Ekaterinbourg, ou l’anti-G-2

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Ekaterinbourg, ou l’anti-G-2

Les réunions de la mi-juin d’Ekaterinbourg (OCS et BRIC), à propos desquelles nous avons développés notre Faits & Commentaires du 18 juin 2009, ont mis en évidence notamment le rôle important de la Chine, dans un contexte résolument multilatéral. La Chine a annoncé divers prêts (notamment au sein de l’OCS) en même temps qu’elle a pesé de tout son poids important dans les discussions, mais sans jamais vouloir s’affirmer comme leader de quelque façon que ce soit.

D’une certaine façon et considérant l’aspect symbolique puissant de ces réunions, on pourrait considérer que le comportement de la Chine constitue une réponse de facto à l’évocation à-la-Brzezinski de l’établissement d’un G2 Chine-USA. (Il faut rappeler à ce point, car ceci a un lien avec cela, que la demande très récente des USA de pouvoir assister aux sommets de l’OCS comme observateur, à l’instar de l’Inde ou de l’Iran, n’a pas été rencontrée et ne le sera sans doute pas avant longtemps.)

Sur Atimes.com, le 19 juin 2009, le commentateur financier Henry C.K. Liu confirme ses précédentes affirmations en observant que la Chine vient de donner implicitement une réponse aux suggestions de Brzezinski d’un condominium G2. (Nous avions déjà cité Liu sur ce sujet, dans notre F&C du 26 avril 2009.)

«As former US National Security Advisor Zbigniew Brzezinski's “Group of Two” (or G-2) concept of a US-China convergence in geopolitical interests is not yet official US policy, China is likely to merely keep monitoring signs of its evolution in US policymaking without direct formal official response, while exploiting the concept's diplomatic possibilities for improving bilateral relations.

»Although China desires well-deserved recognition of it as a worldpower by the sole remaining superpower, albeit one that is fading, a G-2 in the context of hawkish realpolitik generally associated with Brzezinski's world view would go against China's long-standing preference for multilateralism that would allow it to form bilateral partnerships and special relations around the globe and to participate as an independent power in regional organizations.

»On May 20, at the end of the 11th China-EU summit held in Prague, attended by European Commission President Jose Manuel Barroso, Czech President Vaclav Klaus, whose country holds the rotating EU presidency, and EU foreign policy chief Javier Solana, Chinese Premier Wen Jiabao took the opportunity to assuage European concerns by dismissing as “groundless” the view that China and the United States - through the framework of a G-2 - will monopolize world affairs in the future.

»“Some say that world affairs will be managed solely by China and the United States. I think that view is baseless and wrong,” Wen told the press. “It is impossible for a couple of countries or a group of big powers to resolve all global issues. Multipolarization and multilateralism represent the larger trend and the will of the people.” The statement, while dismissing the prospect of G-2 hegemonic condominium, does not specifically deny the usefulness on strong bilateral relations between China and the US, nor the beneficial possibilities of close China-US cooperation on global issues.

»China has always been committed to an independent foreign policy of peace and has continued to pursue a win-win strategy of opening up, said Wen. “It stands ready to develop friendly relations and cooperation with all countries and it will never seek hegemony.” Wen said China remains a developing country despite remarkable recent socio-economic achievements and that its modernization will continue for a long time with the unceasing efforts of many more generations.»

Il y a eu dans ces deux réunions (OCS et BRIC) un aspect multilatéral remarquable, qui tranche avec les façons de faire occidentales qui sont toujours marquées par un besoin d’affirmation de leadership. De ce point de vue, il s’agit bien de deux conceptions et de deux méthodes qui s’opposent, sinon s’affrontent.

• La conception “occidentale” est en fait la conception américaniste, fondée sur l’esprit de concurrence propre au capitalisme privée; la vision suprématiste des relations internationales, elle, est le succédané au niveau politique du concept de monopole, achèvement de ce même esprit du capitalisme privé américaniste. Cette conception implique le refus de la suprématie du politique sur le reste, et, par conséquent, le refus de l’aspect transcendant de la souveraineté nationale. Elle use du maniement et de la manipulation de concepts moraux (droits de l’homme, démocratie) pour conduire cette guerre permanente pour la recherche du leadership de l’un sur les autres, ou d’un groupe sur les autres. Cette conception américaniste a, on peut employer ce terme, “infecté” les conceptions traditionnelles européennes et, naturellement, elle inspire totalement les organismes internationaux tels que l’OTAN et l’UE. (Certains pays en sont particulièrement affectés, même s’ils ne s’en aperçoivent plus guère, et l’on pense aussitôt à qui-vous-savez. Plutôt que gémir d’un plaisir fort incertain d’avoir rejoint “la famille occidentale” en réintégrant l’OTAN, – dérision pour dérision, – les Français feraient mieux de demander une place d’observateur aux réunions de l’OCS; elle leur serait sans aucun doute accordée par les Russes et les Chinois, et avec les honneurs; Russes et Chinois, eux, se rappellent des conceptions du général de Gaulle.)

• L’autre conception n’est ni “chinoise”, ni “euroasiatique”, ni “antioccidentale”, ni “tiersmondiste”; elle est plus simplement classique, et elle est évidemment structurante puisqu’elle s’appuie sur le principe éminemment classique lui-même de la souveraineté. Les rapports au sein des ensembles OCS et BRIC tels qu’on peut les voir s’esquisser n’ont donc rien de spécifiquement régionaux ou idéologiques, selon les classifications occidentalistes et américanistes justement marquées par cette agressivité concurrentielle et suprématiste. Ils renvoient aux rapports classiques de la diplomatie et des relations internationales qui, justement, furent une des constantes de la politique européenne jusqu’à la Première Guerre mondiale, avant que les conceptions américanistes (anglo-saxonnes) ne commencent à dominer les relations internationales.

De ce point de vue de l’évolution de la forme des relations internationales, la position de la Chine vis-à-vis de l’idée suprématiste du G-2 et les réunions d’Ekaterinbourg constituent des faits importants, qui se confirment et se renforcent mutuellement. Nous dirions que, plus encore que les déclarations rapportées par Liu, la participation et le comportement de la Chine dans les deux réunions d’Ekaterinbourg constituent une réponse sans la moindre ambiguïté aux propositions implicites des USA, mises en musique par Brzezinski. C’est une réponse qui s’exprime par un comportement et renvoie à une conception historique éminemment structurante. L'Occident, qui avait développé cette forme de rapports recherchant autant que possible l'entente et la coopération, a complètement perdu de vue son héritage historique sous la pression de la pathologie américaniste.

 

Mis en ligne le 19 juin 2009 à 06H48