Douguine, Kirk et la guerre civile

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Douguine, Kirk et la guerre civile

12 septembre 2025 (17H30); – Le philosophe russe Alexandre Douguine a commenté l’assassinat de l’influenceur conservateur Charlie Kirk en donnant sa véritable dimension à l’événement. Douguine reprend les principaux points de son interprétations métahistorique des événements en cours en situant l’événement d’une façon qui nous paraît tout à fait juste, tant dans sa signification la plus haute que par rapport à la situation  courante que nous traversons. Il s’agit de loin du commentaire à la fois le plus ample du point de vue métahistorique et le mieux ajusté du point de vue de la situation politique courante aux USA sans pour autant s’arrêter à la personnalité de Kirk. L’expression de “guerre civile” est plus que jamais d’actualité.

«  “Cela ressemble beaucoup au début d'une guerre civile. Le Parti démocrate est l'Ukraine de l'Amérique. Ou vice versa”, a écrit Dougine, ajoutant que Kirk avait été abattu “à 200 mètres par un sniper qui a disparu ” et suggérant que les véritables auteurs pourraient ne jamais être identifiés – établissant un parallèle avec l'assassinat de John F. Kennedy. »

Douguine a décrit l’atmosphère générale régnant aux USA après l’assassinat. L’extraordinaire disparité de réaction rend effectivement compte d’un climat favorable à une guerre civile, montrant la contradiction violente et agressive des réactions entre les deux bords, et par conséquent la poursuite, sinon l’aggravation (avec l’assassinat) d’un climat né en 2016 avec l’élection de Trump et qui n’a fait que s’amoplifier depuis.

« “Après la confirmation de la mort de Charlie Kirk, l'Amérique a explosé. Trump et le mouvement MAGA ressentent une douleur sincère et une colère intense… Tous les membres du mouvement MAGA ont oublié leurs contradictions et se sont instantanément uni”, a écrit Douguine.

» En revanche, les progressistes n'ont pas pu “contenir leur joie”. Dougine a souligné les propos controversés de Matthew Dowd, collaborateur de MSNBC, et le refus présumé des Démocrates d'honorer Kirk par une prière au Congrès. Il a déclaré que les réseaux progressistes étaient remplis de réactions exubérantes, des personnalités du parti appelant publiquement à l'unité tout en exhortant en privé les militants à ne pas trop exprimer ouvertement leur jubilation. »

A ce point de cette description générale, il faut s’arrêter et s’interroger pour signaler chez divers antiSystème des positions politiques très divergentes en-dehors du seul affrontement dont parle Douguine. Je le fais parce que, dès que j’ai eu connaissance de l’assassinat, et ne connaissant absolument pas Charlie Kirk, je me suis exclamé à propos d’un être qui, en plus d’être assassiné, avait été un homme brave , vertueux et remarquable, – comme l’écrit Johnson, sans que je sache s’il parle de connaissance directe ou de ouï-dire :

« Mais c'était une âme douce et intelligente. Il n'insultait ni ne harcelait ses adversaires. Au contraire, il leur parlait d'égal à égal et employait une arme redoutable : la logique. Je vois Charlie comme un Malcolm X caucasien. »

Est-ce bien le cas ? Si vous écoutez l’excellent Danny Haïphong qui sait parfaitement décrire le théâtre que représente le monde de l’américanisme, vous exprimerez fort justement bien des doutes et des interrogations sur la personnalité de Kirk. D’autres interventions vont encore plus loin et n’ont pas peur de soulever un tollé puisqu’elles en remettent aussitôt sans faire une obscène amende honorable.

C’est le cas de Andrew Angelin, sur ‘UNZ.News’, qui ne recule devant rien et qui effectivement ne craint pas d’y revenir... Extrait de son premier texte :

« Des gens meurent, mec. Parfois, on leur tire une balle dans la nuque et le sang jaillit comme une fontaine. Ce n'est pas si grave, et si la personne est un complice écœurant des Juifs, ça peut être plutôt hilarant. Pas hilarant pour moi, bien sûr, parce que je suis quelqu'un de bien et je veux que tout le monde sur Internet sache que je suis quelqu'un de bien et que je suis vraiment bouleversé quand quelqu'un meurt. Mais d'autres pourraient trouver ça hilarant.

» Charlie Kirk était l'un des hommes les plus diaboliques de la manipulation culturelle américaine. Ses actes odieux vont bien au-delà du simple fait d'être le seul non-Juif de moins de 50 ans à promouvoir des discours sionistes ultra-extrémistes tels que “il n'y a pas de Gazaouis affamés, c'est un canular mis en scène” et “Israël n'a jamais pris pour cible des civils”. Plus personne ne dit ce genre de choses, et ce depuis un an environ, et il lisait quotidiennement les communiqués de presse de Netanyahou comme des faits. »

Douguine ne s’attarde pas à ces précisions. Pour lui, le sort de Kirk est semblable à celui de sa fille bien-aimée Darya Dougina, qui a été assassinée en 2022 dans un attentat à la voiture piégée près de Moscou. Douguina a fort probablement été victime d’un attentat du SBU ukrainien, dans un acte de pur terrorisme que Douguine identifie d’une manière fondamentale lorsqu’il assimile les Ukrainiens aux démocrates américanistes. Ce dernier point a reçu un certain nombre d’appréciations de confirmation, touchant également le nazisme ukrainien.

« Dans son message, Douguine a soutenu que le meurtre de Kirk – – comme celui de sa fille – s'inscrit dans une campagne plus vaste visant à réduire au silence ceux qui rejettent l'idéologie libérale globaliste.

» “Le centre qui donne l'ordre de notre destruction, d'exterminer les partisans de MAGA, est le même ”, a-t-il déclaré. »

Il est évident que la fille de Douguine, bien que pouvant être classée “de droite”, – si la classification a un sens lorsqu’on soutient comme elle le fit des thèses néo-platoniciennes et traditionnalistes au sens de la Tradition primordiale, en plus évidemment d’être pro-Poutine et anti-ukrainienne, – ne partageait en aucun cas bien des options politiques de Kirk. Par contre, l’appréciation métahistorique, qui ne s’embarrasse pas de considérations personnelles ni de compléments politiques corrompus, garde toute sa pertinence. Dans cette façon de voir, la prévision de “guerre civile” (aux USA), qui serait essentiellement culturelle, est également acceptable.

La question que pose Charlie Kirk à nombre de personnes ressemble à celle que pose Trump : comment être tout à fait contre lui lorsqu’on est antiSystème et comment être tout à fait pour lui lorsqu’on voit sa tendance américaniste-moderniste et la politique qu’il a appliquée depuis qu’il est au pouvoir (y compris, sinon plus encore, en 2017-2021) ? Cette question est la même qui se pose à la droite française qui est scandaleusement, aveuglément pro-israélienne à notre époque de Gaza, sous prétexte qu’Israël va la débarrasser du problème des immigrés du Maghreb.

C’est un problème semblable que cette “droite française”, dans sa composante classique avec notamment une partie collaborationniste (bien que la collaboration soit essentiellement venue de la gauche française ! Complication et hypocrisie  supplémentaires), rencontra durant la Guerre Froide avec son alliance totale avec les USA. Il est évident que la question de la guerre d’Algérie joua un rôle important dans cette ambiguïté, avec un mélange des “droites françaises” partisane de l’Algérie française, y compris la droite résistantialiste et gaulliste qui fut la première force à soutenir de Gaulle... et à fournir les premiers antigaullistes dès les premières années de l’après-guerre.

On voit que cette extrême complication n’a rien à envier à celle de la droite américaine, avec le facteur israélien (pro-et anti) venant encore en rajouter. Kirk est une illustration du problème.

Dans ce cas, une certaine forme d’inconnaissance est utile sinon, nécessaire. Sans le formuler, Douguine est très souvent partisan de cette posture, en expédiant les problèmes politiques immédiats et bien terrestres hors de son champ  pour bien identifier les enjeux et définir l’“ennemi principal”. Sa réaction est non seulement compréhensible mais défendable. L’essentiel, effectivement d’essence culturelle essentiellement, est bien l’opposition au globalisme, ce qui suppose des alliances et des proximités temporaires selon les circonstances. C’est là le seul champ de bataille acceptable parce qu’il porte sur l’opposition radicale à la modernité et concerne tous les peuples et toutes les nations. Une seule chose compte finalement : s’opposer à la force diabolique qui recherche notre désidentification et notre néantisation.

Selon cette interprétation, on prendra Kirk essentiellement comme un symbole... le symbole de la violence d’une époque déchaînée et décadente, le symbole d’un affrontement entre deux tendances fondamentales, le symbole de la dénonciation par le martyre du globalisme comme dynamique sataniste... Éventuellement, le symbole de la guerre civile qui vient...

Les dieux, dont connaît les multiples sentiers impénétrables, feront leur choix.