De Pelosi à Zelenski, la “PolitiqueSystème-bouffe”

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De Pelosi à Zelenski, la “PolitiqueSystème-bouffe”

• Comment parler sérieusement d’une situation extrêmement sérieuse qui, chaque jour, devient significative d’un autre monde que celui auquel elle appartenait hier. • Pelosi à Taïwan, c’était presque la guerre. • En fait, l’essentiel se trouvait dans un article de Tom Friedman, vitupérant Pelosi pour son voyage, mais nous confiant que le plus important est que Washington en a marre de Zelenski qui n’arrive pas prendre Moscou avec ses lance-roquettes HIMARS. • D’où notre suggestion : leur terrible “politiqueSystème” n’est-elle pas une “politiqueSystème-bouffe” ?

Bien… On a l’habituelle anecdote qui n’a sans doute pas encore atteint toutes les oreilles des citoyens de la postmodernité. Lorsque Kissinger, accompagnant Nixon à Pékin en 1971, posa cette question d’historien à Chou En-lai, il y eut cette réponse de méditation chinoise non exempte d’une ironie dont Chou était richement doté :

« – A votre avis, quelles ont été les conséquences de la révolution française de 1789 ?

» – Oh écoutez, c’est encore trop tôt pour le dire... »

Il y a ceux qui disent que la Chine a perdu la face dans cette affaire Pelosi et que c’est une défaite humiliante.

Il y a ceux qui vous disent que c’est “Pelosi 1, Chine 0”, et que le match n’est pas fini.

Il y a ceux qui vous disent que la Chine est un empire vieux de 3 000 ans et que “la vengeance est un plat qui se mange froid”.

Il y a ceux qui vous disent que l’épisode Pelosi est aussi grave que le lancement de l’Opération Militaire Spéciale de la Russie en Ukraine.

Il y a ceux qui vous disent que la GrandeCrise continue à essaimer et qu’une nouvelle ‘subcrise’ (une crise dans la GrandeCrise, et issue de la GrandeCrise, ou un “nouveau front” si vous voulez) s’est ouverte... Et ce sont les USA qui l’ont voulu ainsi, en ne faisant rien pour décourager Pelosi, notamment par le moyen de ne donner aucun caractère officiel à son déplacement, au contraire en faisant de la visite de Pelosi justement un événement officiel à caractère confrontationnel (avion de l’USAF, protection militaire, etc.)

On imaginera dans quel camp de l’interprétation nous nous trouvons.

Il n’empêche qu’en même temps que se développaient toutes ces interprétations, le porte-parole de la Maison-Blanche spécialement imposé par le Pentagone, l’amiral Kirby, réaffirmait que la politique officielle de la direction politique des USA, qui se trouve toujours à la Maison-Blanche, reste de considérer qu’il n’y a qu’une seule Chine, donc que Taiwan n’est pas aujourd’hui et n’est pas en voie d’être considéré demain comme un pays indépendant. Cette réaffirmation a l’heur d’avoir sans doute plu aux Chinois, tout en les surprenant par son caractère abrupt comparé à la publicité faite au voyage de Pelosi qui semblait bel et bien suggérer le contraire.

Par conséquent, tout se passe comme si Pelosi avait fait une visite impromptue “en Chine”, et cela ne nécessite pas certainement pas de lancer un conflit généralisé en commençant par couler le USS ‘Ronald Reagan’. Néanmoins, et puisqu’il est question de rester conforme à l’apparence des événements, l’ensemble de l’épisode conduit sinon oblige la Chine à s’estimer justifiée de se proclamer comme étant conduite à s’affirmer en état de crise ouverte avec les États-Unis. Il y a donc eu et il y a bel et bien :

« ...une subcrise dans la GrandeCrise, et une subcrise issue de la GrandeCrise, ou un “nouveau front” si vous voulez, et par conséquent une proximité opérationnelle totale entre Moscou et Pékin face à Washington... »

Là-dessus, il apparaît que la chose importante à Washington alors que Pelosi recevait une “médaille d’honneur” des dirigeants taïwanais se trouve dans un article de Thomas Friedman dans le New York ‘Times’. Friedman est une sorte de “petit télégraphiste” de l’establishment (ou le DeepState si l’on veut). Il a pour mission, à intervalles réguliers, de diffuser, sous forme de supputations ou de confidences de “sources officielles”, certaines “vérités” nouvelles dans la conception du monde qu’ont les dirigeants américanistes, c’est-à-dire la situation-de-narrative du monde. L’article de Friedman comprend deux axes :

• La visite de Pelosi à Taïwan est un acte « totalement imprudent, dangereux et irresponsable ».

• Les relations entre la direction politique à Washington et le président ukrainien Zelenski sont si exécrables que nous sommes conviés à penser à de prochaines décisions irréversibles (Zelenski poussé sous un bus)...

Ainsi RT.com rend-il compte des principaux traits de l’article de Friedman, qui a été publié (lundi matin) avant la visite de Pelosi et qui devient aujourd’hui le principal élément d’appréciation de cette visite. C’est là une façon de lui donner tout son sens, pour nous faire comprendre que Washington a laissé faire Pelosi, c’est-à-dire rendre les relations USA-Chine encore plus tendues et confrontationnelles, pour pouvoir mieux dire que Zelenski n’est plus en cour du tout et pourrait tout aussi bien être liquidé demain... Vous suivez ? Alors, suivez le gros-Friedman :

« Les États-Unis ont jusqu'à présent été le principal soutien de l'Ukraine dans son conflit avec la Russie, fournissant des milliards de dollars d'aide militaire ainsi que des renseignements, mais selon le chroniqueur des affaires étrangères du journal, Thomas L. Friedman, les relations entre Washington et Kiev ne sont pas ce qu'elles semblent être.

» “En privé, les responsables américains sont beaucoup plus préoccupés par le leadership de l'Ukraine qu'ils ne le laissent paraître”, écrit Friedman, trois fois lauréat du prix Pulitzer. “Il existe une profonde méfiance entre la Maison Blanche et le président ukrainien Vladimir Zelenski, – considérablement plus que ce qui a été rapporté."

» L’auteur du NYT a décrit la décision de Zelensky de licencier la procureure générale Irina Venediktova et le chef du service de sécurité de l'État (SBU), Ivan Bakanov, à la mi-juillet comme “une drôle d'affaire qui s’est passé à Kiev”.

» Friedman note qu'il n'a pas encore vu de reportage dans les médias américains qui “explique de manière convaincante” les raisons derrière le plus grand remaniement du gouvernement de Kiev depuis le lancement de l'opération militaire russe le 24 février. “C’est comme si nous ne voulions pas regarder de trop près ce qui se trouve sous le tapis à Kiev par crainte d’y découvrir la corruption et les frasques que nous pourrions découvrir, alors que nous y avons tant investi“, a-t-il écrit.

L'article a été publié avant la visite, non confirmée à l'époque, de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, sur l'île chinoise autonome de Taïwan, que Friedman a critiquée comme un geste “totalement imprudent, dangereux et irresponsable”.

» Ses conséquences négatives pourraient inclure “une réponse militaire chinoise qui pourrait plonger les États-Unis dans des conflits indirects avec une Russie et une Chine dotées de l'arme nucléaire en même temps”, a-t-il averti. »

On appréciera la logique chronologique, sinon événementielle de ces appréciations de Friedman (un jugement contre Pelosi, l’annonce d’une rupture avec Zelenski) , mais on devra l’apprécier en ayant à l’esprit que nous sommes à Washington. Pour éclaircir cela d’une lumière crépusculaire, on écoutera Larry Johnson parler (dans une interview à RT !) de « l’incroyable bordel » qui fait office de pouvoir à Washington, où personne n’est en charge du pouvoir... Selon Johnson, bien entendu, l’article de Friedman et les réactions qu’il a provoqué témoignent magnifiquement de cet « incroyable bordel », et si l’on n’y comprend rien, c’est que
1) il n’y a rien à comprendre ; et
2) on a donc tout compris.

Pour tenter de sortir quelque cohérence de cet extraordinaire désordre washingtonien, il faut donc s’intéresser, à l’heure du voyage de Pelosi, non à Pelosi et à Taïwan mais bien à Zelenski et à l’Ukraine. Pour cela, sans peur et sans reproche, on peut lire une analyse de “Bonchie, l’un des commentateurs du site ‘RedState.com’. Comme l’on sait, ce site, très conservateur, républicain et pro-Trump, s’il est clairement antichinois s’est montré, – se démarquant en l’occurrence de la ligne-Trump sur ce dernier cas, – tout aussi clairement antirusse et pro-Ukrainien dans la situation présente (on le voit bien dans l’analyse que “Bonchie” fait de la situation opérationnelle d’Ukrisis où, tout en s’affichant antiSystème, il reprend à son compte la narrative du Système).

...Mais il est surtout antidémocrate et anti-Biden et trouve dans l’article de Friedman de quoi revenir à cette position qui, en parlant de l’Ukraine, alimente la politique intérieure des USA en prétendant nous expliquer le déroulement de l’étrange politique extérieure des USA.

« Alors que le voyage de Nancy Pelosi à Taïwan fait actuellement les gros titres de la politique étrangère, une guerre est toujours en cours en Europe de l'Est. L'invasion de l'Ukraine par la Russie continue de s'éterniser, les deux parties se contentant de petits gains dans différents secteurs. Cela rend évidemment certains à Washington, qui se croyaient assurés de sortir grands gagnants politiques de tout cela, nerveux quant à l'évolution possible de la situation.

» Selon cette position assez nouvelle, la Maison Blanche aurait décidé de se débarrasser du président ukrainien Zelenski. Cette révélation nous vient du New York Times et de son sténographe en général très conciliant avec la Chine, Thomas Friedman. [...]

» Ma lecture de cette affaire est assez simple : Comme c'est souvent le cas à Washington, notamment en Irak et en Afghanistan, les attentes de l'élite ne correspondent pas aux réalités du terrain. Lorsque la Maison Blanche a décidé de sanctionner la Russie et d’armer l'Ukraine, elle l'a fait en pensant naïvement que Vladimir Poutine subirait trop de pertes, se lasserait et rentrerait chez lui. Dans les semaines qui ont suivi le début de l'invasion, on a proclamé que la Russie était sur le point de s'effondrer en Ukraine, et l’orgueil de l’establishment de la politique étrangère a atteint son paroxysme après la sécurisation de Kiev.

» Mais cela ne s’est pas produit. Au lieu de cela, peut-être parce que Poutine estime qu’il a trop à perdre en reculant, la Russie a consolidé sa position à l’est tout en s'installant dans une longue guerre d’usure. Entre-temps, les coûts économiques pour la Russie ne se sont pas encore vraiment matérialisés, le rouble ne s’étant pas effondré comme prévu.

» En ce qui concerne le leadership de Zelenski, le fait que la guerre soit devenue plus ou moins une impasse n’est pas un échec. L’Ukraine est une nation plus petite et plus faible que la Russie, et le combat mené pour sa défense a été courageux. Empêcher Poutine de prendre Kiev et d’autres régions plus à l’ouest est une victoire majeure. Mais alors que les nations occidentales continuent d’injecter des armes de moindre qualité, il faut des soldats pour utiliser ces armes, et l’Ukraine n'a pas les effectifs nécessaires pour bouter la Russie hors de ses frontières.

» Ce n’est pas suffisant pour la Maison Blanche qui comptait sur le fait que l’embarras de Poutine serait une question politique clé en 2024. La Russie ne jouant pas le jeu, quelqu'un doit passer sous le bus. C'est de là que viennent ces fuites prétendant que Biden perd la foi en Zelenski. Vous n’entendrez jamais le président lui-même le dire publiquement, mais la Maison Blanche prépare ses excuses pour le cas où les choses seraient toujours au point mort dans un an... »

Il est assez difficile d’expliquer et de justifier la situation de la “politiqueSystème” telle qu’appliquée aujourd’hui par les USA. La meilleure approche possible, celle qui vous laisse l’esprit libre et le regard lucide, c’est de considérer qu’elle (la “politiqueSystème”) ne devient rien de moins qu’une “politiqueSystème-bouffe’, – ce qui deviendrait, vues les dimensions atteintes, un véritable nouveau concept définissant bien notre époque. Mesure-t-on la différence de climat entre hier,
...où l’on pouvait envisager réellement un affrontement militaire entre Chine et USA, du fait de la rocambolesque charge de cavalerie de la Speaker de 82 ans ? Et aujourd’hui,
... où il s’avère que toute l’importance doit être donnée à un article vieux de deux jours du gros Thomas Friedman, télégraphiste-en-chef du DeepState, qui nous annonce que Pelosi est une dingue sénile (tiens, tiens, tu quoque, grandma ?) et Zelenski un minus corrompu jusqu’à l’os et qui joue au chef de guerre en carton-pâte (ah bon, tu quoque l’artiste ?).

Quoi qu’on en veuille et quoiqu’on s’en moque, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une implacable vérité-de-situation : les deux (hier et aujourd’hui) sont également parties prenantes de la réalité et forment effectivement la réalité, parfaitement représentée par la notion de tragédie-bouffe.

 

Mis en ligne le 3 août 2022 à 18H55