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249107 juin 2017 – “L’expression m’est venue à l’esprit” me suis-je dit et, très vite, je me suis corrigé de cette façon : “m’est une fois de plus venue à l’esprit”. Comme toujours, elle vient du titre de ce même film, mais ce que je voulais me dire avec ce “une fois de plus”, c’est que je l’avais déjà employé en titre. Vérification faite, c’est le cas, et telle quelle : une première fois en 2011 (le 17 octobre 2011), une seconde fois il y a un peu plus d’un an délibérément d’un texte à l’autre dont un texte des deux également sous ce titre exactement (le 6 mars 2016) dans ce Journal-dde.crisis, où je rappelais l’analogie du film (adaptation française du Some Came Running de 1958, tiré du roman éponyme de James Jones de 1957). L’expression désignant le même phénomène du déferlement diluvien des crises, cette expression “comme un torrent”, qui revient sous ma plume me fascine par sa puissance et sa magie à la fois symboliques et sans doute incantatoires, et peut-être même divinatoires...
(En 2011, son emploi réminiscent avait pour but de saluer la conjonction du “printemps arabe” et des mouvements type-Occupy aux USA ; en 2016, il s’agissait des élections aux USA bien entendu, qui prenaient toute leur ampleur révolutionnaire. Vous noterez que de tout cela et de toutes ces crises, directement ou indirectement, rien n’est clos et achevé, et qu’au contraire tout a empiré.)
Qu’on y songe ou qu’on comptabilise revient au même, car ici la représentation rencontre une vérité-de-situation d’une force remarquable... De la visite de Trump à Ryad, puis les sommets successifs de l’OTAN et du G7, suivis des déclarations de Merkel, le lendemain de la rencontre Macron-Poutine, puis le retrait des USA de l’Accord de Paris, l’attentat de Londres qui est de la sorte qui provoque toujours les mêmes effets de panique conformiste et de moralisme exacerbé, puis, deux jours plus tard, cette crise soudaine entre l’Arabie avec quelques compères et le Qatar, qui renvoie au sommet du Ryad pour le ridiculiser ou le dramatiser (ou le ridiculiser et le dramatiser en même temps).
Tout cela s’accomplit sur une décade, fin-mai/début-juin, si l’on excepte le sommet de Ryad, et tout cela c’est encore sans compter la basse continue de la “guerre civile” interne de Washington D.C. qui est notre bruit de fond ponctué de coups de tonnerre à intervalles erratiques mais rapprochés depuis deux ans déjà. A chaque occasion, une sensation d’imprévu, de la sidération toujours renouvelée pour celui qui veut bien conserver sa lucidité et refuser de prendre l’exceptionnel comme l’habituel ou simplement refuser de le voir ; des considérations sur la puissance des événements, l’observation de positions tourbillonnantes, d’hypothèses incroyables, de perspectives impensables ; je veux dire enfin, cette impression paradoxalement palpable de l’insaisissabilité des choses, effectivement comme un déferlement, un déchaînement furieux et trop rapide pour être exactement apprécié, “comme un torrent”....
Est-ce que nous avons mesuré le caractère extraordinaire de fulgurance des possibilités de l’audace de pensée que nous pourrions et que nous pouvons effectivement déployer par comparaison avec ce que nous avions coutume d’apprécier ? Moi-même, qui ait à mon actif tout près d’un demi-siècle (je fêterai [?] ce demi-siècle-là début novembre) de travail d’observateur et de commentateur des affaires internationales, je peux faire cette comparaison entre ce qui est stable et solide et ce qui est déferlant et rugissant, entre la terre ferme sur laquelle l’on évolue avec assez de fermeté pour identifier les dangers qui vous guettent et les spasmes tectoniques que nous connaissons, comme le sont devenues les choses aujourd’hui, comme autant de menaces inconnaissables et incompréhensibles, ce déséquilibre constant où l’on brinqueballe...
Car ce déferlement, qu’on s’en avise ou pas, qu’on s’en aperçoive ou non, ne charrie que des crises et encore des crises, et encore des crises, liées fortement entre elles ou parentes bien entendu, directement ou indirectement, animées du même esprit de déstructuration et de déconstruction. Ainsi, je me le répète chaque jour, ai-je vécu littéralement dans deux univers différents, et le deuxième comme dans un événement phénoménologique que nul ne pouvait prévoir de compression du temps et d’accélération de l’Histoire, comme une formidable musique résonnant soudain sur le monde, si prestissimo et ô combien fortissimo.
Cette conscience-là, si on l’a autrement que d’une sorte livresque, ou conceptuelle, si on l’a dans son expérience même, dans ce qu’on a vécu année après année, jour après jour, cette conscience vous enivre et vous emporte, et elle risque de vous réduire si vous n’y prenez garde ; ou bien, si vous en avez l’esprit, elle vous élève et vous invite aux réflexions les plus audacieuses. C’est dire que je ne suis pas là pour livrer des considérations définitives et décisives, dans lesquelles ma raison tenterait de mettre de l’ordre en prenant sur elle seule toute la charge de cette prétention inimaginable de la prévision. A ce stade, et une fois de plus, et chaque fois un peu plus fort et un peu plus vite, prestissimo & fortissimo, le seul constat de cette question terrible, dite dans un souffle, faite d’autant d’inconnues qui sont chacune des questions en elles-mêmes : mais qu’est-il donc en train de se passer, et pour nous conduire jusqu’où, et de quelle façon, et pour quelles perspectives ?
Si vous avez un peu de mesure et de raison, si vous ne sombrez pas dans les vapeurs de l’évocation frelatée du complot universel de ces hommes de l’ombre qui vous manipulent comme s’ils étaient des géants aux capacités immenses dans cette époque de nains proliférant, si vous n’êtes pas pris de cette passion de la rationalité à tout prix comme l’on est pris d’alcool ou d’addiction pour les puissances artificielles, si vous êtes raisonnables dans le sens de ne pas prétendre tout embrasser du monde avec la seule raison humaine, alors vous êtes conduits à envisager des voies suprahumaines pour tenter d’appréhender une compréhension de ces temps étranges. Si vous êtes raisonnables et si vous n’avez pas l’esprit fermé par l’aveugle vanité de soi, alors vous devez vous appuyer bien autant sur la foi dans l’intuition haute que sur la mesure bien tempérée de la perception de l’agitation du monde pour continuer à observer ces temps où les géants sont les événements du monde, et les nains ceux qui prétendent encore les maîtriser.
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