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• La Russie, un “tigre de papier” ? • Alexander Douguine ne repousse pas tout à fait l’insulte de Trump, il juge même qu’elle était justifiée avant l’OMS en Ukraine. • Aujourd’hui que la Russie est sur la route la Victoire, elle est vraiment fausse, à condition que cette Victoire soit menée complètement à son terme. • Poutine le veut-il ? Aujourd’hui, la question est plus que jamais posée. • Trump, avec ses exigences inacceptables, détient sans le savoir la réponse à cette question. • François Ier disait bien : “Souvent Trump varie, bien fol est qui s’y fie”.
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Ce texte de Douguine ci-dessous, du 28 septembre 2025, nous paraît être une illustration assez juste de la situation russe, face à un Occident décidé à éventuellement en découdre jusqu’à la destruction par déconstructuration, – “éventuellement”, c’est-à-dire si la Russie ne capitule pas, ce qui est bien entendu hors de question, – et “par déconstructuration” parce que c’est la méthode de néantisation-cancellation favorite de cet Occident-compulsif qui traîne avec lui un énorme complexe suicidaire de prédateur nihiliste.
Un facteur déterminant dans cette situation russe est la situation américaniste, avec un Trump qui se révèle finalement plus belliciste que Biden lui-même, avec son extraordinaire capacité de croire un jour la contraire de ce qu’il affirmait mordicus la veille même. Cette fois, il est embarqué dans la folie neocon du général Kellogg qui lui sert sur un plateau une narrative absolument rocambolesque promettant une prochaine victoire ukrainienne, certaine depuis 2022 et la destruction triomphale de l’armée russe.
Note de PhGBis : « Il est vrai que j’entends aujourd’hui dans les causeries du soir le retour de la narrative de l’anéantissement russe dès avril 2022, et la chasse aux machines à laver ukrainiennes (objet inconnu en Russie) pour récupérer des puces au milieu des monceaux de cadavres russes. Je m’empresse de préciser que nous acquiesçons bien sûr à une telle expertise si fine et si à-propos, tandis que Trump affirmait devant ses 800 amis, les généraux et amiraux du Pentagone qu’il avait réglé en personne “le problème de la guerre entre l’Albanie et l’Aber-baïdjan”, ce qui vaut bien un Prix Nobel de Géographie. Tout cela, PhG l’approuve au fond de lui-même tout en nous demandant à nous tous, ses auditeurs zélés : “Pourquoi diable les Ukrainiens ont-ils donc attendu tout ce temps pour défiler dans Moscou ? Par amour de l’humanité en laissant aux Russes une chance de capituler ? Peut-être. Surement. A la folie.”»
L’intérêt du développement de Douguine, – Trump nous traite de “tigre de papier”, il a tort aujourd’hui mais pour le début de la guerre il n’avait pas tort, – c’est la voie ouverte par l’exhortation du philosophe du redoublement d’efforts russes pour atteindre la Victoire par les armes.
En attendant, si nous comprenons bien Douguine, c’est la résistance de l’Ukraine rapidement devenue la résistance de l’Occident-compulsif, le bloc américaniste-occidentaliste as a whole, qui a imposé à la Russie un effort important de la sorte qui transforme le papier en acier trempé. Cela se fait au prix de milliers de morts (soyons sérieux : bien plus ukrainiens que russes dans un facteur entre 5 et 10 fois) parce que la résurrection d’une grande nation est nécessairement à ce prix.
« Cela ne vient pas de Trump – qu’il s’occupe d’abord de la dégénérescence complète de sa propre société, où la situation est bien pire – mais, à nos propres yeux russes, les mots “tigre de papier” ne sont pas totalement faux ni de simples éléments de propagande. Nous avons, de manière critique, trop imité autrui ; nous paraissions être ce que nous n’étions pas. Découvrir cela fut périlleux. Pourtant, cela s’est finalement révélé. »
Il s’agit d’un grand changement de position de Douguine qui, ces derniers mois, tressaient des couronnes à Trump qu’il voyait comme un néo-populiste capable de coopérer loyalement avec une Russie qui semblait partager les mêmes valeurs que lui. Ces dernières semaines ont complètement bouleversé ce jugement !
Note de PhGBis : « Le jugement de Douguine mais aussi celui de bien d’autres commentateurs indépendants et dissidents, dont ici même PhG dans une certaine mesure. C’était Trump vu comme un quitte ou double, – quitte de la “politiqueSystème”[neocon] ou ‘Double Down’ de cette politique... L’avis ici n’est pas que Trump y a été forcé, – notamment par l’‘État profond’ qui ne sait plus quoi vouloir, – mais qu’il est d’abord, dans sa version mercantiliste, un américaniste exceptionnaliste qui veut la paix expressément à ses conditions, une paix pleine de bénéfices et d’avantages unilatéraux (‘The Art of the Deal’). D’où sa réaction puisque Poutine n’a pas cédé : la colère de la vanité narcississimus blessée. Trump est aujourd’hui un “président de la colère” qui ignore évidemment que la colère est mauvaise conseillère. »
Douguine réalise qu’aucun accord n’est possible avec les USA. Il ne le dit pas à voix haute mais il le pense désormais. Seul Poutine y croit encore mais il est bien le seul et, lorsque les ‘Tomahawk’ arriveront il devra se rendre à l’évidence que tous les milieux dirigeants russes lui clament en silence aux oreilles. Larry Johnson fait cette remarque préliminaire dans son texte d’hier, mettant en lumière la solitude de Poutine dans un exercice du pouvoir qui, en Russie, nécessite un accord de toutes les factions qu’il (Poutine) est en train de perdre :
« Selon Gil Doctorow, que je considère comme un ami, les élites moscovites sont très mécontentes de l'inaction de Vladimir Poutine pour mettre rapidement un terme à la guerre en Ukraine. Si Poutine ressent une quelconque pression de leur part, il ne l'a certainement pas exprimée lors de son discours en plénière et de la séance de questions-réponses qui a suivi, lors de la 22e réunion du Club de discussion international Valdaï, à Sotchi, aujourd'hui 2 octobre 2025. »
Donc, seul Poutine croit encore à un accord avec les USA mais comme il sait et il pense qu’il ne faut rien céder pour avoir cet accord, il deviendra vite nécessaire de régler cela sur le champ de bataille si les USA ne finissent pas par se tourner vers lui avec une proposition acceptable. C’est ce que Douguine appelle “obtenir la Victoire” à tout prix.
« Si, en qualifiant la Russie de “tigre de papier”, Trump indique en réalité un retrait du soutien direct à l’Ukraine, les choses deviendront quelque peu plus faciles pour nous. Mais nous devons obtenir la Victoire en toutes circonstances — même si cela ne devient pas plus facile, même si cela devient plus difficile.
» Nous vivons un moment charnière dans l’histoire. Nous sommes en train de la briser — et elle tente de nous briser. La balance de la Victoire oscille. »
Ce dilemme est bel et bien imposé à Poutine. A Valdaï, il a suivi la voie extrêmement modéré en ménageant au maximum le président américaniste, suivant en cela le courant de ce Club International, le super-think tank russe appuyé sur des courants économistes frisant ce globalisme que Douguine déteste et dénonce à tout rompre. Curieusement, Poutine montre également la même aversion lorsqu’il se place sur le plan culturel et sur celui des mœurs.
Andrew Korybko analyse l’atmosphère de la session 2025 du Club Valdaï et met en évidence la satisfaction des participants devant une “Opération Militaire Spécial” (OMS) en Ukraine extrêmement modérée. Poutine suit effectivement ce courant « pour ne pas déstabiliser l’équilibre socio-économique de la Russie » par un choc trop brutal. Cette dernière remarque est assez étrange : la victoire sur un ennemi unanimement détestable selon les conceptions russes serait-elle “déstabilisante” ? La victoire sur le diable, si l’on en croit les perceptions religieuses et traditionnalistes, – idem ?
... Mais, pour cela, observe le très-modéré Korybko, encore faut-il que Trump joue le jeu et abandonne ses exigences inacceptables pour le Russe Poutine... C’est alors que Poutine aurait sur les bras ce qu’il veut éviter à tout prix.
Korybko écrit, après avoir détaillé l’analyse de Valdaï sur l’OMS et ce qu’il faut en faire, et comment faire si Trump...
« ...Cela suggère la satisfaction de la Russie quant aux avancées multipolaires réalisées depuis 2022 et sa réticence à risquer leur inversion par une “victoire décisive” susceptible de déstabiliser ce nouvel ordre.
» Soyons clairs : le Club Valdaï ne représente qu’une des factions politiques russes et son analyse pourrait ne pas refléter fidèlement les calculs de Poutine, qui pourraient de toute façon changer. Malgré tout, cela explique la volonté de la Russie de faire des compromis avec les États-Unis, idéalement dans le but de réformer l’architecture de sécurité européenne, comme issue stratégique majeure de ce conflit. Trump pense toutefois pouvoir contraindre la Russie à des concessions, ce qui risque de déclencher le chaos que Poutine a voulu tenir à distance par sa retenue. »
La grande voix de Douguine parle au nom de la Russie profonde, qui n’accepterait jamais la moindre concession par rapport aux exigences-plancher de Poutine. Des milliers de Russes sont morts pour cela. Poutine risquerait vraiment très gros s’il ne tenait pas compte du message que lui fait parvenir le philosophe russe.
D’où ceci qu’il n’est pas assuré du tout qu’un changement de pouvoir en Russie, si ardemment voulu par l’Occident-compulsif au nom de cette haine déchaînée contre Poutine, soit à l’avantage de cet Occident-compulsif. Mais l’on sait bien qu‘il (cet Occident-compulsif) croit à ses propres narrative comme les petits enfants croient absolument aux contines du Père Noël.
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Alexander Douguine affirme que l’insulte qualifiant la Russie de « tigre de papier », proférée par Trump, est fausse, mais qu’elle révèle les illusions d’autrefois de la Russie, alors qu’elle s’éveille à la véritable puissance et à la Victoire.
L’observation de Trump qualifiant la Russie de « tigre de papier » est insultante, cela va de soi. Et, bien sûr, elle est fausse.
Pourtant, il a touché un point sensible. Au début de l’Opération Militaire Spéciale, bien trop de choses en Russie étaient devenues des simulacres. Ce n’est qu’en étant confrontés à une guerre réelle et brutale que nous avons commencé, peu à peu, à comprendre à quel point tout avait été négligé — surtout dans le domaine militaire, et en particulier au niveau du commandement. Les exemples sont nombreux et évidents.
Cela ne vient pas de Trump — qu’il s’occupe d’abord de la dégénérescence complète de sa propre société, où la situation est bien pire — mais, à nos propres yeux russes, les mots « tigre de papier » ne sont pas totalement faux ni de simples éléments de propagande. Nous avons, de manière critique, trop imité autrui ; nous paraissions être ce que nous n’étions pas. Découvrir cela fut périlleux. Pourtant, cela s’est finalement révélé.
Avec le recul, et sous certaines réserves, il y a dans un jugement aussi tranchant quelque chose qui ne peut être rejeté d’un revers de main par la phrase « il n’y a pas d’ours de papier ». On peut découper n’importe quelle figure dans du papier. Les possibilités du simulacre sont immenses.
Pourtant, je tirerais une autre conclusion de cette accusation hostile. Si, dans une certaine mesure, nous étions un « tigre de papier » au début de l’Opération Militaire Spéciale (mais pas totalement, pour sûr), alors à présent, nous ne le sommes très certainement plus du tout. Même alors, nous ne l’étions pas entièrement. Nous étions un ours vivant, réel, mais endormi. Sur son sommeil flottait un dessin animé grossier — c’était le simulacre. Les élites hésitaient à réveiller l’ours, estimant cela trop risqué et pensant pouvoir se contenter du dessin animé.
Il est désormais évident que sans véritablement réveiller l’ours, nous ne pouvons pas gagner cette guerre. Les moyens purement techniques ne suffiront pas. Nous avons essayé, et cela a échoué. Ainsi, précisément maintenant, une voie a été tracée pour passer du simulacre à la réalité ; une opération visant à réveiller le peuple est en cours.
Les deux grands défis — la Victoire et la démographie — ne peuvent être relevés que par un réveil, par le passage de l’imitation à la réalité. Tel fut le message d’Andreï Belousov lorsqu’il a pris ses fonctions de ministre de la Défense : on peut commettre des erreurs, mais on ne peut pas mentir.
Nous ne sommes pas un tigre de papier. Plus maintenant.
Mais cela exige encore une preuve historique solide.
Je crois que l’Occident, qui a provoqué cette guerre, a recueilli par ses services de renseignement et ses réseaux certaines informations secrètes selon lesquelles le « tigre » était « de papier ». Ce n’était pas tout à fait vrai, mais pas totalement faux non plus. L’authenticité oscillait à la limite de la supercherie. La différence résidait dans la nuance, dans quelques points de pourcentage.
Nous avons enduré le moment le plus difficile, quand le bluff s’est effondré, et maintenant nous nous imposons clairement — sur le champ de bataille et chez nous, en diplomatie et dans la construction d’un monde multipolaire — comme quelque chose de réel, de sérieux et de puissant.
Pourtant, il subsiste des traces de « papier ». Pas de manière catastrophique, comme auparavant, mais elles subsistent.
Si, en qualifiant la Russie de « tigre de papier », Trump indique en réalité un retrait du soutien direct à l’Ukraine, les choses deviendront quelque peu plus faciles pour nous. Mais nous devons obtenir la Victoire en toutes circonstances — même si cela ne devient pas plus facile, même si cela devient plus difficile.
Nous vivons un moment charnière dans l’histoire. Nous sommes en train de la briser — et elle tente de nous briser. La balance de la Victoire oscille.
Il est aujourd’hui vital de se tourner vers la science et l’éducation. Et vers la philosophie. Là résident les clés de l’authenticité.
Hegel disait que toute grande puissance devait avoir une grande philosophie. Sans cela, la puissance elle-même devient un simulacre — un « tigre de papier ». L’éveil signifie l’éveil de l’esprit.
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