Des L.A. Dodgers à l’éternité

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Des L.A. Dodgers à l’éternité

16 août 2020 – Je lis donc ce texte d’un journaliste, Robert Bridge, qu’il m’arrive de consulter régulièrement, parfois sur RT.com (bien sûr, vilain garnement !), parfois sur Strategic-Culture.org. Je parcours son article du 15 août sur le second site mentionné, au titre finalement assez sympa : « Une romance progressiste inoubliable : quand le confinement Covid19 rencontre la ‘Cancel Culture’ » ; d’abord l’œil un peu distrait, disons en diagonale, parce que pas encore fluently english ; jusqu’à cette phrase qui m’arrête : « J’étais sur le point de cliquer sur cet article avec un profond dégoût quand quelque chose sur la photo d’illustration sollicita mon attention... »

L’article de Bridge détaille d’abord une scène d’un match de base-ball entre les équipes d’Oakland et de Houston. Il y a une furieuse ou chaleureuse mêlée de réclamation ou de félicitations, je ne sais, à la fin du match et sous la plume du journaliste dont Bridge lit l’article. Je crois qu’il s’agit d’une querelle ou d’une exclamation parce que, me semble-t-il, il se pourrait bien qu’un joueur n’ait pas respecté le geste-barrière de la ‘distance de sécurité’, justement en cette fin du match, lorsque les adversaires se congratulent. D’où la réaction de Bridge, dans le genre nausée, parce que l’incident est vraiment le centre d’attention et de réflexion de l’article qu’il lit et que cela lui apparaît comme bien dérisoire et certainement illustratif de notre étrange époque : « J’étais sur le point de cliquer sur cet article avec un profond dégoût... »

...Mais qu’est-ce qui attire donc son attention, à Bridge ? Les gradins, mais c’est bien sûr ! Bridge s’aperçoit que les gradins clairsemés (“distance-barrière”, friends) sont en fait parsemés, non de spectateurs mais de figurines comme des sortes de mannequins grossièrement taillées dans du carton-bouillie de très mauvaise qualité (je veux dire : pas trop cher) selon une silhouette humaine vue de face et franco de port, et sur laquelle on a collé une photo en couleur d’un visage (souriant, très souriant, très-très) et du buste qui va avec. Première surprise (quoique la trouvaille se retrouve ailleurs, sur d’autres gradins, pour se sentir moins seul, mais peut-être bien sans photos je ne sais).

Surmontant donc son dégoût avec agilité, Bridge poursuit l’article. Il trouve un lien ou l’autre, notamment celui-ci qui l’amène à un article vieux d’un mois (du 15 juillet 2020), sur le site dodgersway.com qui, naturellement, est un site des fans des Los Angeles Dodgers, et qui nous révèle un des aspects de cette magnifique manœuvre pour maintenir à peu près intacts l’enthousiasme des fans et les caisses du club :

« Alors que les Dodgers de Los Angeles se préparent à reprendre l'action pour une saison 2020 raccourcie et sans spectateurs, l'équipe offre aux fans la possibilité de voir leur image-clone (photo) dans les tribunes, collées sur des découpes de carton.
» Oui, vous avez bien lu. Pendant que vous êtes assis chez vous à regarder les Dodgers à la télévision, une image-clone avec votre visage et le haut de votre corps à l’échelle 1/1 peut être installée quelque part dans les tribunes du stade.
» En fonction de l'endroit où vous voulez que votre image-clone soit placée, les Dodgers demandent $149 (pour les sièges du Field Level ou du Loge Level) et $299 (pour les nouveaux sièges du Pavilion Home Run). Les recettes nettes seront versées à la fondation des Dodgers de Los Angeles. Les achats sont également déductibles des impôts, à concurrence de la juste valeur marchande du découpage de l’image (évaluée à $11,25). »

Oui, vous avez bien lu, et Bridge également. Mais ce n’est pas fini, car Bridge poursuit son enquête sur cette formidable idée de ‘mannequiniser’ à bon marché et à prix drôlement-coûtant les citoyens-fans de la formidable équipe de base-ball de Los Angeles. Et que trouve-t-il ? Eh bien, l’évidence même : il est manifeste que cette foule recréée aux normes de Covid19 et d’une économie bourdonnante d’activité ne respecte pas les normes racisées et antiracistes... Allons, George Floyd n’est pas mort en vain !

« Mais même ce substitut “bon marché” du vrai produit devrait s’autodétruire, comme on pouvait s’y attendre. En effet, les fans de la tendance ‘Woke’ [progressiste-sociétale] parmi nous ont déjà commencé à contester et à critiquer la pléthore de visages blancs heureux parmi les mannequins des premières rangées, une autre manifestation inacceptable du privilège blanc. Bienvenue à la nouvelle folie. »

Voilà, je m’arrête là parce qu’il n’est pas nécessaire de déverser nos sarcasmes et autres signes de stupéfaction.

(Quoi que j’observerais, pour être honnête et juste, que Robert Bridge a une bonne idée : plutôt qu’attendre les œufs pondus du transgenrisme-transhumanisme, pourquoi ne fabriquerait-on pas 7-8 milliards d’images-clone, nécessairement souriantes et irradiant le bonheur, pour remplacer la population du monde parfois un peu trop ronchonneuse, ne trouvez-vous pas ? Il faut y penser, je dis.)

C’est d’autant plus drôle (phoney plutôt que funny), cette affaire, qu’elle intervient alors que le texte de Charles Hugh Smith qu’on a repris dans ces colonnes, désormais fort à propos, a développé comme exemple de locataire, à venir très vite, du cimetière des dinosaures de la “Nouvelle-Normalité” morte-née, le sport américaniste, et notamment le base-ball avec ses vedettes cousues de $millions, ses sièges de gradins très coûteux, ses parkings encombrés et ainsi de suite, – et CHG concluant : tout ça « is gone, done, over: goodbye to all that. »

Il est vrai que nous faisons vraiment tout notre possible. Rien n’échappe à notre quête ni à notre vigilance, derrière les poussières, sous les tapis, derrière le PQ, dans la toile d’araignée de la cave, la moindre sornette-bouffe, le moindre petit grain de sable de bêtise est prestement saisi par nos mains fiévreuses et religieusement porté sur le cimier doré de notre infinie stature, de notre éternelle béatitude, et ainsi participant à l’édification d’une sorte de Parthénon à la gloire de la chose, élevé au sommet du plus haut des gracieux gratte-ciels de Doubaï.

Certes, nous faisons vraiment très fort, notre belle âme poétique extrêmement serrée entre Covid19 et les hordes de ‘Woke’ de ‘Cancel Culture’.

...Ainsi, avec leur aide (Covid19 et les hordes de ‘Woke’ de ‘Cancel Culture’), il se révèle que le base-ball a réussi ce prodige d’atteindre à l’éternité : l’ensemble de la scène nous dit absolument que la preuve de l’existence de l’éternité comme d’autres cherchent la preuve de l’existence de Dieu, c’est le grand-bouffe de la bêtise humaine. Tout bien pesé, c’est à peu près cela, la clef du grand complot, le complot de tous les complots, le grand’père biologique et putatif du complot de tous les complots : “le grand-bouffe de la bêtise humaine”, From Here to Eternity...

(Ah, j’oubliai ce détail : adapté en français, le titre du film nous donne Tant qu’il y aura des hommes. Les voilà sous un autre simulacre, nos comploteurs. Fini de rire, les amis, le visage hideux de la gorgone dictatoriale vient « ...jusque dans vos bras égorger vos fils [et] vos compagnes ! »... Quel programme nous reste-t-il ? Doloroso et disperato devant tant d’artefacts mariant sottise et crétinerie dans leur diversité et leur multiculturalisme globaux, posées en un tas géométrique et de fort belle allure, un tas que l’on dirait initiatique, un peu selon l’exemple de la pyramide de Chéops, du temps des barbares, de ces croyants ignares prosternés devant les icônes grossières de leur culte impie.)

Aux larmes, citoyens, doloroso et disperato... “Ferme ta gueule, répondit l’écho”, – sans plus, même pas poli.

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