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109728 décembre 2007 — L’assassinat de Benazir Bhutto est un de ces actes tragiques qu’on pouvait aisément prévoir, y compris elle-même. Dans sa première réaction à l’événement, hier sur son site The Washington Note, Steve Clemons (qui faisait partie des contacts proches de Bhutto à Washington) écrit:
«I met Bhutto during one of her recent trips through Washington in a session arranged by Harlan Ullman – and I found her powerfully eloquent. She acknowledged to the group she was meeting that she was willing to risk her life to try and achieve a different course in Pakistan. I thought at the time that her chances of survival were low in the cauldron of a political scene that requires political leaders to mix with the masses.»
Autre opinion intéressante, celle de Tariq Ali, Britannique d’origine pakistanaise, de tendance de gauche extrême (il fut un leader étudiant contestataire dans les années 1960) et certainement pas politiquement proche de Butto. Dans le Guardian d’aujourd’hui:
«Even those of us sharply critical of Benazir Bhutto's behaviour and policies – both while she was in office and more recently – are stunned and angered by her death. Indignation and fear stalk the country once again.
»An odd coexistence of military despotism and anarchy created the conditions leading to her assassination in Rawalpindi yesterday. In the past, military rule was designed to preserve order – and did so for a few years. No longer. Today it creates disorder and promotes lawlessness. How else can one explain the sacking of the chief justice and eight other judges of the country's supreme court for attempting to hold the government's intelligence agencies and the police accountable to courts of law? Their replacements lack the backbone to do anything, let alone conduct a proper inquest into the misdeeds of the agencies to uncover the truth behind the carefully organised killing of a major political leader.
»How can Pakistan today be anything but a conflagration of despair? It is assumed that the killers were jihadi fanatics. This may well be true, but were they acting on their own?»
Effectivement, la question est posée de l’origine et des buts de l’assassinat, ce qui est l’inévitable rançon du désordre. Outre l’évidente explication des “jihadi fanatics”, certains affirment que Bhutto voulait rapprocher le Pakistan d’Israël et adopter l’économie de marché, ce qui aurait conduit certains groupes à vouloir sa liquidation. D’autres avancent une explication inverse: ce sont les faucons US (avec l’aide d’éléments israéliens?) qui auraient commandité l’assassinat, pour relancer la tension et permettre une intervention US qui se ferait, – pourquoi pas? – contre l’Iran. Le bon général Musharaff est également présent, comme il l’était dans l’esprit de Bhutto, pour une éventuelle explication. Toute explication a sa cohérence aujourd’hui, ce qui est effectivement le signe le plus sûr du désordre.
Et le Pakistan d’après Bhutto? Les opinions varient dans le registre du pessimisme, toutes rassemblées effectivement dans la perspective d’une situation aggravée. Un autre facteur qui fait l’unanimité est le constat que la politique US au Pakistan se trouve proche de l’impasse. Le même Clemons a été interviewé par RAW Story, hier soir:
»“When people aren't looking, you have a question of command and control of their nuclear warheads,” Steve Clemons, a senior fellow at The New America Foundation, said in an interview Thursday.
»Clemons said Bhutto's assassination could cause the ‘Doomsday Clock’ to tick forward. The Bulletin of the Atomic Scientists maintains the clock, which depicts how close the world is to midnight, representing a nuclear catastrophe. At the beginning of this year, the clock was set at 11:55 p.m.
»“I think we've moved closer to midnight ... to a potential apocalyptic situation,” Clemons said. “It doesn't mean we're going to get there, but we have moved closer.”
»Based on conversations he's had with associates of Bhutto, Clemons predicted the country “would not disintegrate.” However, he told RAW STORY that Bhutto's death likely would prevent next month's scheduled election and could lead to more security crackdowns against Pakistani citizens.
»As for the US approach toward Pakistan, options are now “very, very narrow,” he said.
»“It blows up America's effort to manage the Pakistan mess. ... Now we don't have an alternative to Musharraf,” Clemons noted. “The timing of this is amazingly bad; she probably would've been elected Prime Minister next week.”»
Nous terminons ces quelques citations sur quelques différents aspects de cet événement par un point de vue très particulier, mis en évidence par une autre nouvelle de RAW Sory, également d’hier, quelques heures après la nouvelle de l’assassinat…
«The suicide bombing that claimed former Pakistani Prime Minister Benazir Bhutto has upended the US presidential campaigns just a week before voters in Iowa head out to caucus.
»“Still, the instant conventional wisdom will say that heavy news coverage of the gun and bomb attack will bolster the arguments of Sens. Hillary Clinton (D-N.Y.) and John McCain (R-Ariz.), both members of the Armed Services Committee. ... That same instant conventional wisdom will say that the candidates most damaged will be Sen. Barack Obama (D-Ill.) and former Arkansas Gov. Mike Huckabee (R),” report The Politico's Mike Allen, Jonathan Martin and Ben Smith.
»Clinton will shift her planned topics in a speech Thursday after the opposition leader's death, and her campaign tells a Wall Street Journal blog that it expects the assassination will prevent rival Obama from criticizing her and former Sen. John Edwards.»
On peut discourir à l’infini sur cet assassinat et ses conséquences. Le dramatisme de l’événement, la sensibilité stratégique et idéologique du Pakistan, la connexion instantanée de l’événement avec toutes les tensions qui caractérisent les crises en cours, tout cela ouvre vaste le champ de la spéculation. Cette vastitude se paye par l’absence de certitude. La réalité est qu’on ignore évidemment l’effet direct et apparent, l’effet indirect et fondamental de l’événement. On mesure les limites de la spéculation, voire son inutilité et sa futilité. Les raisonnements sont bels et bons mais l’on évolue dans l’éther cohérent de la raison alors que la réalité nous rappelle au désordre.
Plus intéressant est l’effet qu’on constate, presque immédiat, sur la campagne électorale aux USA. On a noté les remarques ci-dessus. Tous les candidats se sont fendus d’un communiqué et de considérations diverses. C’est que Bhutto avait ses entrées à Washington et elle était, lors de ses séjours, une des favorites pour la place d’“invitée exotique” dans les dîners en ville, – outre d’être, comme nul n’en ignore, une carte dans le jeu US au Pakistan. Son assassinat a brutalement rappelé la campagne électorale américaniste à la réalité du monde. Il est effectivement possible que l’événement ait compromis les chances de Barak Obama, considéré de plus en plus comme un amateur en politique extérieure après quelques semaines d’intense promotion de sa candidature.
Tout cela, on le comprend, ne forme pas une image très cohérente de l’assassinat de Benazir Bhutto. On peut, si l’on veut, pleurer des larmes de crocodile moralisateur sur “les chances de la démocratie” au Pakistan une fois de plus compromises. On sait bien que c’est sacrifier à l’habituel conformisme, que l’accession éventuelle de Bhutto à la fonction de Premier ministre n’aurait rien changé de fondamental tant la situation dans ce pays est inextricablement liée à nos propres errances (celles de l’Ouest et de Washington). Le seul enseignement tient à la soudaineté de l'événement, à sa brutalité, à la personne qui en est la victime, tout ce qui fait de l'événement une illustration soudaine et impérative du désordre. C’est en effet d’abord le désordre qui a frappé Bhutto, et qui a donné à son assassinat l’écho qu’on en entend.
Le Pakistan est bien une sorte de “point zéro” du désordre qu’est devenu le monde soumis à la politique occidentale et américaniste. L’assassinat de Bhutto, alors que son intrusion dans la campagne politique semblait être à certains un de ces rares événements prometteurs de ce temps si incertain, est d’abord le rappel qu’aujourd’hui le désordre règne en maître suprême du monde. Ainsi l’avons-nous laissé faire, le désordre; ainsi avons-nous tout fait, aveuglément bien entendu et avec toute la force de notre vanité satisfaite, pour qu’il en soit ainsi.
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