Désordre à Washington

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Désordre à Washington


5 mai 2002 — Scènes de la vie quotidienne à Washington, alors que le pouvoir de l'administration GW semble s'abîmer dans des querelles sans fin. L'Europe se dit depuis quelques semaines qu'elle commence à rétablir de meilleures relations avec Washington (négociations commerciales en meilleure forme, perspectives d'une conférence de paix au Moyen-Orient). Elle ne mesure pas combien cette évolution est due essentiellement à l'affaiblissement du pouvoir washingtonien, chez lui, à Washington même. Cet affaiblissement est aussi explosif que le durcissement qui a précédé, les ''concessions'' faites aux Européens ne sont que des fruits de la nécessité pour l'administration GW de contenir le front extérieur, en raison du désordre interne. Voici quelques faits et commentaires sur le désordre washingtonien, qui nous viennent tous de ces derniers jours.

• Colin Powell s'en va-t-il ou non ? Des rumeurs courent. Des sources à la Maison Blanche démentent. C'est le signe qu'il songe effectivement à partir et l'on reconnaît d'ailleurs qu'il est « frustré ». Des sources indépendantes à Washington indiquent que Powell a déjà effectué, au moins une fois, une démarche formelle de démission et ne l'a retirée que sous les pressions personnelles de GW. Le secrétaire d'État est totalement isolé, discrédité au sein de l'administration, considéré comme un loser. Paradoxe : sa position reste puissante et inexpugnable mais elle ne lui sert à rien. Autour de lui, les super-faucons continuent leur guerre anti-Powell et personne ne songe à les discipliner.

• Et l'Irak ? Les projets d'attaque s'enlisent les uns après les autres tandis que des querelles internes déchirent le gouvernement, cette fois à propos du choix des opposants anti-Saddam qu'il faudrait aider. L'attaque contre l'Irak ne cesse d'être repoussée. Militairement, les Américains n'ont pas la capacité de lancer leurs forces avec le volume qu'il faudrait (malgré les affirmations du général Franks), compte tenu des forces déjà engagées sur d'autres théâtres. Et les perspectives du Pentagone, notamment en raison de la crise budgétaire, ne sont pas roses.

• Au Pentagone, Rumsfeld s'accroche avec l'U.S. Army et un général des Marines s'en va parce qu'il «en a marre» de Rumsfeld et de ses façons de traiter les généraux. Rumsfeld est aujourd'hui l'objet de ce qu'on pourrait désigner comme un véritable ''culte de la personnalité''. Il est complètement inédit de voir publier un livre comme ''The Rumsfeld Way'', de Jeffrey A. Krames, célébrant les capacités de gestion et de direction, voire d'inspirateur politique d'un secrétaire à la défense, alors que celui-ci est en fonction. Rumsfeld est soutenu à fond par l'extrême-droite la plus dure du parti républicain. Son comportement s'en ressent. Au Pentagone, Rumsfeld est un dictateur, il terrorise les journalistes et les parlementaires et il gère son département sans vraiment s'inquiéter des éventuelles directives du gouvernement.

• ... D'ailleurs, quand les officiels du gouvernement, aujourd'hui, avec l'équipe en place, commencent à dire des choses gracieuses à l'intention des Européens, c'est effectivement le signe que le gouvernement américain ne tourne plus très bien et ne sait plus très bien quelle politique suivre. C'est ce qu'ont fait, le 1er mai au Congrès, deux hauts fonctionnaires du département d'État (Marc Grossman, undersecretary for political affairs) et du Pentagone (Douglas Feith, même poste auprès de Rumsfeld). Ils ont dit de concert que Washington avait été un peu brutal vis-à-vis des Européens mais que les choses allaient mieux et iraient mieux désormais. Ces propos et d'autres du même ton, particulièrement de la part d'un Feith (un super-faucon, l'un des plus durs de l'administration, avec Wolfowitz et proche de ce dernier), indiquent une volonté d'accommodement avec les Européens. Confirmons notre interprétation : de sérieux soucis de fonctionnement interne à Washington (on vient d'en lire le détail) nécessitent une neutralisation par apaisement des rapports extérieurs. Les Européens, eux, iront à la conclusion que les Américains ont enfin abandonné leur attitude unilatéraliste, comme ils (les Européens) se sont tous exclamés aussitôt après le 11 septembre.