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2242On se reportera à notre rubrique Ouverture libre, au texte de présentation des “néo-sécessionnistes”, le 26 avril 2010. Il concerne un texte de Chris Hedges, de Truthdig.com, le même 26 avril 2010. On doit noter que Chris Hedges, commentateur de Thruthdig.com, est un journaliste et un auteur de grand renom, venu du New York Times, qui collabore au New York Review of Books, au New Statesman, à Harper’s, qui a publié neuf livres (dont War Is a Force That Gives Us Meaning qui fut finaliste pour le Prix du National Book Critic Circle en 2003, et son dernier ouvrage, en 2009, The End of Literacy and the Triumph of Spectacle). Il s’agit d’un observateur de très grande qualité et l’un de ces journalistes et auteurs des circuits classiques qui se sont impliqués dans l’action intellectuelle dans les réseaux d’Internet. Cela, pour les références de qualité qu’il faut avoir à l’esprit en lisant son analyse des “néo-sécessionnistes”.
Ce qui frappe dans le texte de Hedges, c’est le sérieux et la profondeur du mouvement qu’il décrit, et son extrême diversité. Des groupes sudistes se référant à la confédération et à la Guerre de Sécession existent, mais ils ne forment qu’une minorité dans le mouvement général qu’il décrit. Les deux Etats dont Hedges parle principalement, parce qu’on y trouve des personnalités marquantes à la tête des néo-sécessionnistes, témoignent de ce sérieux et de cette diversité: le petit Vermont, coincé au Nord-Est des USA, et l’immense Texas, au Sud de l’Union. D’autre part, ces deux Etats ont naturellement une culture indépendantiste, ayant été tous deux indépendants en tant que tels avant d’entrer dans l’Union.
On ne se trouve plus en présence de lunatiques, de groupes guidés par la fureur aveugle qui déferle sur les USA («I never seen anything like this», dit Noam Chomsky du climat actuel aux USA), comme l’est par exemple Tea Party. Nous sommes en présence de la pointe avancée de cette fureur, là où ce que cette réaction peut avoir de destructeur devient particulièrement positif et dynamique en proposant la sécession comme solution constructive devant la catastrophe qui frappe les USA. Le sentiment exprimé à l’égard du système américaniste rejoint en effet un sentiment général, touchant aussi bien la population que les élites, et caractérisé par la phrase : «The system is broken». Pour les néo-sécessionnistes, la solution devient impérative: l’éclatement des USA, autant comme façon de détruire le système du “centre” qui court à la catastrophe que comme moyen d’offrir une alternative à cette course à la catastrophe. Il y a clairement, à côté de la dimension localiste, le sentiment de participer à un mouvement qui se développe pour empêcher une catastrophe qui affectera aussi bien les USA que le reste du monde, et la civilisation d’une façon générale. Naylor, du mouvement néo-sécessionniste du Vermont, explique :
«If we do not undertake a dramatic reversal soon, the country and the global environment will implode with catastrophic consequences.»
En d’autres termes, ce mouvement est d’une fondamentale importance pour le sort même de la crise qui secoue la civilisation. Il touche au cœur du moteur de cette crise, qui est un système anthropotechnique général, le système de l’américanisme, devenu absolument incontrôlable, et déchaîné dans toute sa puissance en crise profonde, capable effectivement de conduire à des catastrophes de dimension mondiale, qui a d’ailleurs déjà largement procédé dans ce sens. Il renforce notre propre analyse selon laquelle le choc essentiel qui pourrait transformer radicalement les conditions de la crise et faire naître des alternatives se trouve dans le fait même, absolument impératif, de l’éclatement des USA. D’une certaine façon, et nous reviendrons sur cette dimension, le mouvement néo-sécessionniste représente l’esquisse d’un “système anthropoculturel” (plutôt qu’“anthropomystique”, mais qui peut le devenir) qui peut se dresser, en réaction, contre l’aspect anthropotechnique catastrophique du système de l’américanisme, – cela, comme évoqué dans le texte DIALOGUES-3 du 25 avril 2010.
Il n’y a aucune intention de violence dans les mouvements néo-sécessionnistes, au contraire la recherche d’une démarche pouvant aboutir à une situation allant vers la sécession dans les normes constitutionnelles. Reste à voir si un tel processus peut se dérouler pacifiquement d’une part, si le “centre” peut envisager de l’accepter (ou d’être forcé de l’accepter) sans résistance brutale d’autre part. Il y a bien des arguments pour douter qu’effectivement un mouvement néo-sécessionniste n’engendre pas et ne provoque pas des réactions brutales.
Certains aspects de ces mouvements ont des dimensions “civilisationnelles” très intéressantes, à tendance très localiste, comme très naturellement le cas du Vermont, à cause de sa petite taille et de ses traditions. Les néo-sécessionnistes cherchent dans ce cas, en même temps que l’indépendance, une transformation complète du mode de vie, notamment en fonction de la crise de l’environnement et du système économique. Cette vision qui devrait être en général qualifiée d’utopiste, doit être considérée d’une façon plus réaliste dans l’environnement politique et social de désordre où la crise centrale plonge tout notre système producteur d’une économie de force et d’une politique de puissance. La violence nihiliste de la crise conduit à des conditions qui rendent moins utopiques certains projets de réaction radicale.
On trouve ainsi, dans cette première analyse sérieuse d’un sentiment qui se répand à une très grande vitesse, bien des éléments qui font découvrir combien la réaction à la crise systémique en plein développement se trouve elle-même en développement accéléré. Bien entendu, il y a de la logique dans ce constat dans la mesure où le premier mouvement nourrit le second. Il y a d’ores et déjà un degré d’organisation, de pénétration des structures légales des Etats concernés, des projets de progression au travers de processus légaux, qui témoignent du sérieux et de la profondeur de cette réaction. Il s’agit d’un pas supplémentaire au-delà de l’option “guerre civile” qui est parfois évoquée dans les scénarios catastrophiques qu’inspire la situation des USA. Il s’agit d’une vision radicale mais constructive de rupture de la structure existante, qui se désagrège à une vitesse folle. Bien entendu, on identifie d’une façon extrêmement nette et impressionnante un caractère structurant du mouvement néo-sécessionniste, dans son attaque déstructurante d’un système dont la folie déstructurante est aujourd’hui le fait central de la crise générale.
Ce commentaire du phénomène néo-sécessionniste que nous faisons sera, nous le croyons et nous l’espérons, suivi de beaucoup d’autres. C’est dire l’importance que nous accordons à ce mouvement, et au texte de Hedges qui a le mérite de mettre en évidence l’aspect structuré et sérieux du mouvement. Une telle orientation doit grandement contribuer à faire naître le sentiment que le néo-sécessionnisme est une alternative crédible, voire la seule alternative concevable et possible au mouvement catastrophique en cours aujourd’hui au cœur du système de l’américanisme. Un point remarquable des diverses déclarations que recueille Hedges est, en effet, la disparition complète dans le langage des néo-sécessionnistes du romantisme virtualiste favorable à l’américanisme, y compris à un américanisme régénéré comme on en retrouve les références chez nombre d’adversaires et de dissidents du système. Il y a un sentiment de la nécessité d’une rupture radicale, exprimée non comme une réaction d’émotion ou de colère, mais comme la conclusion raisonnable et inéluctable d’une analyse où la raison, justement, joue un grand rôle dans la considération de la crise historique qui touche le système. La rupture radicale est aujourd’hui l’alternative paradoxalement la plus raisonnable et, sans doute, la seule alternative au déchaînement en cours.
Mis en ligne le 27 avril 2010 à 04H49