Échos des guerres méprisées, outragées, oubliées...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Échos des guerres méprisées, outragées, oubliées...

05 septembre 2025 (14H30) – Le fait est bel et bien que le “monde” américaniste-occidentaliste (notre bloc-BAO) a été grandement impressionné par le formidable défilé militaire chinois commémorant la victoire de la Chine sur le Japon en 1945. (Notez d’ores et déjà les acteurs que je nomme. On en reparlera.) Le ministre US de la défense (Secretary of Defense) Pete Hegseth était en rage, lors de son interview par FoxNews avant-hier. Il a vu dans ce défilé une déclaration de guerre et il a aussitôt pris cette mesure d’urgence, pour éviter un nouveau Pearl Harbor : il faut rebaptiser le ‘Department of Defense’ en ‘Department of War’. Impressionnant...

« “Nous deviendrons bientôt le ministère de la Guerre pour infliger des coups mortels à l'ennemi” – le chef du Pentagone s'indigne du défilé à Pékin. [...]

» Je devrais dire que j'attendrais avant de décider. En fin de compte, c'est la décision du président. Mais je vais vous dire : nous avons gagné la Première et la Seconde Guerre mondiale non pas grâce au ministère de la Défense, mais grâce au ministère de la Guerre. Comme l'a dit le président, nous ne nous défendons pas seulement, nous attaquons, nous ravivons l'esprit militaire au sein du ministère.” »

Outre l’importance opérationnelle majeure de la mesure qui va bouleverser la situation stratégique dans le Pacifiques et en Asie, il y a cette affirmation :

« Nous avons gagné la Première et la Seconde Guerre mondiale non pas grâce au ministère de la Défense, mais grâce au ministère de la Guerre. »

Je ne doute pas une seconde, et vous non plus j’espère, que le ‘We’ de “We won the First World War and the Second World War” indique “nous-Américains” et “nous-rien-qu’Américains”. Ainsi ont-ils gagné non seulement le Seconde, mais aussi la Première, – à eux tous seuls, comprenez-vous ? Et je serais inclinés à croire qu’ils y croient vraiment en attendant la Troisième, –  qui a déjà commencé d’ailleurs, selon les agendas les plus courus.

Cet incident est certes un excès extrême, presque caricatural, un excès-bouffe si vous voulez, mesurant le degré d’inculture et d’abrutissement cosmique des américanistes et surtout de leurs dirigeants, fussent-ils par ailleurs bienvenus dans tel ou tel domaine (pour ce qui concerne l’administration Trump). Pour autant, je ne nous mets pas hors de cause dans certains aspects de la Grande-Histoire, – et y compris les dissidents du ‘Samizdat’ postmoderne, ces bonnes personnes, et moi-même d’ailleurs, dissident notoire de moi-même.

Les ‘Tigres Volants’ de Claire Lee Chennault

...Car, je l’avoue, j’ai appris à l’occasion des commentaires accompagnant ce défilé une chose à laquelle mon esprit formé à l’américanisme satanique dans ses toutes jeunes années, était complètement fermé. Pour résumer d’une formule spectaculaire : les deux grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale sont la Russie-URSS (1941-1945 contre l’Allemagne) et la Chine (1937-1945 contre le Japon). Au reste, leurs pertes colossales dans ces terribles affrontements semblent s’équivaloir :

« Le bilan des morts civils est souvent estimé à au moins 17 530 000 morts, soit au moins 20 millions de morts chinois au total pour la période de 1937 à 1945.

» En Chine, de nombreux historiens évoquent même que le chiffre pourrait être comparable aux 27 millions de morts en URSS, car l'ampleur du conflit et ses dévastations furent similaires. »

« Généralement, dire que la Seconde Guerre mondiale a commencé en 1939 peut être perçu comme très blessant pour un grand nombre de Chinois qui sont très attachés à leur histoire et à la date de 1937. Il est aussi souvent indiqué que les concessions étrangères à Shanghai fermèrent à cette même période, et qu'il y eut autant de morts avant 1939 (en considérant la date de 1931, et l'invasion de la Mandchourie) qu'entre 1939 et 1945, car les débuts de l'invasion furent très brutaux (massacre de Nankin). »  (Wiki)

C’est alors que s’ouvre pour moi une nouvelle perspective. Jusqu’alors, jusqu’ici, la guerre contre le Japon, dite  “guerre du Pacifique” (et l’Asie ?) était pour moi américaine, disons à 85-90%. Ce qui s’était passé en Chine depuis 1937 était plutôt accessoire. La seule incursion dans le conflit en Chine même tenait à ma passion pour l’aviation, surtout américaine : il s’agissait de l’aventure de ce personnage magnifique qu’était Claire Lee Chennault.

Note de PhGBis : « D’origine française de la Louisiane, ayant dans sa famille le fondateur du Texas Sam Huston et le chef des armées sudistes, le général Robert E. Lee, Chennault travailla pour Tchang Kai Check au développement de l’aviation chinoise à partir de 1938 après avoir quitté l’USAAC (future USAF) pour désaccord tactique. Il mit sur pied au sein de la force aérienne chinoise le groupe si fameux de l’AVG (‘American Volunteer Group’) formé en 1940 au travers d’arrangements frisant l’illégalité puis affronta les Japonais pendant un an sous le surnom immensément célèbre des ‘Tigres Volants’ (‘Flying Tigers’), avec la gueule de requin peinte sur l’énorme entrée d’air du P-40 ‘Warhawk’, sous le moyeu de l’hélice. Mes sources étaient la série ‘Buck Danny’ dans ‘Spirou’ [je plaisante à peine, mais je n’avais pas encore 10 ans], puis l’histoire de la guerre aérienne, tout de même plus sérieuse. Mais rien de la moindre importance sur la Chine elle-même, sinon la caricature de l’immense bienveillance méprisante des Américains. Tchang eut au moins la chance d’avoir tout le soutien de Franklin Roosevelt, qui favorisa toujours la Chine à condition que ce pays acceptât de ne jouer aucun rôle de prestige et d’influence ; c’est lui, FDR, qui insista et obtint que la Chine soit un des cinq membres permanents (droit de veto) du Conseil de Sécurité de l’ONU. »

Qu’importe : lorsque je commençais à m’intéresser sérieusement à la politique étrangère, et à la Chine par conséquent puisque mon champ d’action était les relations Est-Ouest et la Guerre Froide, ce fut pour plonger dans la croisade anticommuniste, avec la folie de la “révolution culturelle” en même temps que le ballet diplomatique en tous sens, autour de la question de la reconnaissance officielle ou non de la Chine, autour de Mao et de ses successeurs, etc. Pas le temps de s’occuper à autre chose et d’en apprendre plus sur la guerre de la Chine contre le Japon qui stagnait dès l’origine dans le trou noir de l’oubli.

Si j’ai radicalement évolué depuis ces piètres débuts d’une enfance fascinée par tout ce qui était américaniste, dont je ne garde de “consommable” qu’une connaissance très avancée de l’histoire de la guerre aérienne entraînant un goût pour l’histoire, je n’ai jamais montré beaucoup d’intérêt pour cet arrière-plan historique que m’a fait découvrir le grand défilé militaire de Pékin. Ici commence donc mon long chemin de repentir dans l’espoir de la rédemption.

La “Vérité” de Trump

Alors, exclamez-vous : quelle leçon pour nos prétentions à connaître notre propre passé qui doit être nécessairement inscrit dans un passé commun, jusqu’au plus proche, jusqu’au plus brûlant, jusqu’au plus essentiel de ces événements du passé ! Le mépris, l’ignorance, l’arrogance où nous avons mis la Russie et la Chine dans leurs rôles centraux et fondamentaux dans la bataille de la Deuxième Guerre mondiale, à la fois comme victimes et comme triomphateurs, sont stupéfiants. C’est une victime (consentante) de cette déformation monstrueuse de l’histoire qui l’écrit ici, et qui mesure le péché intellectuel qui est le nôtre, dans cette partie infamante, américaniste-occidentaliste, des terres habitées.

Cette escroquerie intellectuelle n’est pas que du passé. Elle explique pour une part importante l’évolution actuelle et l’extraordinaire dynamisme que les victimes de ces mensonges mettent aujourd’hui, débarrassés de la lèpre du communisme-subversif directement importé de l’Ouest, à se constituer en une alliance puissante capable de submerger toutes nos fabriques de simulacre avec le torrent d’autosatisfaction et de vertus hypocrites qui l’accompagne, – cet ensemble de fabrication de réalités faussaires qui constitue notre dernière arme.

Ce débat sur le rôle de la Chine pendant la Seconde Guerre mondiale a constitué un des points paradoxalement d’actualité à l’occasion du sommet de Tientsin suivi de l’impressionnant défilé de l’armée chinoise à Pékin. Bien entendu, le président Trump s’en est emparé avec toute sa bouffonnerie et son inculture. Le commentateur Larry Johnson, qui fait montre d’une façon régulière d’une culture remarquable, a traité ce sujet hier, à partir d’un des messages quotidiens de Trump où, derrière un respect de pacotille, l’ignorance des réalités du conflit mondial  d’il y a quatre-vingts ans renvoie aux fantasmes stéréotypés d’aujourd’hui :

« ...Donald Trump a publié cette “Vérité” (c'est ainsi que Trump appelle ses publications sur Truth Social) :

» “La grande question est de savoir si le président chinois Xi mentionnera l'énorme soutien et le “sang” versés par les États-Unis pour aider la Chine à se libérer d'un envahisseur étranger très hostile. De nombreux Américains sont morts dans la quête de victoire et de gloire de la Chine. J'espère qu'ils seront honorés et que leur courage et leur sacrifice seront commémorés à leur juste valeur ! Que le président Xi et le merveilleux peuple chinois passent une journée de célébration mémorable. Veuillez transmettre mes plus chaleureuses salutations à Vladimir Poutine et à Kim Jong-un, alors que vous conspirez contre les États-Unis d'Amérique. PRÉSIDENT DONALD J. TRUMP”

» Je pense que Trump a passé trop de temps à regarder des films hollywoodiens sur la guerre du Pacifique. Trump et moi, comme la plupart des Américains, avons été nourris en permanence de la grande victoire des États-Unis avec la défaite du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale. Il est rare qu’il y ait une présentation juste de ce que les Chinois ont vécu... »

Suit un inventaire des pertes américaines et des pertes chinoises comme mesure des rôles respectifs dans la bataille Asie-Pacifique de la Deuxième Guerre mondiale. Je crois et j’espère qu’il est inutile d’en reprendre le détail ici. C’est effectivement, comme le rappelle Johnson en s’impliquant lui-même dans ce simulacre pour la narrative à laquelle il dut croire , de l’hollywoodisme  à 150%, venu de cette antre du diable brillamment éclairée au néon du néant et si satisfaite d’elle-même.

Appendice Kim-Poutine

On s’arrête à un dernier point qui, finalement, a quelques proximités avec celui de la Chine, essentiellement avec le passé et les pertes civiles considérables en Corée du Nord du fait des bombardements “stratégiques” US durant la guerre de Corée de 1950 ; et avec le présent où l’on voit le rapprochement spectaculaire et pour certains surprenant entre la Russie et la Corée du Nord, au travers des deux personnalités, Kim et Poutine, tous deux encadrant Xi lors du spectacle du défilé. Les déclarations, les gestes de respect et de politesse, la gestuelle entre les deux a montré une entente allant jusqu’à une certaine complicité chaleureuse.

Cela pourrait, – cela devrait avoir des conséquences politiques et militaires. Le site ‘BORZZIKMAN’, qui a déjà fourni des preuves de la qualité de ses informations, indique le 4 septembre que Kim aurait offert à Poutine une force de 100 000 soldats nord-coréens en soutien des forces russes pour permettre à celles-ci de disposer de forces bien plus importantes pour envisager de lancer ses grandes offensives. Les Nord-Coréens remplaceraient les Russes engagés dans les quatre provinces ex-ukrainiennes intégrées dans la Fédération de Russie, évitant ainsi l’accusation formelle d’une intervention en Ukraine. Les forces russes ainsi libérées permettraient que le commandement  considérât des offensives ambitieuses, vers Odessa au Sud et vers Kiev au Nord.

Conclure la Deuxième Guerre mondiale ?

Ces projets avec les Nord-Coréens, s’ils se font, n’impliquent nullement une situation difficile de la Russie mais bien au contraire l’élargissement des dimensions et du nombre des acteurs du conflit. Selon une analyse qui doit nous sembler cohérente sinon pressante, on doit plutôt y voir l’intention des Nord-Coréens d’aguerrir leurs forces dans les rudes combats de  l’Ukraine en affermissant leur alliance avec la Russie et en participant à la défense des frontières Ouest de l’Eurasie façon OSC et Sud-Global. (Les  Nord-Coréens se sont déjà montrés très brillants lors de leur participation au colmatage de la percée ukrainienne de Koursk.)

Cette affaire s’inscrirait assez bien dans le regroupement général en cours avec le sommet de Tientsin, notamment en constituant une force de coalition qui renvoie à la Deuxième Guerre mondiale, mais avec des positions complètement différentes, des arrangements complètement modifiés, rendant bien mieux compte des positions, des intérêts et des perceptions de chacun.

L’importance du sommet de l’OSC ne cesse ainsi de s’amplifier, tout en mettant au grand jour un passé déformé par le simulacre américaniste-occidentaliste, pour offrir à ce passé une autre interprétation venue de nouveaux partenaires qui ont intégré tous les moyens de la puissance de la modernité américaniste-occidentaliste, pour les retourner contre elle.... On peut et l’on doit se demander si les plus habiles jusqu’ici dans ce rassemblement du Sud Global, l’Inde d’une certaine façon et jusqu’il y a un certain temps et certainement la Turquie, – ces puissances qui ont joué objectivement un double jeu de factures différentes entre les deux camps, – ne vont pas en arriver à devoir juger que leur intérêt est désormais de choisir ; et il s’agit de décider ou non de s’engager avec la plus grande fermeté, y compris militairement, du côté des BRICS/OCS pour y sécuriser une place importante face à l’Occident-autodéconstructif. Il est évident que l’Inde est, sur ce chemin, déjà bien avancée.

Curiosité : plus nous nous éloignons de la Deuxième Guerre mondiale qui a été le cheval de bataille de toutes ces idéologies qui occupèrent tant de notre temps et précipitèrent les pires vices de la modernité, plus nous nous rapprochons de vérités-de-situation qui ébranlent nos convictions les plus vitales, jusqu’à l’esprit du temps lui-même dont nous usons pour faire évoluer notre esprit. Cela s’appelle, la fin non seulement d’une civilisation, mais d’un cycle civilisationnel jusqu’au terme de son ‘Kali Yuga’.