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446004 novembre 2018 – Voici quelques remarques en marge de la série en cours d’articles sur la Grande Guerre dans ce Journal-dde.crisis. Une réaction d’un de nos plus prolixes lecteurs que la digression ne décourage pas (Voir “Grande envolée” dans le Forum de 14-18 en diagonale) m’en donne l’occasion.
Peut-être devais-je inconsciemment attendre cette occasion pour insister sur l’aspect fondamental qui va suivre... Il s’agit de mieux faire comprendre mon intérêt considérable pour la Grande Guerre, qui n’a rien à voir avec les passions habituelles dont on débat à ce propos : nationalisme, patriotisme, “guerre démocratique”, “boucherie insensée”, etc. Même si tout cela est présent dans tout regard qu’on jette sur ce conflit, cela n’est en rien essentiel ni déterminant pour moi, en rien et en aucune façon.
L’“aspect fondamental” qui explique mon “intérêt considérable” reflète ceci dans mon esprit que 14-18 est beaucoup plus important, beaucoup plus “moderne” au sens ironique de la remarque, que 39-45 qui est le fruit de tant d’exégèses, passions, arguments, de nos postmodernes. Dans leur bouillie mémorielle dont peu de chats feraient leur pitance, pour faire correspondre le passé à notre présent totalitaire, 39-45 est un complet simulacre pour leur narrative ; mais 14-18, beaucoup plus dangereux, redoutable torpille, attaque inattendue, traquenard par complète surprise, et par-dessus tout argument extrêmement “moderne” pour pulvériser l’argumentation de la postmodernité en faveur d’elle-même.
...Tout cela parce que la Grande Guerre introduit directement notre Grande Crise d’Effondrement du Système, venue par elle directement à nous, sans intermédiaire, dans toute sa nudité sordide, déformée, massacrée, totalement œuvre du démon, absolument accusatrice de ce que nous sommes devenus... “Nous” comme forme de style, c’est-à-dire elles les élites-Système d’aujourd’hui, – comme caricature diabolique des élites sacrifiées de ces autres temps, – rejetons complices absolument du machinisme massacreur de 14-18. Bref, 14-18 complètement d’actualité, rien de plus actuel, de plus révélateur, voilà mon argument structurel central.
(C’est pour cela que, ces dernières années, d’après ce que je sais d’un ami très-proche de l’équipée-2006 qui s’y est rendu il y a quelques jours, la mafia-mémorielle, les “escadrons de la mort diabolique” de la postmodernité, ont minutieusement et certes sciemment déformé, défiguré le champ de la bataille de Verdun en y introduisant tant d’éléments de nos piètres simulacres de querelles postmodernisées. [Verdun méritait bien un rappeur pour la commémoration de 2016, à l’image des autorités de la direction française ; je crois qu’il ne l’a pas eu et c’est grande pitié pour la haute culture.] Il importait de déformer autant que faire se peut, de rendre “monstrueux” le souvenir de Verdun parce que 14-18 désigne en pleine lumière l’enjeu de la bataille que nous livrons aujourd’hui : débat infiniment moderne, vrai-antiSystème comme zombies-Système, etc.)
En un mot et pour mon compte, on ne peut rien comprendre du fondamental de ce qui se passe aujourd’hui si l’on ne comprend pas dans ce sens ce que fut le sens de la Grande Guerre. Elle est la clef du verrou de l’esprit, qu’on doit ouvrir pour offrir à cet esprit la raison réhabilitée par l’apport de l’intuition.
Cela écrit et bien compris j’espère, je m’attache à l’argument qui tend à opposer Allemands et Français, avec les Allemands en responsables fondamentaux de la mécanisation du conflit. Il n’y a rien de pareil qui soit affirmé sous ma plume, en aucune façon, et nullement pour récrire l’histoire et exalter l’amitié franco-allemande selon les consignes du Parti-Système mais plus simplement parce que c’est là l’essence même de la thèse. Je fais de l’Allemagne un “prête-nom”, un porteur d’eau de l’entreprise diabolique, ordonnée par le diable, pour ce pays qui fut également le passeur de la modernité déstructurante installée au cœur de l’Europe dans les années 1890-1914. Je prends bien garde de mettre tout cela, pour ces réflexions présentes sur 14-18, hors des nationalismes, des conflits raciaux et autres folies sociétales, et toutes les choses de ce genre ; même si cela eut et a lieu dans notre temps, c’est un débat selon d’autres arguments, hors-14-18, accordé aux frivolités-simulacres du temps présent.
Voilà pris un grand soin de dire que tout ce qui concerne l’acte diabolique initial, fondateur et quasiment exclusif pour la période de la Grande Guerre, et qui en fit la catastrophe qu’elle fut, se trouve dans la modernité, son technologisme et sa mécanisation, bref encore une fois, – dans le Progrès qui est le responsable direct des souffrances et des morts par millions de la Grande Guerre.
Des citation à ce propos des textes déjà parus...
• Dans14-18 en diagonale
« Il m’importe de renforcer l’argument de la mécanisation de la guerre comme cause essentielle de sa cruauté, de son caractère de catastrophe effroyable, de sa durée par conséquent ; la cause est ainsi transcendée ; l’argument de la mécanisation de la guerre devient la cause fondamentale et exclusive du choc que les événements infligèrent aux psychologies collectives en même temps qu’aux corps individuels, et au-delà d’eux, car en cette occurrence les vivants (les survivants) doivent souffrir autant que les morts. Pour réduire la démonstration à une image, je propose celle-ci qui démontre a contrario: si les mitrailleuses et l’artillerie dans leur puissance d’arrêt et de fixation sanglante n’avaient pas existé, la guerre n’aurait jamais eu le caractère sanglant de la tuerie qui a perdu le sens qu’elle eut, elle n’aurait pas duré le temps très long qu’elle dura, elle n’aurait pas provoqué directement ou indirectement les événements politiques et sociaux déstabilisateurs et déstructurants qu’elle provoqua à cause du temps qu’elle dura et de la tuerie qu’elle provoqua… »
Plus loin : « ...L’autre guerre est celle de la France contre la mécanisation représentée pour ce cas par la puissance mécanique allemande, — et je veux dire en disant “pour ce cas” que l’Allemagne n’est dans ce cas qu’un prête-nom. C’est cette guerre-là qui m’intéresse parce que c’est elle qui interprète et nous restitue les grandes tendances de l’Histoire, parce qu’elle est d’abord psychologie pure transcendée. »
• Et dans le texte sur les élites : « La poutre-maîtresse avait été brisée, comme le reste des structures affreusement blessées, dans la terrifiante catastrophe qu'imposèrent à l'Europe mère de la modernité les technologies modernes(l’artillerie, les mitrailleuses, etc., – le Progrès en un mot). »
• Et dans celui sur Notre centenaire
« ...et pour moi encore, la Grande Guerre est et ne cesse de se conforter dans mon esprit comme une étape fondamentale de la Grande Crise dont nous vivons aujourd’hui l’ultime paroxysme qui est celui de l’Effondrement du Système. »
« ...la marque enfin de la Grande Crise de la “civilisation” elle-même puisque, comme je la conçois, la Grande Guerre est bien plus le signe annonciateur du suicide (l’équation surpuissance-autodestruction) de cette civilisation devenue avec le “déchaînement de la Matière” contre-civilisation du feu que l’habituel “suicide européen” dont on parle. »
Pour en terminer là-dessus, je dirais très précisément que cette France qui fut d’abord et au moment qui importait pour le symbole de la chose, dans la chronologie du conflit telle qu’on l’observe, l’adversaire total de la mécanisation imposée par la modernité, en devint ensuite la plus formidable utilisatrice. En 1918, son armée était la meilleure du monde, la plus avancée, la plus modernisée et la plus souple, un instrument absolument sans égal. Mais ce n’est plus notre propos : après avoir marqué jusqu’au suprême affrontement son opposition à la modernité (le Système) mais évidemment sans la vaincre, il restait la France face à la guerre, et elle ne pouvait être gagnée que grâce à la modernité ; c’était un arrangement avec les termes de la situation du monde, une posture tactique.
L’esprit survécut à cet emprunt qui n’engageait en rien la conviction (l’opération se renouvèlera à plusieurs reprises ensuite, jusqu’à la fracture terrible du basculement de l’ère du trio monstrueux et diabolique Sarko-Hollande-Macron)... On voit ce comportement lorsqu’on constate qu’après l’avoir emporté grâce à l’armée la plus moderne et la plus efficace du monde qui était celle, transformée, de la France en 1918, – et nullement grâce aux Américains, stupid !– une très puissante école intellectuelle de critique radicale et révolutionnaire de l’américanisme, de l’américanisation du monde, c’est-à-dire de la modernité, etc., se développa dans les années 1919-1934 en France, de Paul Valéry, André Siegried, Lucien Romier, Luc Durtain, Gérard de Catalogne et même le brave Duhamel, jusqu’aux révolutionnaires Robert Aron-Arnaud Dandieu. Ceux-là n’étaient pas en avance sur leur temps, ils étaient “de leur temps” et ils sont nos prédécesseurs et nos dignes inspirateurs. Mon intérêt pour 14-18 et pour la Grande Guerre, c’est une façon de leur rendre grâce.
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