Déculottage hypersonique...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Déculottage hypersonique...

24 septembre 2021 – Macron a fait ce que Giscard nommait dans le temps “le bon choix” : le déculottage transatlantique, une spécialité qui sera bientôt accepté par le Comité Olympique International. Cela dit sans mauvaise pensée ni la moindre rancœur, parce qu’aujourd’hui cette sorte de comportement est chose courante, sans vergogne, en toute candeur dirais-je, à partir d’un absence totale de culture, d’information, de perception du monde, et particulièrement de la situation des Etats-Unis. (Cela aussi, “la perception de la situation aux Etats-Unis”, ce devrait être une discipline olympique.) Simplement, le président aurait pu faire ça 4-5 jours avant, il nous aurait évité l’effort de plusieurs articles.

C’est cela qu’il y avait dans ces remarques de notre premier article où nous disions notre surprise devant la force de l’indignation française, comme si l’on découvrait la “félonie” américaniste et anglo-saxoniste à propos de l’excellente escapade australienne des sous-marins en perdition:

« “Plus ça change, plus c’est la même chose”, parce que notre très longue expérience de plus d’un demi-siècle des questions d’armement du temps passé nous a habitués à la répétition sans fin de cette même félonie de nos “alliés” anglo-saxons, et de la naïveté correspondante et confondante des Français, surtout depuis les années 1985-1990. Les exclamations de dépit de notre brillant ministre des affaires étrangères Le Drian apprenant la nouvelle par la presse il y a deux jours ont également quelque chose de confondant. Réveillé en sursaut, Le Drian a montré cette même naïveté qui confine à la niaiserie et à la nigauderie, et suggère notre conclusion immédiate qui concerne effectivement la surprise douloureuse (“Maman, bobo”) du ministre : décidément, ils ne comprendront jamais rien.

» Les structures et les figurants américanistes conçoivent la vente des armements comme une guerre totale, où il n’y a ni coopération, ni arrangements, ni alliés. Ils ne défendent pas leurs intérêts, ils bombardent les autres avec leurs intérêts, comme ils bombardent le Kosovo, l’Iran et l’Afghanistan. Ils ne mettent nulle subtilité, nulle finesse, nul sens de la nuance dans ces ‘carpet bombings’ : ils utilisent les pressions, la corruption, les menaces et toutes les sortes de coups bas imaginables, jusqu’aux plus expéditifs. »

Cela étant admis, on conviendra qu’il y avait deux possibilités : ou bien les Français avalaient la couleuvre rapidement, comme ils font d’habitude depuis vingt ans, après quelques mâchouillis et protestations déjà faites et sans espoir, parce que « C’est la vie » comme disent les citoyen américains et américanistes qui empruntent notre langue ; ou bien ils recrachaient la couleuvre et montaient à l’extrême en se lançant dans une crise à temps long, comme Villepin en 2003, à propos de l’Irak et de l’ONU, – et il y avait de quoi faire parce que les conditions sont aujourd’hui infiniment meilleures pour la France qu’en 2003. Une bonne, une excellente carte pouvait être jouée avec l’annonce du retrait français du commandement intégré de l’OTAN, perspective dont la seule menace précisément brandie (l’annonce en question) aurait très profondément bouleversé ces messieurs-dames. J’ai bien cru qu’ils pensaient sérieusement à envisager la deuxième option, d’autant plus et mieux qu’ils auraient eu le soutien combiné de la doublette infernale Mélenchon-Zemmour...

Mais patatras ! Ce fut une dose de plus de ce vaccin du “en même temps” qui lui colle au sourire comme le sparadrap du capitaine Haddock. C’est-à-dire qu’on choisit l’option “temps-long” de la crise, mais on le fait très-très court et l’on accourt au premier clin d’œil, comme une fille au tarif soldé.

Dans de telles conditions cousues de fil blanc, le déculottage qui eut été tristement acceptable avec la première option devient catastrophique et insupportable, à défaut d’être insubmersible. Il devient, comme l’ont dit dans le titre en un hommage discret aux capacités des Russes qui laissent loin dans la poussière l’hyperpuissance-US, “hypersonique” de grossièreté navrante, d’enthousiasme optimiste, d’affirmation très “scout-toujours-prêt” sur la possibilité continuée, renforcée et épousée de la ‘servitude volontaire’. Ils ont choisi de prendre le pire des deux options : avaler la couleuvre après avoir hurlé qu’ils n’avaleraient plus jamais de couleuvre. Il y a de quoi s’étouffer alors que l’habile reptile continue son mouvement en accordéon.

Il est indiscutable que je l’ai cru un instant un peu plus malin que ce qu’il nous a montrés jusqu’ici... Je parle uniquement de l’agilité de la pensée dans son domaine de prédilection, la souveraineté et la pérennité de son fonds de commerce électoraliste : communication du roulage de mécaniques sur nos écrans, action électoraliste clouant le bec à ses adversaires, temps de parole chapardé massivement camouflé en action d’affirmation d’une politique souveraine et indépendante.

Que nenni, man ! L’homme a le sens absolument inverti de la Grande Politique : lorsqu’il s’agit d’une action qui concerne le sort de la Belle-France, on ne s’abaisse pas à des actions partisanes et politiciennes comme celle d’affirmer l’indépendance de la Grande-Nation, on baisse sa culotte aux couleurs tricolores et l’on brandit son pass-militaire certifié OTAN. Je crois et j’espère qu’il le payera lors de la campagne des présidentielles et au prix fort, parce qu’il sentira longtemps la fange où il s’est roulé.

Là-dessus et cette affaire réglée, je ferais bien une remarque plus générale...

Nombreux sont les géopoliticiens au verbe expert et au regard impératif, qui ont commenté cet épisode en nous la jouant, pour définir la politique de l’anglo-saxonisation, en mode-froideur à la Spengler, à la limite du cynisme virilement pragmatiste, du type “une nation n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts”, “Wrong or right my country”. C’était indirectement railler la conduite habituelle, bien qu’ils l’applaudissent en général avec enthousiasme, du Proconsul Macronus Primus qui n’est pas avare d’excuses pour les pires des motifs, de “pardonnez-moi”, de “nous sommes coupables” lorsqu’il s’agit de se décoloniser soi-même.

Je ne suis pas forcément d’accord dans l’absolu des principes de la métahistoire avec cette vision des “géopoliticiens au verbe expert et au regard impératif” de la Grande-Politique ; je pense même pouvoir écrire que je la rejette comme un produit regrettable de l’“idéal de puissance”. Je crois qu’on peut faire entrer dans la Grande-Politique (la vraie) des sentiments assez nobles et assez hauts, assez éloignés de la comptabilité immédiate et donc mesquine de ses propres intérêts politiques, sans hauteur et longueur de vue ; mais des sentiments qui finissent par vous récompenser de les avoir eus ; des sentiments comme dit l’Auguste de Corneille après son acte de clémence final : « Je suis maître de moi comme de l’univers ». Être “maître de soi” pour un grand politique, c’est poser un acte hors du seul verdict de l’intérêt comptable, immédiat et apparent des choses, pour grandir sa politique à la hauteur des principes, et ainsi se grandir soi-même, et aussi sa politique.

Je citerais trois interventions très disparates, à propos d’événements différents, de personnages assez peu similaires mais fort peu inclinés à l’affectivisme qui nous gouverne en général par ces temps-devenus fous ; personnages hors de tout embarras partisan, hors de toute logique politique, y compris celle qui est développée ici puisque l’une des trois interventions s’y rapporte... Il s’agit d’illustrer la référence à certains sentiments en politique, de la part d’hommes qui sont réputés pour ne “pas faire de sentiment” en matière de politique.

• Talleyrand, expliquant indirectement pourquoi il avait annoncé en préambule du Congrès de Vienne de l’automne 1814 (bien sûr, avec l’accord de Louis XVIII qui ne l’aimait pas mais qui appréciait la force de caractère du diplomate) que la France du roi renonçait souverainement aux conquêtes de l’empereur et revenait à ses frontières de 1789 :

« La maison de Bourbon seule, pouvait noblement faire reprendre à la France les heureuses proportions indiquées par la politique et par la nature. Avec la maison de Bourbon, la France cessait d’être gigantesque pour devenir grande. Soulagée du poids de ses conquêtes, la maison de Bourbon seule, pouvait la replacer au rang élevé qu’elle doit occuper dans le système social ; seule, elle pouvait détourner les vengeances que vingt ans d’excès avaient amoncelées contre elle. »

• Charles de Gaulle, dans ses ‘Mémoires de guerre – Le Salut’, page 659 (La Pléiade) :

« Tout peut, un jour, arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique »

• Le colonel Pat Lang, sur son site ‘Turcopolier.com’, le 22 septembre 2021, à propos de la conversation Macron-Biden au cours de laquelle le président des États-Unis s’est excusé d’avoir machiné le marché australien sans l’avertir ni lui montrer le couteau qu’il s’occupait à lui planter dans le dos. Le titre de l’article, traduit lestement par mes bons soins, comme le reste : « Yorktown ? Où c’est, ce bled ? » (A Yorktown, victoire décisive d’il y a 240 ans exactement de la guerre d’indépendance des États-Unis, où l’intervention française décida quasiment à elle seule de cette victoire.)

« Imaginez ! Imaginez un peu ! L’Empereur-Dieu Joe-Ier a admis qu’il avait peut-être fait une bêtise aux dépens du pays sans l’aide duquel nous aurions échoué dans notre tentative de nous libérer de la tyrannie de Westminster. Allez visiter le cimetière militaire français de Yorktown. Leurs hommes sont morts en capturant une position clé de la défense britannique lors d'une attaque de nuit à la baïonnette. Les Français devraient peut-être demander le retour de la statue de la Liberté. C’était le cadeau du peuple français. Et n’essayez pas de la ramener avec la première et la deuxième guerre mondiale. Nous ne sommes pas allés à la guerre pour la France. »

Voyez comme le jugement se déplace et donne des sentiments différents. Ici, la noblesse et la hauteur sont (eussent été, puisque l’occasion est cochonnée ?) de tenir bon contre la félonie et la trahison de l’“allié”. En même temps, vues de l’autre côté par des observateurs critiques de l’administration en place (comment n’en pas être critiques, Biden aussi bas dans son style, que Macron dans le sien), cette hauteur et cette noblesse se fussent trouvées dans une attitude loyale et juste (honneur et honnêteté, selon de Gaulle) dans le souvenir de ce que fit la France pour permettre la naissance des États-Unis, pour s’empêcher de commettre en s’en dissimulant la vilenie de l’AUKUS.

Tout ça n’a aucun sens, dans leur monde où nous vivons. Ils sont simplement vide de toute pensée qui consulterait la noblesse de l’âme et l’ouverture de l’intelligence, au cas où ils rencontreraient ces choses. Ils sont plats comme un encéphalogramme, ils sont bas comme un cul de basse-fosse, ils sont vides comme une coquille de fossile. Ils sont vieux avant l’âge, incroyablement bouffis de bienpensance bourgeois, des sous-Bouvard et des sous-Pécuchet que même le grand Flaubert aurait laissé tomber par manque d’intérêt par rapport aux siens.

Vous avez vu la tête sérieuse et affectueuse de ce Le Drian au teint gris, en conférence de presse commune avec son ami Blinken (qui parle français, ma chère !), qu’il accablait d’injures trois jours plus tôt ? Dire que j’ai cru qu’ils étaient capables de tenir la route, même de pure communication, plus d’une semaine dans une attitude ferme ! Tu vieillis, PhG, tu vieillis ! Tu ne mesure pas combien ces gens sont encore plus indignes, misérables et néantisés, encore plus « dernier homme »-de-Nietzsche, que tu te les représentais... Et dire qu’on en fait des comploteurs qui nous manipulent, rendez-vous compte, des Machiavel du Mal qui veulent nous asservir, nous engoulagiser : une fiente pareille, point de regret, ils cultivent la corruption des bas-fonds comme Candide son jardin, disons quelques sous-sols plus bas.

Je n’aime pas ces gens. Ils ne savent même pas comment être corrompus avec élégance, ils le sont en tentant de faire prendre leur corruption pour de la vertu. Ils auraient bien des leçons à retenir du “diable boiteux”, Talleyrand... “Talleyrand, qui c’est ce type ?”, disent-ils, avant de revenir à leurs affaires, à leurs sondages et à leur bienpensance.