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1226Finalement nous étions encore loin du compte dans nos Notes d’analyse du 3 juin 2014. Le président Poutine a marqué les esprits avec son interview, il a vu bien entendu le président français, le Premier ministre britannique, mais également la chancelière allemande Angela Merkel, puis à nouveau Hollande et Merkel dans une rencontre informelle lors des cérémonies de Normandie ; il a vu aussi, dans les mêmes circonstances et lors d’un entretien où il y avait quelque substance, le président ukrainien Porochenko ; enfin, quelques minutes avec Obama, toujours dans le même décor, parce que cela était inévitable, parce que lorsqu’on participe au même déjeuner on se rencontre. Les Européens ont donc voté avec leurs interprètes respectifs, au contraire d’Obama qui avait fait organiser différentes variations de parcours et de dîners pour éviter de se trouver face à Poutine, seul à seul disons, jeudi à Paris, et qui ne put l’éviter vendredi. Le site WSWS.org du 6 juin 2014 note à ce propos :
«Germany’s Merkel—who told a news conference, “This is not about threats …we want dialogue”—and British Prime Minister David Cameron also organized separate meetings with Putin. And Japanese Prime Minister Shinzo Abe told a Brussels news conference, “I’m hoping to continue dialogue with President Putin” and seemed to express regret that Putin wasn’t at the [G7] summit. Ben Rhodes, the White House deputy national security adviser, expressed Washington’s hostility to these bilateral meetings. “We’ve always said we don’t want different countries to be having conversations over the head of the government in Kiev about Ukraine’s future,” he told reporters.»
Le même texte donne un rapport complet sur les dissensions qui sont apparus lors du sommet ultra-rapide du G7 (le G8, puni pour cause de Crimée) à Bruxelles. WSWS.org rapporte des dissensions très nettes entre les USA et l’Europe sur la question des sanctions, avec une position très dure des USA, beaucoup moins du côté européen. Le texte donne également les indications nécessaires sur la mésentente qui se creuse entre la France et les USA à propos de la livraison des porte-hélicoptères classe Mistral à la Russie, mais aussi de la polémique autour de la banque BNP. Sur la question des Mistral notamment, le président-poire s’est trouvé un peu de raideur face à Obama, d’autant qu’il a le soutien d’Angela Merkel. L’épisode contribue à renforcer encore l’impression d’une fracture qui s’élargit entre les USA et l’Europe, non seulement à propos de la crise ukrainienne, mais également à propos des relations avec la Russie. Le texte de WSWS.org, qui ne s’intéresse guère aux questions internes et autres, donne effectivement cette impression, à partir d’une vision venue des USA et entérinant ainsi l’effet qu’auront outre-Atlantique ces quelques journées d’agitation diplomatique...
«The downsized summit—which included none of the guests and observers who commonly attend such events—failed, however, to adopt any concrete plans for the imposition of a new round of sanctions, pushed by the Obama administration. Cracks in the summit’s paper unity were apparent over the potentially severe economic impact these measures could have on Western European economies, compared to their relatively innocuous effect upon the United States... [...]
»...Divisions between Washington and its European allies emerged most nakedly in the clash between Obama and French President François Hollande over the French government’s decision to go ahead with 1.2 billion euro ($1.6 billion) sale to Moscow of two advanced Mistral warships... [...] Following the summit meeting, Obama told a press conference in Brussels, “I think it would have been better to press the pause button” on the Mistral sale. He added, “President Hollande so far has made different decisions.” Hollande dismissed any suggestion of canceling the sale. “If the contract was interrupted there would be a reimbursement,” he said. “There is no reason to enter into that process.” German Chancellor Angela Merkel supported Hollande’s position, arguing that, since the European Union had not approved any broader sanctions, there was no reason for France to cancel the contract.
»US-French relations were further soured over Obama’s public rebuff of an appeal from Hollande for a “reasonable” settlement of a criminal investigation brought by the US Justice Department against the French banking giant BNP Paribas over alleged violations of US sanctions against Sudan, Iran and Cuba. There have been reports that the bank could face a fine of over $10 billion, which Hollande has argued is “disproportionate” and could have a severe impact on France’s economy. Obama said he would do nothing to promote a more lenient settlement. “The tradition of the United States is that the president does not meddle in prosecutions,” he told reporters in Brussels.»
... Finalement, Obama était coincé et, entre deux portes ou presque, il n’a pu empêcher de s’arrêter pour dix minutes-un quart d’heure de babillage avec le Russe, vendredi, lors du déjeuner offert aux participants des cérémonies de commémoration. En général, l’Américain souriait de toutes ses dents, exceptionnalité oblige, et Poutine faisait plutôt dans l’ironie discrète et satisfaite. «Despite that there was no separate meeting [scheduled], the leaders of the two states had an opportunity to share their views on the situation in Ukraine as well as on crisis in the east of the country. Putin and Obama have spoken for the necessity to reduce violence and military actions», selon le secrétaire de presse de Poutine Pechkov. «It was an informal conversation — not a formal bilateral meeting», selon un conseiller d’Obama.
D’autres rencontres, plus importantes sans doute, ont émaillé les quelques heures de Poutine sur les plages de Normandie. Il y eut essentiellement sa rencontre avec un entretien improvisé mais serré, avec le président ukrainien et roi du chocolat Porochenko, ainsi qu’un entretien également informel avec Merkel et Hollande. Russia Today détaille tout cela, le 6 juin 2014, dans un rapport général sur la deuxième journée de Poutine en France, notamment avec le point de vue de l’intéressé. Le président russe a surtout insisté, bien entendu, sur sa rencontre avec le président ukrainien...
«Speaking at a press-conference later on Friday, Vladimir Putin told journalists that he welcomes Poroshenko’s “positive thinking” on resolving the Ukrainian crisis and his position that the bloodshed “should be immediately stopped.” He, however, did not give any details of the plan, saying that journalists should ask Poroshenko himself if they want to know more. [...] Putin has stressed that there should be negotiations between Kiev and eastern Ukraine, and Russia is not part of their domestic conflict. The Russian president has called on the Ukrainian government to move on “to substantive work” with the people. “No one has suggested anything concrete to the people of the region,” he said. Putin has also stressed that Kiev should immediately stop its “punitive operation” in the east of Ukraine. [...]
»In general, Putin said, he liked Poroshenko's attitude and if he follows this course, the conditions will be created for the development “of our relations, in other fields too.” “I can’t tell exactly how this will be implemented, but, in general, I liked the attitude. It seemed right to me and if this is what really happens, there will be conditions created to develop our relations in other fields too,” Putin said.»
... Certes, lorsque nous parlons de “solitude” de BHO (“un peu seulet”), il s’agit bien sûr d’une image symbolique, – mais l’on sait l’importance du symbolisme dans l’activité du système de la communication, et combien ce symbolisme restitue la vérité de la situation bien plus que les aménagements de narrative qui sont développées. Quantitativement, avec l’empressement des mondanités, la puissance du protocole et de la sécurité qui l’accompagne, les nécessaires obligations de préséance et autres signes d’allégeance de la plupart des invités pour le président de l’“indispensable et exceptionnel américanisme”, Obama était très occupé et pourrait être apparu comme ayant été tout sauf isolé. Mais la principale consigne que la direction américaniste avait fait savoir par le système de la communication était de maintenir le président russe dans une sorte, disons, d’“isolement moral”, comme le président US s’était employé à le faire en général, et cette consigne n’a pas été respectée. L’impression générale est au contraire que Poutine fut bien le centre d’intérêt et d’attraction de ces deux jours. Si cela est logique selon le simple bon sens des circonstances (rétablissement du contact avec Poutine après plusieurs semaines d’une offensive de communication d’une très grande puissance pour le diaboliser et le mettre à l’index de la soi-disant “communauté internationale”), cela constitue une performance et un événement important du point de vue, justement, du système de la communication. Certains processus politiques concrets ont même été lancés, notamment avec la France, pour ouvrir la voie à une éventuelle “normalisation” des relations ; on verra ce qu’il en adviendra, mais on ne peut pas ne pas voir que ce processus s’accompagne d’un certain rétablissement de la perception de Poutine dans les milieux de la communication à Paris (voir le 5 juin 2014), rythmé par un certain raidissement des relations entre la France et les USA avec au moins deux vilaines affaires pour faire naître des tensions, toujours au niveau de la communication, entre les deux pays.
On constate que nous parlons beaucoup de “la communication”. C’est elle qui régit tout dans ces relations au niveau des directions politiques, puisque c’est ainsi que le Système fonctionne, – et l’on sait aussi que cela peut amener des surprises, le système de la communication ayant une réputation justifiée de Janus. Mais il y a aussi une vérité de la situation plus directe et concrète, notamment en Ukraine et en Russie. On se bat en Ukraine orientale et, malgré l’extraordinaire assurance de la narrative occidentale sur l’“occupation” de cette partie de l’Ukraine par des myriades de soldats russes déguisées en citoyens ukrainiens russophones en révolte contre le pouvoir de Kiev, il s’agit bien d’attaques très violentes de la part de forces disparates lancées par Kiev, avec des pertes de civils et divers “crimes de guerre” (comme le cas d’un hôpital où une trentaine de combattants fédéralistes blessés ont été achevés par un détachement de Pravy Sektor). Justement, cet aspect “disparate” des forces de Kiev est un problème considérable (éléments militaires normaux, éléments du service de sécurité SBU, “garde nationale” dont le recrutement est imprécis, éléments extrémistes type Pravy Sektor, éventuellement des mercenaires type Blackwater/Akademi, voire des agents étrangers, essentiellement de services US, etc.) ; s’ajoute à cela l’organisation elle-même imprécise et complètement improvisée des russophones fédéralistes, pour créer une situation de désordre général dans cette zone de l’Ukraine orientale, situation par définition difficile à contrôler, puis éventuellement à modifier selon la décision d’éventuelles autorités formelles. Ainsi, nul n’est capable de dire si le non moins éventuel “bon plan” de Porochenko, tel que Poutine en a avancé l’hypothèse, pourra être appliqué.
Au reste, Porochenko et Poutine eux-mêmes sont-ils libres de leurs décisions et de leurs actes ? La lecture régulière de The Vineyard of the Saker (voir le 30 mai 2014) en fait douter. Porochenko a quelques “parrains” américanistes, avec diverses influences de type-neocons/R2P, dont on sait que l’objectif est une déstabilisation de la Russie, passant par une situation “forçant” à une intervention russe en Ukraine orientale qui précipiterait une tension antagoniste avec le bloc BAO. De ce point de vue, Poutine est très loin d’être à l’aise, parce que de plus en plus serré par une pression de plus en plus furieuse devant les événements en Ukraine orientale, contre la population russophone, de la part de l’opinion publique et du monde médiatique, – ces choses existent aussi en Russie, indépendamment du pouvoir. Saker rend compte régulièrement de courriers qui l’attaquent parce qu’il défend la position tactique de Poutine d’éviter autant que faire se peut l’intervention. Le 6 juin 2014, il donne une analyse de ce qu’il perçoit de la pression médiatique en Russie (pour une intervention) et de la position délicate de Poutine...
«As I said above, my personal feeling [is] that [...] there is a gradual coalescing of anger and determination taking place on all levels of the Russian society which will eventually result in a Russian military intervention against the Ukrainian death squads in Novorossia.
»All this is to make the following point: when I wrote yesterday that the “crazies”, as I called them might, well get what they want (a Russian military intervention) – I really meant it. I still think that this would be very bad for Russia, the Ukraine and Europe, but that does not mean that I am oblivious to the fact that it might happen, very soon in fact. My sense is that Poroshenko or, more accurately his puppet-masters in Washington, have just a few days left to stop the so-called “anti terrorist operation”. From the recent meeting in France, I get mixed messages. Merkel and Hollande probably would prefer that this insanity stop now. But Obama and his puppet-masters? Simply put, and no matter how hard Putin might try, there are provocations which the Kremlin simply cannot ignore.»
Les commentateurs vite enthousiastes des TV locales-globalisantes, de la presse-Système, à Paris notamment, parlent vite de “diplomatie”. Jusqu’à nouvel ordre, nous n’avons vu, en France, les 5 et 6 juin, que de la communication. Bien entendu, la communication est une force extrêmement puissante aujourd’hui, la plus puissante de toutes pour son influence sur les psychologies, – mais, justement, nul ne peut préjuger dans quel sens cette influence donnera tous ses effets... Cela, c’est la vérité de la situation qui en dispose : Poutine triomphant du point de vue de la communication à Paris et en Normandie, et même parvenant à mettre en évidence les divisions entre complices du bloc BAO, cela peut signifier une éventuelle exaspération de ses partisans, tant chez les Ukrainiens russophones que dans son opinion publique en Russie qui y verraient un accommodement pour éviter l’intervention en Ukraine alors que les violences se poursuivent. Et nul ne peut dire laquelle de ces deux tendances l’emportera, pour conduire Poutine à telle ou telle orientation.
Mis en ligne le 7 juin 2014 à 08H04
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