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605525 juin 2023 (17H00) – Dans l’affaire qui nous occupe, – devinez quoi, – on devine que je m’intéresserai plus à l’effet de communication qu’elle a produit sur la position de Poutine et la situation de la Russie qu’au démêlage et au détricotage du nœud gordien que constitue l’aventure dite, – pour sourire, – du ‘Wagnergate’. C’est dire qu’on ne peut pour l’instant, et peut-être pour toujours, comprendre ce qui s’est vraiment passé durant ces 2-3 derniers jours entre Moscou et Rostov-sur-le-Don et divers autres lieux de la même région. (D’ailleurs, est-il d’un réel intérêt de savoir ?)
Pour mesurer cet effet de communication “sur la position de Poutine et la situation de la Russie”, on s’en rapporte par exemple aux commentaires de notre bonne vieille et courageuse presseSystème. « Vladimir Poutine a créé lui-même le pire de ses cauchemars » fut le titre de l’éditorial du ‘Financial Times’ de samedi, alors qu’on se trouvait en plein ‘Wagnergate’, séquence putsch militaire avec Prigozine dans le rôle-clef et pas encore de ‘Happy End’. C’est RT.com qui signale la chose sous le sobriquet d’“interprétation la plus apocalyptique” :
« Le Financial Times a offert l'une des interprétations les plus apocalyptiques de la situation. “Il est difficile de croire que Poutine puisse survivre à ce genre d'humiliation”, a écrit l'éditorialiste Gideon Rachman dans une tribune publiée également par le Irish Times. “Son prestige, son pouvoir, voire sa vie, sont désormais en jeu”. Gideon Rachman n'a cité aucune preuve à l'appui de son affirmation selon laquelle la vie de M. Poutine pourrait être menacée. »
On répète, dans la langue d’origine, le jugement donc-apocalyptique de Gideon Rachman, qui est l’une des plumes les plus ‘rock’n’roll’ du l’austère quotidien qui domine l’Olympe de la presseSystème, – plus encore que le NYT... Je répète ce titre, dirais-je, pour qu’on en pèse toute la mesure et tout le bon sens, et parce qu’il sort d’une plume consacrée de l’intelligence même de la pensée occidentale-fictive, – et parce que, somme toute, « it is hard to believe » un tel jugement, si emporté, si hystérique, si halluciné :
« It is hard to believe that Putin can ultimately survive this kind of humiliation… His prestige, his power, even his life, are now on the line. »
C’est un de ces jugements dont on dira qu’il est fondé sur l’autosuggestion et l’autohypnose, qui constituent les fondements de la célèbre “méthode Coué”. Il est censé créer ce qu’il décrit, comme si ce qu’il décrit était déjà créé ; il est vrai qu’il s’agissait et qu’il s’agit toujours du rêve le plus cher au cœur de l’Occident-suraffectif : une séquence montrant l’erreur, l’humiliation, la chute et le néantissement du président Poutine. C’est un de ces frissons collectifs qui a parcouru nos capitales, avant même de juger des conséquences de l’aventure et de recevoir, comme dans un matche de boxe avec Cassius Clay/Mohammed Ali à la manœuvre, le deuxième direct en pleine poire (accord Prigozine-Poutine), immédiatement après le premier (rébellion Prigozine).
Assez curieusement, un autre frisson, exactement inverse, est évoqué par l’auteur de politique-fiction israélien Amir Sarfati, sur sa chaîne YouTube. Vers 19H00 samedi, alors que l’accord était largement connu et commenté dans le sens de la rage que Poutine s’en sorte aussi bien, Sarfati fit cette remarque :
« Vous n’imaginez pas... Il y a seulement deux heures, tout le monde priait secrètement pour que Poutine tienne ! Vous vous rendez compte, se retrouver avec comme président russe ce Prigozine complètement incontrôlable... »
Dans les même sens des incontinences auxquelles nous astreignent les croisements, accrochages et collisions des divers mensonges, narrative et simulacres, on apprenait une discrète communication du département d’État selon laquelle l’étude d’une éventuelle décision de faire entrer ‘PMC Wagner’ dans la catégorie “terroriste” du ministère était suspendue depuis que Prigozine avait pris la route. Il est vrai que le site ‘Terror Alarm’ montrait selon cette logique une superbe capacité d’adaptation à la situation, passant à 16H00 d’un message annonçant la marche sur Moscou des « Wagner freedom fighter » à un autre message, à 18H00, annonçant l’accord entre Moscou (Poutine) et les « Wagner terrorists ». Cela nous valut ce commentaire de Boris Karpov :
« Les médias de l'OTAN comme d'habitude : lorsque la “marche” a commencé, les Wagner sont devenus des combattants de la liberté. Après l'accord, ils sont redevenus des terroristes. »
Ces quelques petits faits suffisent, pour mon compte, à décrire l’atmosphère d’une extraordinaire rapidité, effectivement décrite par deux directs coup sur coup, ou la coupure du souffle à nouveau coupé alors qu’on cherche à le rétablir. En effet, s’il faut donner une image décrivant la journée d’hier, – plutôt qu’en chercher les ressorts cachés et les calculs dissimulés perdus dans une forêt d’hypothèses de complots et de manœuvres folles, – on se remémorera cette étonnante atmosphère qui nous laisse groggy, KO-debout, sonné, – et c’est bien à dessein que nous prenons les expressions familières de la boxe. Il s’agit d’une situation sommaire, où la rapidité et la brutalité des événements interdisent à la raison et à l’esprit de faire leur travail, au point que le bon sens recommande d’y revenir plus tard, – une autre fois, un autre jour...
Il reste que, quelles que soient les circonstances et les aléas, et en première constat une fois sorti du KO-debout, l’impression qui domine est celle de la maîtrise de Poutine. Cette impression prévaut dans tous les cas de figure, – que Poutine ait été préparé ou non à cette crise, qu’il y ait eu ou pas de montage-maskirovska, – selon une logique que nous décrit Larry Johnson dans des termes illustrant indirectement cette frénésie des événements :
« Et si le “coup” de Prigozine était de la maskirovska ? J'ai envie d'explorer cette possibilité. Plus tôt dans la journée (samedi sur la côte est des États-Unis), j'esquissais un article au titre accrocheur : “PRIGOZHIN - PUTSCH OR PLOY ?”. Eh bien, cette belle idée s'est envolée comme le barrage de Kakhovka lorsque la narrative du projet de Prigozine de marcher sur Moscou et d'étrangler personnellement le ministre russe de la défense Choïgou s'est transformée en un véritable coup à la-Nadia Comăneci, – c’est-à-dire un renversement-arrière de situation. Prigozine a ordonné à “ses” troupes de retourner à leurs bases, a conclu un accord avec le président de la Biélorussie, Alexander Loukachenko, pour s'exiler et n'encourra aucune sanction judiciaire. QUOI ????? Pas d'effusion de sang ? Pas de chars en feu sur des kilomètres ? Et pas de nœud coulant à-la-Mussolini pour Vladimir Poutine ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? »
Énigmatique, Poutine ne répond pas. Il a notamment reçu des coups de téléphone d’aide et de soutien de deux hommes qu’il a décisivement aidés face à un coup d’État : Erdogan en 2016, Loukachenko en 2020. D’une façon générale, il a bénéficié de jugements positifs de personnes qui ne sont pas toujours d’accord avec lui mais qui cultivent l’indépendance d’esprit. Ainsi d’Alexandre Douguine, le philosophe de l’eurasisme, qui décrit à l’occasion de cette crise un système (les élites russes) en état constant de désertion lorsqu’il s’agit de la défense de la patrie ; mais qui termine en se tournant vers Poutine :
« Mais nous avons également vu la volonté de Poutine et la véritable amitié de Loukachenko, ainsi que le soutien total et sans compromis de notre président de la part de tous les vrais patriotes. Beaucoup d'entre eux pensent comme Prigogine. Mais ils ont soutenu Poutine dans une situation critique. Cela en vaut la peine. »
Nombre d’analystes, d’ailleurs dès le début de l’aventure, bien sûr, lorsque l’affrontement se profilait, mais aussi après l’accord et la cessation de la mutinerie, ont avancé l’idée que cette crise affaiblirait considérablement Poutine. J’ai entendu plusieurs fois le mot “fragile” pour désigner le pouvoir à Moscou. C’est un jugement que je ne partage pas du tout, impliquant la “faiblesse” de Poutine, – ou, dans tous les cas, son affaiblissement, y compris dans le chef de l’accord conclu avec Prigozine.
Voici par exemple Andrew Korybko, dans le sens de la contestation de tels jugements :
« L'importance d'attirer l'attention sur ce point est de montrer pourquoi le président Poutine leur a miséricordieusement donné une dernière chance de sauver leur vie, car il pensait que ces héros de Novorossiya avaient été manipulés par les “ambitions démesurées et les intérêts personnels” de Prigozine. Son offre d'amnistie et d'exil au Belarus n'était pas un signe de faiblesse comme l'ont prétendu les MSM [presseSystème] et certains membres de l'AMC, mais la preuve que le dirigeant russe contrôlait parfaitement la situation et qu'il était suffisamment puissant pour y mettre fin sans l'effusion de sang souhaitée par l'Occident. »
Mon avis est qu’au contraire, la stature de Poutine va sortir grandie de cette épreuve, et son influence d’autant plus forte, surtout auprès de ses amis des BRICS et de l’OCS. La “fragilité” dont il est question peut effectivement être affirmée, mais elle n’est pas un caractère de tel ou tel pouvoir, ni de l’homme qui l’incarne par conséquent. Elle est l’effet d’une constante pression de déconstructuration (‘regime change’, ‘révolution de couleur’) d’un pouvoir monstrueux et d’une puissance extrême, devenu complètement fou et irresponsable, totalement nihiliste et entropique.
C’est ce qu’est aujourd’hui le pouvoir du système de l’américanisme qui cherche à tout détruire qui ne soit pas de lui, jusqu’à toucher aux délices de l’autodestruction, dans une stupéfiante démonstration de la véritable quête de la modernité. A cette aune, il faut plutôt parler de “miracle” que certains dirigeants parviennent à résister à cette marée d’anéantissement... Moyennant quoi, je ne sache pas que Chavez, après le coup d’État contre lui en 2003, ou Erdogan (2016), ou Loukachenko (2020) aient perdu toute influence et tout respect à l’extérieur ; si l’on a envie de bavarder, on parlerait plutôt du contraire.
... De toutes les façons qu’on se rassure, les fous sont au pouvoir donc il n’y a rien à craindre qui ne soit assez fou. Le New York ‘Times’, cette fois (surprise, surprise) très modéré par rapport à ses amis du ‘Financial Times’, a également rapporté que les services de renseignement (US, ‘what else ?’) étaient évidemment “au courant” du coup à venir de Prigozine, – ils l’avaient lu dans les journaux, – et notre NYT, pour également préciser ceci :
« Toutefois, les responsables américains auraient été alarmés par un éventuel conflit entre Prigozine et Moscou, craignant que la descente de la Russie dans le chaos n'entraîne des risques nucléaires considérables. »
Ainsi jugera-t-on étrange et original que des gens alarmés à juste titre & raison d’un chaos à Moscou, avec les risques nucléaires qui vont avec, travaillent avec vigueur depuis des années à installer “un chaos à Moscou, avec les risques nucléaires qui vont avec”, et souscrivent à une stratégie (l’élargissement de l’OTAN) et une guerre dont le but de la partie qu’ils soutiennent est effectivement d’“installer un chaos...”, etc.
Le dernier qui s’en va éteint la lumière...