De qui et de quoi Z est-il le nom ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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De qui et de quoi Z est-il le nom ?

30 septembre 2021 – Il faut sans aucun doute convenir, – et j’en conviens illico-presto, – qu’il se fait grand tintamarre en Royaume de France autour de la personne de Éric Zemmour, notre ‘Z’ déjà souvent cité. Non seulement ‘tintamarre autour’, comme l’on décrit l’environnement des choses et des mouvements, mais plus encore comme une sorte de folie compulsive, voire hystérique, dans les psychologies qui s’avèrent prêtes à recevoir toutes les perceptions. Ainsi en est-il, à ce point que l’on en vient à découvrir, dans ce marais d’impuissance et de bienpensance que sont les territoires incertains de la République, plutôt “à prendre” que “perdus”, que les psychologies, toutes les psychologies, même celles des mieux-pensants, sont ouvertes à tous les vents, des plus audacieux aux plus mauvais. C’est plutôt une surprise dans ce pays que l’on jugeai encalminé et cadenassé dans les raideurs incroyables de sa théologie postmoderniste, wokeniste, parisianiste...  

« La France se meurt, la France est morte », écrivait Zemmour comme phrase de conclusion de son livre ‘Le Suicide français’ ; il faut croire que les fantômes sont bien plus coriaces que les êtres dans ces temps-devenus-fous, et que leurs formes imprécises et insaisissables ont bien plus d’énergie et de pesanteur que les corps vifs qui prétendent offrir le poids et la vigueur du vivant.

La caractéristique de ces temps-devenus-fous est que rien d’assuré ne peut être avancé. Ainsi Bock-Côté pouvait-il très justement et d’ailleurs sans une ombre de malveillance (ils sont plutôt de bords politiques du type “qui se ressemblent-s’assemblent”), demander à Zemmour, lui rapportant cette dernière phrase du livre d’avant citée plus haut, par quel tour de magie il pouvait publier aujourd’hui ‘La France n’a pas dit son dernier mot’ ? Réponse brouillonne et un peu courte, a-t-on jugé. Z lui-même, au fond, ne sait que dire précisément de cette résurrection, sinon de la constater pour justifier son destin : il la croyait morte, on croirait qu’elle revit... En un mot, on verra bien...

(Tiens ! Il aurait pu, pour répondre dans le genre-Messie, enfourcher la thèse de la Résurrection de la Grande Nation, avec lui comme éveilleur de Résurrection, sorte de “Woke” de la Tradition.)

Il est vrai que nous assistons à un spectacle bien inattendu, avec un ‘Z le Zaudit’ comme on disait ‘M le Maudit’, sorti soudain de son enfer de polémiste à succès où l’avait assigné l’‘Empire du Bien’. Du coup, tous les salons en parlent, la mode devient zemmourienne, qui pour vomir, qui pour boire du petit-blanc (je parle du vin, hein, et sans privilège). Selon mon jugement, cela ne signifie rien, absolument rien ni de l’appréciation qu’on peut avoir de Zemmour, ni même de mon appréciation de Zemmour ; par contre, cela dit tant de choses du climat de ces temps-devenus-fous, de ces éclairs de feu jusqu’ici contenus, de ces bruits de tonnerre jusqu’alors étouffés dans les prisons du Temps-dictateur arrêté à l’heure du diktat du Système. Ces temps et leurs espaces, je parle du vivant et non du figé, sont prêts à éclater, à se répandre, à s’élancer dans toutes les directions, accablés par les pressions épouvantables des bavardages, des narrative, des jugements pleins de moraline et dégoulinant d’affectivisme, et pour mieux les fuir.

Certes, nos temps-devenus-fous sont comparables, selon une autre partition mais parfaitement en tension et en fureur, à ceux que Joseph de Maistre définissait ainsi, donnant leurs places exactes aux acteurs de ce théâtre du monde, non comme créateurs de la chose mais comme besogneurs de l’incarnation, et dans les limites autorisées... Ainsi parlait mon ami le Comte-Joseph :

« Mais la révolution française, et tout ce qui se passe en Europe dans ce moment, est tout aussi merveilleux que la fructification instantanée d'un arbre au mois de janvier; cependant les hommes, au lieu d'admirer, regardent ailleurs ou déraisonnent. »

... Voilà donc que, désormais, les hommes (parmi lesquels je mets Zemmour) sont forcés de ne plus “regarder ailleurs” et de ne plus “déraisonner” sur l’“ailleurs” ; et si déraison il continue à y avoir, qu’elle se place au cœur de l’immense tragédie-bouffe en train de se jouer en un acte de plus (nul ne sait si c’est le dernier), et que l’on admette enfin que les hommes en sont les jouets, jusqu’à être traités de “scélérats“ s’il le faut (et Zemmour n’en sera pas exempté, car l’égalité-woke règne) :

« On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes ne la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse... [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement. »

Tout cela est pour dire qu’il y a bien des difficultés à sortir de ce tourbillon crisique quelque jugement, quelque perspective qui soit assuré(e). Nous sommes dans une tambouille d'allure révolutionnaire dont rien ni personne ne peut dire d’assuré, sinon que Zemmour est un déchaîneur de sentiments extrêmes, dont nombre d’entre eux sont peu aimables et de la catégorie de l’hostilité suprême, mais dont aucun ne peut aller contre cette dynamique.

Une curiosité exotique de ce dernier constat (“la catégorie de l’hostilité suprême”) est qu’il me semble qu’il les provoque plus fortement qu’ailleurs, chez ceux qui sont d’une tendance en théorie pas très éloignée de la sienne mais qui ne le jugent pas de leur rang. (Mais ceci n’explique-t-il pas cela, comme un mari légitime et richement doté mais cocu, découvrant sa femme dans les bras d’un concitoyen du même quartier, mais de mauvaise fréquentation, qu’on croyait neutralisé par ses mauvaises manières ?)

... Je veux dire, ce sentiment que j’ai éprouvé, lorsqu’on entend un Luc Ferry éructer (« Un mec qui écrit ça, je ne voterai jamais pour lui ... Cette haine des femmes [de Zemmour] est insupportable... ») ou un Larcher (président du Sénat, rien que ça puisque deuxième personnage d’un État nommé France), synthétisant son sentiment sur Zemmour-parlant-des-femmes : « J’ai l’impression d’entendre Radio-Kaboul » (voyez Zemmour en chef taliban, spectacle charmant qui nous fait mesurer la vivacité de l’esprit du Sénateur en chef)... A gauche, tout à gauche on se contente de le haïr dans le genre ‘business as usual’, comme d’habitude, en roue libre, à tout hasard Balthazar, mais avec une conviction érodée, des arguments usés par le temps qui passe et sans valeur pour les temps-devenus-fous...

Il est vrai que les hommes et femmes (ou femmes et hommes, selon l’humeur wokeniste), ces acteurs-actrices, ces éléments mouvants et composants-figurants de la pièce, ces détails de l’intrigue sont les plus surpris, les plus ébahis, dans ce tourbillon crisique, – et je pense, tout au fond de lui et malgré ses ambitions, Zemmour lui-même, de la même façon. Que va-t-il se passer ? Comment les choses vont-elles évoluer ? Combien vaines ces questions, combien inutiles et sans espoir ni droit de réponse ; et quelle mesure de notre véritable dimension, de notre influence assez piètre, de notre suffisance sans espoir et de l'importance également vaine que nous nous accordons à nous-mêmes, dans le trou noir du désordre du monde.

On a déjà pas mal joué au jeu de l’analogie, depuis l'entrée en scène de Z. L’analogie-Trump est évidente, sauf qu’elle ne concerne ni le personnage, ni la politique, ni l’orientation, ni la culture, ni les manières, ni les goûts et les couleurs, ni rien du tout de la sorte. L’analogie-Trump se justifie, – mais quelle justification, alors, et de quel poids sacrebleu ! – par le seul argument de l’effet produit sur la marche des événements par un seul événement, et un effet voulu effectivement par l’entité nommée “marche des événements”. Qu’on se rappelle, pour ceux qui en convinrent : dès l'arrivée de Trump dans le circuit, on sentit le vent du changement qui accompagnait cet homme sans lui concéder la moindre qualité de conscience ; depuis, Trump ayant été président sans rien faire de bien remarquable, président empêché, contrôlé, balloté, trahi par sa bureaucratie et ses généraux, haï et vilipendé, puis balayé avec les honneurs et l’insolence de la fraude-Système et du simulacre étalé sous nos yeux, – depuis pourtant, et malgré toutes ces agitations, le changement fondamental dans le sens du tourbillon crisique s’est creusé, n’a cessé d’accélérer, de se précipiter !

Voyez au reste combien se dupliquent d’elles-mêmes les destinées des États-Unis et de la France, dans le sens du désordre déconstructeur des infâmes simulacres du Système. Ainsi va la Grande Crise d’Effondrement du Système, – A Dieu vat !

Plus que jamais et le Comte-Joseph revenu parmi nous et nous considérant, Maistre écrirait fort justement avec un ricanement franchement déconstructeur : « la [marche des événements] mène les hommes plus que les hommes ne la mènent. »