Business as unusual

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Business as unusual

7 juillet 2018 – Ce texte-là aurait pu aussi bien être glissé dans les rubriques sérieuses du site ; mais non, il est parfois un peu trop leste me suis-je dit, et il est préférable de le ranger dans mes, propres polissoneriues...

Cela commence par cette remarque, que je me fais de plus en plus en voyant l’immense asticot au teint orangé et à la permanente à ne pas croire s’agiter avec autant d’assurance qu’il y a deux ou trois ans : en fait, le plus souvent, Trump a-t-il besoin de parler, voire même de paraître, pour aussitôt déclencher des tempêtes ? Dans tous les cas et avec lui, on se trouve obligé de constater comme je le fais sans réticences que les nombreux sommets, conférences de travail, G-machin et autres institués tout au long de l’année, et qui nous assommaient des mêmes communiqués incroyablement plats comme un jour sans pain et chiants (chiantis, disent les Italiens dans leur code) comme une exposition d’Art Contemporain présidée par Anne Hidalgo, – tout cela pour nous rassurer sur la belle santé du bloc-BAO, de l’alliance transatlantique, de l’ensemble euro-américain, de l’amitié des USA pour l’UE, de la vigueur de l’OTAN, – tout cela, avec l’asticot, fait partie du passé...

Aujourd’hui, sous l’empire de Trump, chaque sommet et chaque G-machin devient l’objet d’une longue période préparatoire marquée d’une angoisse indicible de la part de toute la communauté transatlantique (experts-Système, dirigeants-Système, presseSystème). Ensuite il y a la réunion, la fiesta si vous voulez, avec un Trump qui prend ses aises, qui est en général suivie, après encore par respect pour la chronologie, d’un debriefing où chacun confronte sa narrative faite pour s’auto-rassurer avec celle de son voisin. On imagine de quelle angoisse il s’agit lorsque le sommet de l’OTAN de Bruxelles (11-12 juillet) se tient quatre jours avant le sommet-“surprise” d’Helsinki (Poutine-Trump !).

Curieusement, une “source officielle” européenne avait, avant qu’on connaisse les modalités précises du sommet Poutine-Trump, exprimé dans un de ces articles ramasse-miettes-sous-le-tapis de la presseSystème qu’il m’arrive de lire encore lorsqu’il y a citation dans un article plus convenable, son jugement qu’“il est vital que Trump ne voit pas Poutine avant le sommet de l’OTAN”... Pourtant, c’est encore pire, me semble-t-il, – non ? pas vous ? C’est vrai, tant la réunion de l’OTAN a toutes les chances d’être terne et tendue au mieux ; tonitruante et très-tendue au pire si Trump demande immédiatement à chacun des chèques en blanc correspondant aux 2% du PIB de chacun pour la défense commune de la Liberté, sinon on ferme la boutique immédiatement et sans discussion. Après une telle rencontre, il y a de fortes chances pour que The-Donald se sente encore plus émoustillé à l’idée de rencontrer Poutine et sa superbe Coupe du Monde si réussie, – enfin un peu de fun, les gars, –jusqu’à lui faire l’une ou l’autre gâterie à terroriser l’OTAN, un peu comme il fit avec Kim, – du style, “ah oui, on arrête les manœuvres destinées à l’invasion de la Russie, trop chères pour la boutique”.

Par ailleurs et dans tous les cas, je puis vous assurer que tous ces beaux mondes des cercles concentriques UE & OTAN, que je connais un peu pour les avoir pratiqués avec leur sens prodigieux du respect du conformisme au millimètre, l’air incroyablement sérieux, que tout cela sera terrorisé d’une façon ou l’autre à l’issue de cette rencontre Poutine-Trump, les lèvres serrés tout comme les fesses, absolument coordonnées. Comme l’explique un de ces fameux experts washingtoniens formés à la fulgurance de la pensée américaniste post-9/11 précisément assaisonnée aux FakeNews duRussiagate et fonctionnant à l’huile de déterminisme-narrativisteil suffira que Trump dise quelque chose de pas très sympa pour l’OTAN lorsqu’il parlera à la presse avec Poutine à ses côtés pour que le monde otanien soit pris d’une frénésie d’une terreur inextinguible et que le tourbillon crisique soulève un terrible tsunami transatlantique capable de faire voler en éclats soixante-dix ans d’estime et de respect réciproque, de loyauté partagée comme on presse un citron, d’un sentiment commun d’une prodigieuse vertu, etc., et ainsi de suite très longue.

Le Washington Post du 29 juin 2018 nous en informait si aimablement qu’il m’a pris l’idée de faire respectueusement une traduction de cette prose magique. (A propos mais sans importance, juste pour faire l’important, – j’ai un peu connu le Vershbow en question dans cet article, in illo tempore, c’est un spécimen très représentatif, du cousu-main) :

« Les experts US de la Russie insistent sur le fait qu’il n’y a aucune comparaison possible entre les politiques de Trump et les actions beaucoup plus draconiennes de Poutine. Mais ils s’inquiètent de l’affinité montrée par Trump pour le dirigeant russe, et leur similitude d’instinct pourrait conduire le président US à faire des concessions au sommet sur des affaires telles que le contrôle des armements, l’alliance militaire de l’OTAN détestée par Poutine et les activités russes en Ukraine qui ont été condamnées par la communauté internationale. “Il suffirait que Trump dise quelque chose de désapprobateur sur l’OTAN quand il est avec Poutine devant la presse”, explique Alexander Vershbow, un ancien ambassadeur US en Russie et à l’OTAN dans les administrations Clinton et GW Bush. “Cela sera très mauvais”. »

Non que les fonctionnaires et autres divers spin doctors de la communauté de la sécurité nationale de “D.C.-la-folle”, du Pentagone à la Maison-Blanche, ne s’emploient pas à rassurer les chers alliés de l’OTAN, ce serait bien mal les connaître. Ils ont de la conscience professionnelle et, – je vais vous étonner peut-être ou bien pas du tout, – ils y croient dur comme fer, – simplement ils ne se sont pas aperçus que le fer est prodigieusement rouillé, jusqu’à se défaire en morceaux infâmes... Bref, c’est pour dire, ils s’y emploient, certes et ô combien, à rassurer les chers alliés, tentant au passage de se rassurer eux-mêmes parce qu’ils ont une sensibilité de jeune fille effarouchée, de biche troussée au fond des bois... Ainsi cet article de BreakingDefense.com du 5 juillet 2018, où l’on nous et vous explique que toute la communauté des spin doctors en question assure qui veut bien l’écouter que le sommet de l’OTAN sera du business as usual, c’est-à-dire aussi emmerdant et inconsistant qu’à l’habitude, malgré la présence de Trump ; et donc et par conséquent, ce sommet promettant de ne produire rien de “toxique” puisque débouchant sur la néantisation habituelle s’exprimant dans les paragraphes fournis, dans le style “copié-collé”, du communiqué final qu’on peut s’épargner de lire.

Quant au sommet avec Poutine qui enchaîne dans la foulée, vous/nous dit-on, eh bien on pense bien que le président Trump dira à Poutine qu’il est un garnement infréquentable, comme tous ses services de renseignement lui assurent qu’il est. Le texte, qui termine sur ce chapitre du business as unusual, souligne que les sources à la Maison-Blanche prennent toutes les inquiétudes alliées et autres avec une légèreté manifestement calculée pour paraître chaleureuse et empathique, évoluant dans un flou assez artistique qui ne manque pas d’allure dans cette légèreté-là, assurant que le président sait parfaitement quelles sont à peu près toutes les vilenies des Russes (en effet, il n’accepte pas du tout tous les sermons de ses services, – mais enfin...), et que, bon, enfin, dans tous les cas on l’espère, il les dira sans aucun doute mais disons “à sa manière” qui peut parfois être, – amusante, non ?

 « Le fonctionnaire, s'exprimant à la suite d’un appel de journalistes, a dépeint la réunion d'Helsinki – qui vient juste quatre jours après de l’OTAN – comme une de plus de la longue lignée d'opportunités de sensibilisation [des Russes] que les présidents américains ont suivi depuis longtemps : “En fin de compte, je pense qu'il est juste de dire que depuis la fin de la guerre froide, chaque président a tenté une relance des relations [avec la Russie] mais cela a conduit à chaque fois à un nouvel épisode d’espoir déçu” qui a fait empirer, également à chaque fois, ces relations.

» Mais le refus de Trump d'accepter les conclusions de toute la communauté du renseignement américain selon lesquelles la Russie a interféré dans l'élection présidentielle de 2016, et sa suggestion que la Crimée fait partie de la Russie, rend les alliés incertains quant à ce que la réunion va produire. Les fonctionnaires de la Maison Blanche tentent de faire bonne figure en prenant les choses avec légèreté, incertains de ce que Trump dira ou fera pendant la réunion. “Le président conduira la discussion sur les activités nocives [des Russes], dont il connaît les détails”, a déclaré le responsable. “Nous en avons tous parlé, et le président en a parlé à sa manière.” »

Voilà, nous en sommes là pour l’instant, c’est-à-dire nulle part alors qu’il est affirmé une fois de plus, et de toute bonne source tonnerre ! que tout est réglé comme du papier à musique. Le problème est qu’on ne sait pas quelle œuvre on y trouvera transcrite, – du Sir Edward Elgar Pomp & Circonstance, du Wagner ou du Mozart, du Heavy Metal ou du rap-“visite à l’Elysée”, La Marche Funèbre ou La marche nuptiale, Il est né le divin enfant ou la sonnerie Aux Morts ?

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