètre lancées depuis le sol (GLSDB).

» Ces munitions fabriquées par Boeing consistent en un moteur de fusée couplé à une bombe d'avion, avec une portée estimée à 150 kilomètres. Alors que l'annonce de vendredi mentionnait des “munitions supplémentaires” pour les HIMARS et des fusées guidées de précision”, le brigadier-général Patrick Ryder a déclaré aux journalistes que cela incluait effectivement les GLSDB, confirmant ainsi les informations communiquées à Reuters en début de semaine. »

Cela représente une marche de plus dans l’escalade, observèrent aussitôt les Russes qui affirmèrent préparer des représailles. On peut aussi bien considérer qu’il s’agissait indirectement d’une “réponse” des partisans de la guerre au rapport RAND et ce qui l’accompagne, cette “réponse” venue d’une décision de la Maison-Blanche et du département d’État où sont concentrés les extrémistes & neocons. En l’état actuel, le Pentagone ne peut qu’obéir à un ordre de la présidence même s’il en connaît l’origine.

Mais alors deux cas de figure peuvent se présenter, tous deux engendrant une tension qui conduit à l’affrontement où les deux forces adverses peuvent être amenées à se dévoiler comme telles :

• L’utilisation de ces armes peut conduire à une aggravation très dangereuse de la situation générale grâce à leur efficacité, et l’on retrouve les deux forces face à face, l’une plaidant pour un retrait rapide pour éviter l’affrontement avec la Russie, l’autre plaidant pour un renforcement jusqu’à l’affrontement.

• Le même processus peut se produire si ces armes avancées ne produisent pas d’effets importants mais des ripostes russes, avec aggravation de la situation pour l’Ukraine. On retrouve la même situation selon une approche inversée.

Ce sont des exemples du type de situation qui peut aisément se retrouver. La seule constante, c’est une opposition qui ne peut que s’exacerber à la mesure de l’exacerbation d’une situation manipulée dans l’environnement d’une tension extrême, face à une Russie déterminée. Ce dernier point est capital et nous fait diverger du scénario de Whitney.

Lorsqu’il écrit ceci, il suggère que tous les acteurs sont rationnels, y compris ceux qui veulent un conflit mais céderaient du terrain parce que les Ukrainiens s’affaibliraient et reculeraient de plus en plus :

« À certains égards, le rapport RAND n’est que le premier d’une longue série de dominos qui tombent. Au fur et à mesure que les pertes de l’Ukraine sur le champ de bataille s’accumulent – et qu’il devient plus évident que la Russie contrôlera tout le territoire à l’est du Dniepr – les failles de la stratégie de Washington deviendront plus apparentes et seront plus vivement critiquées. Les gens s’interrogeront sur la sagesse de sanctions économiques qui nuisent à nos alliés les plus proches tout en aidant la Russie. Ils demanderont pourquoi les États-Unis suivent une politique qui a précipité un fort mouvement de désaffection pour le dollar et la dette américaine. Et ils se demanderont pourquoi les États-Unis ont délibérément saboté un accord de paix en mars alors que la probabilité d’une victoire ukrainienne est proche de zéro. Le rapport Rand semble anticiper toutes ces questions ainsi que le “changement d’humeur” qu’elles vont générer. C’est pourquoi les auteurs poussent à la négociation et à une fin rapide du conflit. »

Avancer cette thèse, c’est poser que les partisans de la guerre ajustent leur position selon la fortune des troupes ukrainiennes. Ce n’est pas le cas, à notre sens. Ils raisonneront toujours au contraire, savoir que l’aggravation de la situation des forces ukrainiennes vient du fait qu’on ne les a pas assez aidées, donc qu’il faut accentuer encore l’aide, jusqu’à l’intervention directe, l’issue catastrophique. Cette dérive serait vite évidente et obligerait le partisans d’un désengagement à sortir du bois pour s’opposer à l’engagement maximal. C’est ici que nous disons que la guerre en Ukraine se transporte à Washington et devient cette “bataille de Washington”.

Au cœur de la “bataille de Washington”

On sait que la situation politique à Washington a commencé à changer au début de l’année, avec l’arrivée d’une Chambre des Représentants où les républicains sont majoritaires, mais d’une manière étriquée qui donne la part belle aux plus radicaux d’entre eux (radicaux de l’antiguerre : la ‘terrible twenty’). Ces dernières semaines les signes constitutionnels et institutionnels de cette évolution se sont faits beaucoup plus marquants ; désormais, l’Ukraine commence, à Washington, à ressembler à un aigle brusquement handicapé égaré dans un stand de tir aux pigeons... On donne quelques exemples...

• “Les Ukrainiens doivent payer !’, nouveau mot d’ordre... Devant une commission de la Chambre avant-hier, l’adjointe du ministre de la défense pour les affaires internationales Celeste Wallander a acquiescé avec un enthousiasme appuyé l’idée émise par un des parlementaires qu’il faudrait que les Ukrainiens « commencer à planifier leurs propres dépenses de défense [pour payer les armes que nous leur fournissons] ainsi que tout ce que nous ferons pour les soutenir ».

• La question de la corruption en Ukraine, souligné par de récents scandales à Kiev, est revenue en force dans les auditions du Congrès. Les “jeunes Turcs” républicains du type-Matt Gaetz n’y sont pas pour rien et leurs interventions conduisent à des témoignages souvent contradictoires et confus de fonctionnaires du Pentagone, – comme ici lors d’une audition de la Chambre, avant-hier également. L’un des deux fonctionnaires interrogés (Robert Storch) a reconnu par ailleurs, contrairement à Kahl, que le Pentagone ne parvenait pas à suivre toutes les armes livrées à l’Ukraine et l’usage qu’on en faisait.

« “Cela fait maintenant neuf ans que je travaille sur la question de l'Ukraine et, durant toute cette période, la corruption a été le problème numéro un que nous avons soulevé avec les responsables ukrainiens”, a déclaré le sous-secrétaire à la défense Colin Kahl lors d'une audition sur l'aide à l'Ukraine.

» “Nous ne voyons aucune preuve de détournement [d'armes] dans nos rapports. Nous pensons que les Ukrainiens utilisent correctement ce qui leur a été donné”, a-t-il déclaré. [...]

» “Une grande partie du zèle pour l'application des efforts de lutte contre la corruption semble s'aligner sur le contrôle républicain de la Chambre des représentants dans notre pays”, [a ironisé Matt Geitz], citant plusieurs scandales de corruption récents en Ukraine et la démission de certains hauts fonctionnaires.

» L'inspecteur général du Pentagone, Robert Storch, qui a également témoigné devant la commission, a reconnu que l'Ukraine avait “une longue histoire de problèmes de corruption”. Il n'a pas nié l'affirmation de M. Gaetz selon laquelle, dans le cas de l'Ukraine, le gouvernement fédéral ne se conformait pas pleinement à l'obligation légale de contrôler l'utilisation des armes de fabrication américaine envoyées à des pays étrangers. »

• Mais, sans nul doute le signe le plus directement significatif de la détérioration de la situation pour les partisans de l’Ukraine, c’est cette intervention, lundi 28 février, de Victoria Nuland. On sait son rôle essentiel dans la communication de guerre et la fabrication du simulacre ukrainien, et cela depuis 2014, un acharnement belliciste absolument époustouflant. Si Nuland sonne l’alarme, elle qui passe son temps à rameuter et exalter les troupes, et à préparer des attaques vicieuses, c’est que l’inquiétude gagne. Elle l’exprime dans son langage guerrier, vulgaire et sans barguigner. Nuland est bien semblable à elle-même, quand elle retraite elle maudit les dieux qui sont mal alignés et bouscule les élus du peuples qui rechignent, ces « folks [who] are starting to question ».

« S'exprimant lors d'un débat organisé par la Chambre de commerce américaine, la sous-secrétaire d'État américain aux affaires politiques, Victoria Nuland a été invitée à commenter le clivage politique à Washington concernant le soutien à Kiev.

» [Elle] a tenté de minimiser les frictions sur la question, notant que les États-Unis “ont contribué pour plus de 30 milliards de dollars à la sécurité, à la prospérité économique et à la situation humanitaire en Ukraine”. “Vous ne pouvez pas faire cela sans le soutien écrasant des deux partis au Congrès”, a-t-elle ajouté.

» Toutefois, elle a admis que “sur les franges des deux partis, les gars commencent à se poser des questions, mais fondamentalement, quand vous regardez comment les résultats des sondages dans le pays, les Américains détestent ces brutes”.

... Elle veut dire : “les Russes” lorsqu’elle parle des “brutes” et elle commence à se tromper lorsqu’elle évoque les sondages. C’est-à-dire que, justement, les sondages commencent à bouger eux aussi (ce qu’elle savait lors de son intervention), et du coup sa dernière phrase est un peu audacieuse et montre que la Nuland, comme les autres, veut croire jusqu’au bout à son simulacre.

« Un tiers des Américains estiment que les États-Unis sont allés trop loin dans leur soutien à l'Ukraine dans le conflit actuel, selon un nouveau sondage publié mercredi. Il s'agit d'une forte augmentation par rapport à la fin février 2022, quelques jours après l'éclatement du conflit, où seuls 7% étaient de cet avis.

» Selon un sondage national de l'Université Quinnipiac, 33% des adultes interrogés pensent que Washington en fait trop pour aider Kiev, tandis que 21% disent que les États-Unis en font trop peu. 38% estiment que le montant de l'aide américaine est juste correct

En attendant la “grande offensive” de Godot

C’est à cette lumière (celle de la Rand et celle de la “bataille de Washington”) que nous devons observer l’évolution de la situation en Ukraine... Avec cette question : mais que font les Russes ? Ou, sous une autre forme : n’attendons-nous pas cette “grande offensive“ russe comme Estragon et Vladimir attendent Godot, elle qui nous est promise chaque semaine depuis la fin novembre ?

Non pas que les Russes n’aient ou n’aient pas les moyens de cette “grande offensive”, – nous ne tentons pas ici cette sorte d’hypothèse par rapport à la situation opérationnelle, – mais nous la transportons plutôt sur le plan politique. En admettant, ce qui est tout de même assez probable, que les Russes, disons après la prise de Barmouth en voie d’être achevée et quelques autres points stratégiques (et le point d’interrogation d’Odessa), tiennent solidement le Donbass, ont-ils politiquement intérêt à aller plus loin, c’est-à-dire à effectuer le coup de boutoir d’une “grande offensive” ? C’est-à-dire, s’il y a “victoire”, à se trouver devant une situation énigmatique, dangereuse et confuse ?

Ils ont eu le temps, ces dernières semaines,
1) d’apprécier l’ampleur extraordinaire de l’enjeu de la partie en cours, où l’Ukraine n’est que le point de déclenchement, tandis que “l’ordre du monde” est le véritable cadre de l’action ;
2) d’observer la détérioration de la situation politique (psychologique, voire psychotique) intérieure des USA, comme nous l’avons rapidement évoquée ci-dessus.

L’une des qualités incontestables de Poutine, c’est sa capacité d’adaptation aux changements objectifs de situation. Il arrive un moment où la passion qui emporte l’adversaire et le rend si destructeur et si incompréhensible ne peut plus être arrêtée, et devient si forte qu’elle finit par s’attaquer à celui qui la produit si l’on tient assez résolument contre ses effets. C’est là donner une définition un peu plus explicite de notre équation de destruction du Système : ‘surpuissance = autodestruction’, – ou encore des variantes fameuses de la même formule : l’organisation d’un “contre-feu” pour faire mourir l’incendie, le “faire aïkido” et retourner contre l’adversaire sa propre puissance, etc.

S’il n’y a pratiquement rien de décisif, pour les Russes, à attendre de l’évolution de la situation européenne, il y a par contre beaucoup d’éléments pour plaider l’attente d’un pourrissement décisif de la situation du Système à Washington D.C. qui serait exacerbé par la poursuite d’un conflit dont on ignorerait le terme. On décompte aux USA une situation intérieure, infrastructurelle et psychologique, catastrophique ; des divisions sociales insurmontables et une dégénérescence sociétale et culturelle affolante ; des inégalités grotesques installées au nom d’une grotesque utopie égalitariste ; une direction composée d’un vieux fou avec son obsession, entouré d’un groupe d’idéologues fous ; une opposition en train de se constituer contre la  “politiqueSystème” avec une remarquable capacité d’influence ; le simulacre de cette politiqueSystème (l’hégémonie des USA) qui fait eau de toutes parts...

Les Russes, – particulièrement la direction russe, – sont pratiquement persuadés qu’aucune entente n’est possible avec l’“Ouest collectif” dans sa composition actuelle, autour de Washington D.C. comme instrument du Système. L’affrontement militaire porte le risque fou et collectif de la guerre nucléaire. La solution se trouve alors dans la dissolution structurelle de l’un des deux adversaires. La posture opérationnelle actuelle (tenir le Donbass, laisser monter toujours plus haut la tension hystérique, attendre/espérer le développement d’une opposition dans le seul point de direction où elle serait efficace, à Washington) recèle une possibilité dans ce sens.

Il serait étonnant que le rusé, – et bien entendu diabolique, – Poutine n’y ait pas songé... Renverser la proposition de départ, de l’“Ouest collectif”, qui était d’affaiblir mortellement la Russie, – ainsi, affaiblir mortellement le système de l’américanisme.