Ce qu’il faut craindre, c’est leur folie

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Ce qu’il faut craindre, c’est leur folie


26 septembre 2007 — Les Français se déchirent à propos de la politique extérieure de la présidence Sarkozy, notamment la politique iranienne. Ils parlent d’alignement sur les USA. Le débat est compréhensible, il est même nécessaire et essentiel, — mais il est peut-être un peu prématuré (l’alignement, on verra…) et il se pourrait surtout qu’il avérât dépassé avant même d’avoir été sérieusement lancé. On peut craindre, aux derniers échos de Washington, qu’un problème autrement plus grave nous sera posé dans les 12-18 mois qui viennent.

Rappelons d’abord la note publiée le 23 septembre sur ce site, concernant le candidat (favori) à la désignation républicaine pour les présidentielles de 2008, Rudy Giuliani, qui dévoile un programme de politique extérieure de plus en plus extrémiste, qui fait paraître modéré un GW Bush. Cette nouvelle est significative. L’extrémisme maximaliste est en train de devenir la norme républicaine, et elle pourrait, elle devrait devenir bientôt la norme américaniste tout court. C’est au son de la surenchère que se dérouleront les prochains quatorze mois washingtoniens. A cette lumière, on doit constater plusieurs points préoccupants:

• Les extrémistes néo-conservateurs, qu’on jugeait complètement décrédibilisés en 2004 et promis à la marginalisation tiennent toujours le haut du pavé du point de vue de ce qu’on nommerait leur “influence implicite”. Cela semblerait être un paradoxe puisqu’ils ont été pour la plupart éliminés de l’administration et qu’ils ne constituent plus l’essentiel de l’attraction à Washington. Mais leur esprit s’est installé victorieusement et règne partout. Cela constaté, on peut se demander s’il ne s’agirait pas d’un constat qu’il serait plus approprié de renverser. L’esprit des néo-conservateurs a si complètement et justement traduit l’esprit du temps à Washington qu’il survit à l’élimination politique presque complète du groupe et qu'il prospère. (Par contre, les néo-conservateurs restent toujours aussi actifs hors du gouvernement, baignant dans les financements type-Murdoch et sans la moindre gêne pour l’accumulation d’erreurs politiques constituées sur des mensonges archi-démontrés. Leur souffle ne semble devoir être jamais coupé de ce point de vue, leur impudence est sans fin, leur zèle idéologique les met à l'abri de tout trébuchement.)

• Les diverses évolutions catastrophiques sur le terrain en Irak, le scrutin radicalement anti-guerre de novembre 2006aux USA, l’impopularité de la guerre, rien n’a réussi à modifier de façon durable et réelle l’attitude du personnel politique. La guerre reste une sorte d’objet sacré, une relique et l’objet essentiel du culte contre lesquels il est bien difficile de s’élever. Mieux, — c’est-à-dire pire: on ne voit pas une réelle conscience de cette emprisonnement psychologique, encore moins une volonté de s’en échapper. L’establishment washingtonien ne se perçoit pas comme vraiment prisonnier de l’Irak bien qu’il le soit à 100%. Il continue à croire à la justesse de cette guerre et rejette en général la faute de son déroulement catastrophique sur des erreurs de “gestion” et, de plus en plus, sur les Irakiens et le gouvernement irakien qui ne “comprennent” pas la valeur de la pédagogie US, compris la pédagogie des bombardements de l’U.S. Air Force. L’obsession irakienne est un filtre impitoyable par lequel passent toutes les considérations de politique extérieure.

• La tendance actuelle, après l’audition de Petraeus qui a mis en évidence combien l’establishment, démocrates compris, était effectivement enchaîné à la guerre en Irak, est une remontée de l’influence des républicains devant laquelle les démocrates ne peuvent que céder. L’Irak est sacré et l’on en revient à l’élargissement de cette sacralisation à la guerre contre la terreur. Désolé (il est anti-guerre), le sénateur Hagel constate (dans le Los Angeles Times du 24 septembre), en se référant à l’extraordinaire polémique sur la prison de Guantanamo (le regain de soutien à ce centre de détention illégale aux conditions inhumaines):

«“It's a Republican litmus test this year,” complained Nebraska Sen. Chuck Hagel, one of the few GOP lawmakers calling for the swift closure of Guantanamo.

»“The Republican Party has won two elections on the issue of fear and terrorism,” Hagel said. “[It's] going to try again.”»

• Les démocrates font de plus en plus leur deuil de tout programme ayant une certaine coloration anti-guerre. L’évolution d’Hillary Clinton est symptomatique. Après une période colorée d’un certain engagement dans la critique de la guerre, elle semble désormais revenue à une position dure. Le journaliste David Brooks, cité le 25 septembre par Andrew Sullivan, remarquait : «On “This Week With George Stephanopoulos,” Clinton could have vowed to vacate Iraq. Instead, she delivered hawkish mini-speeches that few Republicans would object to. She listed a series of threats and interests in the region and made it clear that she’d be willing to keep U.S. troops there to handle them.» Le même Sullivan estime que GW Bush pourrait avoir conclu que Hillary serait la mieux placée pour poursuivre sa “politique” en Irak.

• Il résulte de tout ce qui précède, comme on l’a déjà noté récemment, que le président GW Bush, le président marginalisé et ridiculisé, continue à tenir ferme la barre de la catastrophe irakienne. Au contraire, ces divers développements tendent à renforcer son autorité. Il ne s’agit pas d’une re-légitimation de GW Bush mais bien d’un prolongement électoral, avec tout ce que cela suppose de fausseté, de démagogie et de surenchère. GW est peu à peu remis en selle parce qu’il devient indirectement un enjeu du scrutin, par l’intermédiaire de son parti qu’il a lui-même (GW) enchaîné à sa politique. On s’exclamera que sa popularité est en-dessous de 30% et qu’on ne peut parler de “remise en selle” ; on répondra : et alors? Le Congrès est bien à 23% de popularité.

L'indifférence pour le sentiment populaire

Subrepticement durant ces dernières semaines, la situation washingtonienne a achevé son renversement après l’intermède des débuts du Congrès démocrate qui fit croire presque unanimement que l’Amérique était entrée dans un conflit institutionnel majeur qui allait notamment occasionner une paralysie de l’exécutif à l’avantage du Congrès. Las, l’illusion du Congrès n’a pas tenu longtemps. La situation en est revenue à la norme post-9/11, qui est celle d’un establishment enchaîné à cet étrange fascination que suscite la guerre en Irak et tout ce qui va avec, et d’ailleurs revenant à cet élargissement de l'enchaînement au “tout ce qui va avec”, c’est-à-dire essentiellement la guerre contre la terreur, comme en 2002-2005.

On imagine ce que vont être les 13 prochains mois d’ici l’élection présidentielle maintenant que le train du virtualisme est lancé à pleine vitesse. Il s’agira d’une montée paroxystique à la surenchère démagogique selon plusieurs axes, tous mobilisateurs, tous ultra-patriotards.

• Le soutien des forces en Irak. Le stupéfiant épisode concernant l’annonce anti-Petraeus de l’organisation MoveOn.org parue dans le New York Times, débouchant sur un vote du sénat sans précédent (72 votes contre 25 condamnant l’annonce), montre une sacralisation des forces armées. Ce n’est bien entendu pas la réalité (catastrophique) de ces forces qui est révérée mais l’image qu’on s’en fait, que le virtualisme en fait. La chose fait particulièrement l’affaire en période électorale, avec le sentiment patriotard qui est partout.

• Le soutien à Israël. C’est à peu près aussi impératif que de se mettre au garde à vous à genoux devant la bannière étoilée, de chanter sans fausse note God Bless America et toute cette sorte de choses. Il ne faut plus chercher à comprendre, nous sommes au-delà du complot, de l’influence, du lobbying. Cela n’est plus rationnel. Aucun candidat normalement constitué ne peut manquer de faire sa dévotion à Israël, comme on brûle un cierge. Bien entendu, ce soutien complètement aveugle à Israël, impérativement la tendance droitiste du Likoud, signifie un engagement belliciste systématique.

• La possible guerre en Iran, dont tout le monde s’effraie mais qui répond à une logique (la guerre) à laquelle on ne résiste pas aujourd’hui à Washington, constitue une pression permanente pour la surenchère belliciste et, curieusement, un argument de plus pour la guerre en Irak. (“Curieusement”, parce que l’Irak expose les troupes US à des représailles iraniennes. Le Washington politique ne raisonne pas en termes tactiques mais en termes politiciens. L’Iran par rapport à l’Irak et vice-versa, cela fait partie de la vanité washingtonienne. Plus on fait la guerre, si possible catastrophique, plus on rêve d’en rajouter.)

• Il n’y a plus aucune référence au sentiment de la population US sur la guerre en Irak (et la guerre contre la terreur), — complètement hostile, comme on le sait. Alors que tout le reste est mesuré à l’aune des sondages, on dirait que ce domaine échappe, aux yeux des politiciens, au sentiment populaire. Il n’y a pas un fossé, il y a deux mondes différents. Quoi qu’on en veuille, cette rupture acceptée, actée, est un phénomène sans précédent qui ne sera pas résolu si l'on accepte la perspective d'une indifférence entre ces deux mondes ou qui sera résolu par des voies originales, extra-constitutionnelles.

… Mais ce qu’on décrit n’est décidément pas une situation normale. C’est une sorte d’environnement de pathologie, une sorte de folie collective qui a progressé à pas de géant depuis six ans à Washington et atteint un nouveau paroxysme. Nous estimons que, contrairement au processus habituel, la description que nous avons faite n’est pas celle d’une situation normale pré-électorale où l’on fait des promesses qu’on oubliera ensuite. Au contraire, cette campagne devrait être vue comme une préparation, une mise en condition pour un nouveau “pas en avant”, qui va établir le véritable programme du futur président : belliciste, maximaliste, la poursuite de GW Bush en bien plus ambitieux, avec un mandat renouvelé, renforcé, élargi. Finalement, les personnalités ne comptent guère, parmi tous ceux qui sortent en série du système; seule compte l’influence prépondérante du système sur eux.Voilà l’analyse que nous faisons d’une capitale qui a définitivement sombré dans un virtualisme d’une guerre maximaliste et sans fin ; l’Irak, et comment! l’Iran peut-être ou bien sans doute… Le reste, la guerre contre la terreur, la Long War, tout ce que vous voulez, — tout sera déballé pendant cette campagne…

Voilà le véritable problème qui attend en 2009 les dirigeants européens, ceux qui, utilisant la raison pour comprendre l’Amérique, jurent qu’en 2009 on soufflera, qu’on fera enfin de l’après-Bush. Ce n’est pas notre avis. Washington est entré dans un processus qui s’apparente à une certaine folie, — même, pire, — à une réelle folie… C’est le problème central du monde, aujourd’hui, la colonne vertébrale de notre crise générale.