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6612On devra désormais compter avec le Général (à la retraite depuis août 2014) Michael Flynn, ancien de le 82ème division aéroportée, puis un des participants de la création et de la mise en place du JSOC qui est le commandement intégrant toutes les forces spéciales et dont il fut beaucoup question dans des termes polémiques à une certaine époque (voir notamment le 12 mai 2011 et le 5 août 2011). Flynn a été enfin, pour couronner sa carrière, directeur de la DIA de 2012 à 2014 et c’est lui qui eut la responsabilité des fameux documents de la DIA rendus publics en juin dernier, et avertissant l’administration Obama que l’action de soutien aux forces anti-Assad allait provoquer des rassemblements de forces islamiques qui pourraient déboucher sur la création d’une entité puissante, qui pourrait prendre la forme d’un véritable “État terroriste”, – ce qui est fait, effectivement sous la forme de Daesh/EI. Le Général Flynn a donné une interview à Aljazeera où il détaille cette affaire, en même temps qu’il donne son avis général sur toute la politique US depuis l’attaque de l’Irak, qu’il condamne en des termes extrêmement clairs.
L’interview, très longue (47 minutes) est visible sur YouTube, à la date du 31 juillet 2015. Nous serions bien en peine d’expliquer pourquoi les commentaires les plus intéressants apparaissent dans la période actuelle, dix jours plus tard, sinon par l’habituelle circonstance qui fait que la presse-Système préfère ne pas donner une trop forte publicité à des déclarations mettant en cause le Système sur des points de très forte polémique. (On ne doit pas oublier également que Aljazeera est une chaîne qatarie, qui appartient au gouvernement du Qatar qui a lui-même une politique active en Syrie. Les déclarations de Flynn sont à la fois avantageuses pour lui en le dégageant de sa responsabilité centrale d’avoir favorisé l’émergence de Daesh, et désavantageuses pour lui dans la mesure où il suit une politique similaire à celle des USA.) Quoi qu’il en soit, on trouvera sur RT-français un résumé en français de l’intervention de Flynn (le 10 août 2015). Le rapport le plus intéressant, tout en étant assez court, est celui que fait MK Bhadrakumar, le même 10 août 2015. On en donne ici les extraits les plus significatifs...
• D’une façon générale, les jugements de Flynn sur l’action de la politique extérieure des USA sont donc extrêmement sévères et concernent absolument toutes les initiatives prises dans ce qu’on nomme la “guerre contre la Terreur” depuis 2001. «There could only be a few, if any, US Army generals with such deep and extensive knowledge of operational intelligence and special operations in Iraq and Afghanistan as Michael Flynn, who retired as the director of the Defence Intelligence Agency [DIA] just one year ago. Originally assigned to the famous 82nd Airborne Division, his was a career almost entirely dedicated to military intelligence and special operations. Added to that, Gen. Flynn has a well-earned reputation of being an iconoclast. Remember his extraordinary report of January 2010 on the colossal failings of the hydra-headed US intelligence community in Afghanistan?
»All of which, indeed, makes his interview with Al Jazeera last week regarding the US’ fight against the Islamic State very riveting. Let me put down the key points Gen. Flynn made: * The war in Iraq was a mistake; it led to the rise of the Islamic State. * The US should be held accountable for what happened. History is not going to be kind. * The “entire system” is guilty of war crimes in Iraq and Afghanistan. * The drone attacks have been a ghastly mistake, as they created more terrorists. * Something is wrong with the US’ policies and strategies insofar as the US invested more in conflicts and not in finding solutions to conflicts. That is why terrorism is proliferating. * President Barack Obama should have a different approach — although there are people in the US who believe in “perpetuating conflicts for rest of time”.
• Puis Bhadrakumar aborde la question spécifique du processus de la création/de la constitution de Daesh/EI. Le passage est court mais il nous restitue sans aucun doiute les convceptions du Général Flynn qui se pose pour ce qu’il était : un dirigeant du renseignement, qui informait les autorités civiles, qui leur donnait des analyses voire des conseils, mais n’avait aucune autorité dans ce qui était finalement décidé... Flynn «said he had argued against the US sponsoring foreign militants in Syria, but of no avail. The reason was that the US and its allies were sponsoring terrorists to put pressure on the Syrian government. Of course, the stunning part of the interview was his frank admission that as far back as 2012, the US administration knew about the ascendance of the Islamic State [IS] in Syria, but it was a “willful decision” by the White House to use it to further the ‘regime change’ agenda in that country. Gen. Lynn was associated with an internal DIA study that was recently released, which shows that the Obama administration knew that the actions of “the West, Gulf countries and Turkey” in Syria would create a virulently extremist group like the IS.
»He said he had studied a DIA memo in 2012, which predicted the West’s backing of the IS and was based on very clear intelligence. When the interviewer asked him whether the Obama administration turned a “blind eye” to his analysis, this was Gen. Flynn’s chilling reply: “I don’t know that they turned a blind eye, I think it was a decision. I think it was willful decision… It was a willful decision to do what they’re doing”. He said he had argued against the US sponsoring foreign militants in Syria, but of no avail. The reason was that the US and its allies were sponsoring terrorists to put pressure on the Syrian government.»
• La transcription du passage essentiel de l’interview est à cet égard sans la moindre ambiguïté, telle que nous la donne RealClairPolitic (le 10 août 2015), qui reprend l’entièreté du document d’Aljazeera où Mehdi Hasan interroge Flynn :
Hasan : «You are basically saying that even in government at the time you knew these groups were around, you saw this analysis, and you were arguing against it, but who wasn’t listening?»
Flynn : «I think the administration....»
Hasan : «So the administration turned a blind eye to your analysis?»
Flynn : «I don’t know that they turned a blind eye, I think it was a decision. I think it was a willful decision.»
Hasan : «A willful decision to support an insurgency that had Salafists, Al Qaeda and the Muslim Brotherhood?»
Flynn : «It was a willful decision to do what they’re doing.»
• Bien sûr, on sait depuis deux mois par les documents déclassifiés de la DIA que les USA savaient depuis 2012 qu’un “État Islamique” serait en voie de constitution à partir des mesures qu'ils prenaient. En fait, on le savait indirectement depuis bien plus longtemps, justement depuis 2012 ... On doit rappeler que cette possibilité était déjà évoquée publiquement en 2012, par un article fameux paru sur le site du CFR (Council of Foreign Relations), qui avait fait à l’époque un certain bruit. L’auteur, le Senior Fellow CFR Ed Husain constatait la faiblesse des “rebelles modérés” et préconisait, sans doute à partir de sources de l’administration utilisant cette nouvelle comme un “ballon d’essai”, de renforcer et d’utiliser les groupes islamistes pour abattre le régime syrien et liquider Assad. Déjà, l’on parlait du but des islamistes de constituer un Daesh/EI dans une partie de la Syrie, le “plan” étant alors de les utiliser jusqu’à la chute d’Assad et ensuite de les neutraliser pour les empêcher de créer leur entité (voir le 8 août 2012) :
«The Syrian rebels would be immeasurably weaker today without al-Qaeda in their ranks. By and large, Free Syrian Army (FSA) battalions are tired, divided, chaotic, and ineffective. Feeling abandoned by the West, rebel forces are increasingly demoralized as they square off with the Assad regime's superior weaponry and professional army. Al-Qaeda fighters, however, may help improve morale. The influx of jihadis brings discipline, religious fervor, battle experience from Iraq, funding from Sunni sympathizers in the Gulf, and most importantly, deadly results. In short, the FSA needs al-Qaeda now. […]
»Al-Qaeda is not sacrificing its “martyrs” in Syria merely to overthrow Assad. Liberation of the Syrian people is a bonus, but the main aim is to create an Islamist state in all or part of the country. Failing that, they hope to at least establish a strategic base for the organization's remnants across the border in Iraq, and create a regional headquarters where mujahideen can enjoy a safe haven. If al-Qaeda continues to play an increasingly important role in the rebellion, then a post-Assad government will be indebted to the tribes and regions allied to the Jabhat. Failing to honor the Jabhat's future requests, assuming Assad falls, could see a continuation of conflict in Syria.
»Thus far, Washington seems reluctant to weigh heavily into this issue. […] But the planning to minimize al-Qaeda's likely hold over Syrian tribes and fighters must begin now as the Obama administration ramps up its support to rebel groups...»
... Aussi, le véritable intérêt de l’intervention du Général Flynn est sans aucun doute de détailler le comportement de l’administration par rapport aux informations et aux analyses que la DIA lui faisait parvenir. Il apparaît que l’administration était toute entière braquée sur un seul but, d’ailleurs comme la plupart des pays alliés du bloc BAO engagés dans la crise syrienne, qui était la liquidation du régime syrien, et plus précisément la liquidation d’Assad. Il ne s’agit même pas d’un but stratégique ou de tout autre type, mais d’une décision suivant des actes de communication massifs (on le vit notamment aux diverses et grotesques performances de notre ministre français des affaires étrangères), impliquant une sorte de vendetta à partir d’une logique relevant toute entière de ce que nous avons nommé depuis déterminisme-narrativiste. Flynn indique bien qu’il n’y avait aucun plan stratégique, aucun “complot” d’aucune sorte, devant une perspective que la DIA annonçait, sans grand mérite d’ailleurs, comme évidemment catastrophique. La communication primait tout, et la communication c’était le président Obama ayant publiquement et personnellement dénoncé Assad, parfois dans des termes s’apparentant justement à une situation de vendetta de la part d’un gangster, et donc il fallait tout faire pour “avoir la peau” d’Assad.
Les révélations de Flynn, qui montrent un chef du renseignement US atterré devant l’irresponsabilité des actes de sa direction civile, renforcent notre conviction que toute la politique du bloc BAO, c’est-à-dire l’opérationnalisation de la “politique-Système”, est faite à partir de concepts primaires, selon une vision extraordinairement étroite, sans aucune vision stratégique, avec comme principale assise la communication autour d’un narrative évidemment tout aussi primaire et, particulièrement pour les USA, le moteur d’un hybris dévastateur dont le porte-drapeau et le porte-voix principal est dans ce cas le président avec sa dialectique courante, pompeuse et furieuse. Il n’y a aucune construction stratégique ni la moindre préoccupation de cohérence opérationnelle, y compris pour une quelconque hégémonie, mais une gestion effrénée et hystérique de l’apparence et des évènements immédiats. Les conséquences à terme, même lorsqu’elles sont détaillées dans un rapport de la DIA, sont considérées comme sans intérêt parce que sans rapport ni intérêt immédiats en termes de communication, notamment pour le statut de l’équipe dirigeante et du premier parmi les dirigeants.
Ce que révèle Flynn est sans doute ce qu’on pouvait imaginer de pire, et dont d’ailleurs divers commentateurs ont avancé l’hypothèse. Une gestion au jour le jour, une absence complète de considération pour les intérêts qu’on est censé protéger sur le terme, un sacrifice complet de toute mesure et de toute rationalité au profit d’un désordre sans cesse grandissant et qui ne cesse d’imposer sa loi. Le résultat, pour l’instant, bien plus qu’hier et bien moins que demain naturellement, se nomme Daesh/État Islamique ; c’est-à-dire bien plus qu’une avancée quelconque dans une bataille donnée, bien plus qu’une victoire décisive de tel ou tel parti, bien plus qu’une ambitions secrète qui se découvre, bien plus qu’une étape d’un plan secret conçu de main de maître, bien plus et de façon complètement différente que toutes ces situations normales de conflits, – le résultat se récite selon un couplet classique, – du désordre, encore du désordre, toujours du désordre...
Dit en termes rationnels et assez modestes de la part de l’homme du renseignement, du Général-baroudeur confronté à des conditions extraordinaires et à des directions-Système qui ont abandonné depuis longtemps toute prétention au contrôle des choses, et au désordre qui domine tout, – cela donne ceci... Il s’agit des réponses que Flynn donnait à une interview qui était encore bien “sage” par rapport à celle d’Aljazeera, faite la veille de son départ à la retraite. Il s’agit plus précisément des extraits des réponses aux premières questions de James Kittfield, de Breaking Defense, le 7 août 2014...
Kittfield : «...Avez-vous jamais vu autant de crises survenant simultanément ?»
Flynn : «Non. J’arrive chaque matin dans ce bureau ... et je passe deux à trois heures à lire les rapports de renseignement. Franchement, je vous dirai que ce que je vois chaque jour est l’environnement international le plus incertain, le plus chaotique et le plus confus de tout ce que j’ai vu dans ma carrière. Il y a eu probablement des temps plus dangereux, comme lorsque les Nazis et les Japonais tentèrent de dominer le monde, mais vraiment nous nous trouvons dans une époque de ce degré de dangerosité. [...] Ce que je vois, c’est la géographie stratégique et les frontières sur la carte du monde qui changent littéralement sous nos yeux. Ce changement est sans cesse en train d’accélérer à cause de l’explosion des médias sociaux. Et nous, dans la communauté du renseignement, nous essayons d’y comprendre quelque chose...»
Mis en ligne le 12 août 2015 à 11H43
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