De la surpuissance à l’autodestruction

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De la surpuissance à l’autodestruction

• Une description de la démocratie comme modèle accompli et irrésistible de la démocratie. • Entre l’individualisme devenu fou et opposant tous les “citoyens” entre eux et le simulacre infâme de toute action collective.

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28 août 2025 (16H30) – Ce que nous propose cette situation de GrandeCrise, c’est un tableau extrêmement pragmatique, et non pas réaliste, – la différence entre les deux mots est énorme, – selon les canons de l’art pompier (“art académique” si l’on veut être réaliste selon la voie officielle). C’est une description de la démocratie comme modèle de la modernité suivant précisément ce qu’elle est devenue, et pourquoi, et d’une façon si écrasante et si évidente que l’on en vient à se demander si la démocratie “comme modèle de la modernité” n’existât jamais, si elle ne fut pas toujours un leurre dissimulé dans un simulacre et enrobée dans une situation de constante manipulation. Cette analogie de la formule de Churchill faite en 1939 sur le pouvoir en Union Soviétique (« un rébus enveloppé de mystère au sein d'une énigme ») est ici bien plus justifiée, au point que l’on peut dire qu’une appréciation réaliste de la démocratie selon ses thuriféraires n’a jamais existé et que, finalement le pragmatisme est inutile. Il suffit d’être réaliste, naïvement réaliste, pour comprendre, non pas ce qu’est devenue la démocratie “comme modèle de la modernité”, mais ce qu’elle est fondamentalement, dès l’origine.

C’est-à-dire que le texte détaillé et enjoué de Andrea Zhok ne nous apprend rien mais vient toujours à point, avec ses remarques, ses rappels, ses points d’éclairage, pour nous conforter dans notre jugement sur l’évidence, – et alors s’en remettre à notre devoir de chercher les meilleurs moyens de la lutte essentielle de ces temps exceptionnels et sublimes.

La démocratie “comme modèle de la modernité” est fondamentalement appuyée sur l’individualisme, dont la vertu sans fin est depuis tant de temps explicitée par une myriades de vertus secondaires renvoyant à l’homme idéal, colocataire de Dieu prêt à confisquer tous ses biens usurpés après expulsion, que nous sommes tous promis à devenir. Là-dessus, la démocratie “comme modèle de la modernité” est une maîtresse inaltérable et absolument collective, sorte de putain infiniment vertueuse comme antithèse de notre vertueuse ‘Putain respectueuse’ sartrienne, comblant tous nos désirs du point de vue collectif dans toute son égale myriade de vertus (bien public, « tempérance morale » de nos représentants, « envergure idéale » de la politique qui leur est dictée par la sacrée « main invisible du marché », climat idéal et stabilisé, antiracisme enregistré sur l’acte de naissance collectif, carte du “camp du Bien” à jour de cotisation).

« Je suis moyennement démocrate », disait (titre d’un de ses derniers livres) Vladimir Volkoff. Nous qui l’avons fréquenté durant quelques mois, voire deux ans, alors qu’il avait créé sa pièce ‘Yalta’ à Bruxelles, en 1984, savions bien que son ironie extrêmement sarcastique et nullement exempte d’une méchanceté habile s’exprimait surtout à propos des choses que le système occidental jugeait sacrées et sacro-saintes. Bref, pour ce cas, il avait raison, lui qui jugeait la “moyenne” comme la chose la plus détestable et haïssable du monde, lui préférant les cavalcades de Cosaques.

Quant à Zhok, la description qu’il fait de l’état actuel de la démocratie “comme modèle de la modernité”, l’affichage hurlant de ses contradictions et de ses attentats à toute idée de justice et de bonne entente dans les sociétés nous conduisent à renforcer notre jugement sur l’effondrement crisique non seulement qui nous attend, mais qui se déroule actuellement sous nos pieds et sous nos yeux. Ainsi est réalisé le modèle parfait de la modernité, résumé dans notre équation favorite : surpuissance = autodestrruction.

Le texte d’Andrea Zhok a été publié le 20 août 2025 sur le site ‘sinistrainrete.info’, et sa traduction sur le site ‘euro-synergies.hautetfort.com

dde.org

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L'échec historique des démocraties libérales

« L'égoïsme individualiste promu par le libéralisme a produit des représentants autoréférentiels, la privatisation des profits et l'impuissance des peuples, du krach subprime au génocide palestinien délibérément ignoré par les médias dominants. La volonté populaire est vidée de son sens, tandis que les médias et les institutions répriment toute dissidence. Un système oligarchique déguisé se consolide ».

De la « crise des subprimes » au génocide palestinien actuel retransmis en direct dans le monde entier, ce qui frappe, c'est la manifestation flagrante de l'échec historique des démocraties libérales.

Avant d'aborder ce sujet, il convient de réfléchir un instant à ce qui rendrait, en principe, un régime démocratique qualitativement meilleur que les alternatives autocratiques ou oligarchiques.

L'avantage théorique des systèmes démocratiques réside dans leur plus grande souplesse et leur réactivité potentielles pour répondre aux besoins de la majorité. En d'autres termes, un système démocratique peut être considéré comme comparativement meilleur dans la mesure où il permet une communication facilitée entre le haut et le bas, entre les individus les moins influents et les individus plus influents, entre ceux qui ne détiennent pas le pouvoir et ceux qui le détiennent.

Les systèmes autocratiques ou oligarchiques présentent le défaut de faire de l'écoute des sans pouvoir un choix facultatif pour ceux qui sont au sommet. En l'absence de systèmes de communication efficaces de bas en haut (il existait des choses comme les « audiences royales », mais elles avaient un caractère manifestement improvisé), il faut compter sur l'intérêt et la bienveillance des dirigeants pour que les intérêts du peuple soient pris en compte.

Or, il serait erroné de penser que de telles situations d'intérêt et de bienveillance de la part des dirigeants ont été rares dans l'histoire, mais les éléments d'arbitraire et d'aléatoire étaient évidents, et un empereur, un roi ou un souverain éclairé pouvait être remplacé par un autre insensible, obtus, belliciste, etc.

L'avantage comparatif du modèle démocratique semble évident, mais il est important de comprendre qu'il repose sur UN SEUL ET UNIQUE POINT, à savoir la grande perméabilité de la communication entre le haut et le bas et le contrôle du bas vers le haut.

Si l'on supprime cet élément, d'autres facteurs, tels que la linéarité décisionnelle, peuvent faire pencher la balance en faveur des gouvernements autocratiques, qui ont toujours l'avantage de pouvoir mettre en œuvre plus facilement que les démocraties les décisions du pouvoir exécutif (c'est la raison pour laquelle, dans les états en guerre, même les systèmes démocratiques prévoient la centralisation du pouvoir au sommet de la hiérarchie décisionnelle).

Cependant, la démocratie idéale est la démocratie directe, qui ne peut toutefois fonctionner qu'à une échelle limitée, où la discussion personnelle et la décision publique peuvent avoir lieu directement et efficacement.

Aujourd'hui, grâce à certains supports technologiques, il serait peut-être possible d'étendre bien au-delà des dimensions classiques de l'Agora le nombre de personnes impliquées dans une forme de démocratie directe, mais il est illusoire de penser que l'on puisse se passer d'une médiation lorsque les chiffres impliqués sont de l'ordre de millions. C'est pourquoi les démocraties modernes sont des démocraties représentatives.

Et c'est là qu'intervient un problème bien connu de nature éthico-politique: pourquoi un représentant élu devrait-il défendre les intérêts de ceux qui l'ont élu ?

Il est important de comprendre qu'un contrôle capillaire par la base des représentants est techniquement impossible.

L'asymétrie d'information entre ceux qui gèrent le pouvoir et ceux qui doivent joindre les deux bouts est incompressible.

Pour ceux qui détiennent le pouvoir, il n'est pas difficile de prétendre que les raisons de leurs actions sont différentes de celles qui les motivent réellement (« il suffit d'une pincée de social », disait récemment un prétendu défenseur des revendications populaires).

Et même lorsque la dissimulation finit par être découverte, les possibilités de revanche sont extrêmement limitées: après 4 ou 5 ans, on peut s'abstenir de le soutenir.

Quelle peur !

Cette dérive ne peut être limitée que par la tempérance morale de l'élu, par son envergure idéale.

Mais nous sommes ici confrontés à un problème colossal spécifiquement lié aux démocraties LIBÉRALES.

Le libéralisme, abstraction faite des significations secondaires et peut-être louables que l'on peut tirer du chapeau de l'histoire, est essentiellement une idéologie qui encourage l'égoïsme individualiste et la compétition de tous contre tous.

Il le fait systématiquement.

C'est la première et unique théorie morale qui affirme que la poursuite individuelle de ses propres intérêts, sans conditions, finira toujours par profiter à tous (la « main invisible » du marché).

Cette théorie est manifestement une idiotie nuisible.

Dans une atmosphère culturelle libérale, qui promeut l'égoïsme individuel et la concurrence illimitée, tout en dépréciant toute forme de valeur objective, toute valeur de devoir moral et tout fondement idéal et religieux, il n'y a aucune raison au monde de s'attendre à ce qu'un représentant élu cherche autre chose que ses propres intérêts.

Bien sûr, tout le monde ne suit pas le canon libéral, mais celui-ci est statistiquement prédominant dans les démocraties libérales.

Ce qui en découle est banal: plus la vie d'une démocratie libérale se prolonge, plus les vestiges de croyances éthiques différentes ont tendance à s'estomper, et plus une classe de représentants autoréférentiels, à la solde du plus offrant et essentiellement de mèche entre eux pour préserver leurs positions de pouvoir, fait son apparition.

Il n'y a donc aucun mystère à ce qu'un système continue de fonctionner dans lequel les profits sont privatisés et les pertes imputées au public (voir la crise des subprimes), où, depuis le référendum grec de 2015 jusqu'à l'actuel Rearm Europe, la volonté populaire ne compte pour rien, où des foules immenses peuvent manifester pendant des années contre le génocide palestinien tandis que les chefs d'État prennent des selfies avec Netanyahu, etc.

Souvent, on ne remarque même pas ces divergences d'intérêts et de valeurs, car les chiens de garde de l'« information publique » parviennent à façonner une opinion publique fatiguée et distraite (tout le monde n'a pas le temps de mener des enquêtes privées sur chaque information).

Mais même lorsque cette distance entre les intérêts du plus grand nombre et les actions de la classe dirigeante apparaît tout à fait flagrante, rien ne change.

Aujourd'hui, le spectacle de l'impuissance absolue des peuples libéraux-démocrates triomphe sur toutes les chaînes.

Et pendant ce temps, sous les formes les plus éhontées, les « institutions » s'efforcent de faire taire même les quelques éléments résiduels de perturbation, de protestation dans la rue, de contestation sur les réseaux sociaux.

Et les « chiens de garde » avec leur journal et leurs slogans dans la gueule vous expliquent que le harcèlement moral et la diffamation ont lieu au nom de l'inclusion; que la censure et les sanctions ont lieu au nom de l'information; que les charges des matraqueurs et les jets des canons à eau ont lieu pour défendre la sécurité publique; que les provocations et la course aux armements sont nécessaires au nom de la paix ; etc. etc.

Andrea Zhok