“Désagrégation” (de l’Europe), suite

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“Désagrégation” (de l’Europe), suite


5 juin 2003 — Un texte de Max Boot paru dans le Weekly Standard du 9 juin, nous indique que la politique européenne new style de l’administration GW progresse. Il s’agit de la politique de “désagrégation” de l’Europe. (Titre de l’article de Boot, néo-conservateur notoire et proche des représentants neocons à l’intérieur de l’administration : « Continental Divide, America needs a serious Europe policy »)

L’intérêt de ce texte est qu’il n’argumente nullement, comme il est de coutume chez les neocons, sur le peu d’intérêt de l’Europe pour les visées stratégiques des USA. Au contraire, Boot pense que l’Europe continue à avoir une importance très grande. C’est justement pour cela qu’il faut développer cette politique qui devrait empêcher l’Europe de trop affirmer sa puissance et, éventuellement, son autonomie. Voici sa conclusion :


« This is not meant to suggest that Europe matters as much as it did in the past — or as much as it still does in the minds of many self-absorbed Europeans. But neither is Europe irrelevant, as some jingoistic Americans like to imagine. For that reason, the anti-American drift of the E.U. is cause for concern. At a minimum, it should lead Washington to rethink its traditional enthusiasm for greater European integration. Much as British entry into the euro zone might make life easier for American businesses (and tourists), it is sure to make life more difficult for American diplomats.

» Open American opposition to the European Union would probably backfire, but it makes sense to work behind the scenes to strengthen U.S. links with close allies and to forestall as much as possible the centralization of European security policy. Giving Poland its own sector in Iraq was a brilliant move that boosted ''new Europe'' without giving the appearance that it was motivated by hostility to ''old Europe.'' Instead of wasting time turning French fries into ''freedom fries,'' we need more such ideas that will cleverly promote U.S. interests without annoying a European public that already is suspicious of American motives. »


On notera que cette poussée déstructurante de la politique US (là aussi comme ailleurs, c’est la recherche de la création du désordre et du chaos) a des effets très forts en Europe. Comme d’habitude, et comme le notait John Vinocur dans un article du 13 mai où il abordait ce thème, cette initiative US embarrasse particulièrement les plus atlantistes des Européens, qui restent malgré tout partisans d’une Europe fonctionnant d’une façon cohérente. Comme d’habitude (bis), ce sont les Britanniques qui sont aux premières loges de cette contradiction.

• Des tensions diverses se développent dans les diverses initiatives politiques européennes. On songe notamment à la “lettre des 9”, qui reproduit les grandes lignes de la “coalition” européenne pro-guerre, qui demande, en place et lieu des initiatives de la Convention, d’en revenir au Traité de Nice. Ce sur-place impossible dans le cadre de l’élargissement constitue une aide objective à une politique de désagrégation de l’UE et a pour conséquence a contrario de renforcer les tentations, aujourd’hui très fortes, de constitution d’un “noyau dur” européen dont la rencontre de Tervueren a été un premier jalon.

• La position des Britanniques (de Tony Blair) dans ce cas est donc de pousser à la désagrégation de l’UE alors qu’un pan entier de la politique européenne de Blair est de tenter à toutes forces d’entrer dans l’euro, qui est un des outils essentiels d’un resserrement de l’UE. Cette contradiction est aujourd’hui coutumière chez les Britanniques et alimente un malaise extraordinaire dans leur politique et leur diplomatie. Comme on le lit plus haut, Boot, et les thèses politiques qu’il reflète, commencent à recommander que les Britanniques n’entrent pas dans l’euro. Effectivement, demain Tony Blair et les pro-européens à Londres trouveront sur leur voie vers l’entrée dans l’euro, encore plus qu’un référendum difficile, un veto de Washington. Dans ces temps démocratiques, cela compte.

• A cette lumière générale, il est évident que la réaction furieuse des Américains à l’initiative de l’UE d’intervention au Congo se comprend en ce que cette initiative est un pas vers une cohésion et une intégration plus grandes de l’UE en matière de sécurité. (Là aussi, contradiction britannique : adversaires de l’intégration de l’UE comme on le sait bien, voilà qu’ils se montrent extrêmement partisans de figurer dans cette intervention au Congo, même symboliquement puisque tous leurs effectifs sont immobilisés ailleurs, notamment en Irak. Leur intention est de tout de même conserver la possibilité d’une position marquante en Europe, si les initiatives d’intégration aboutissaient.)