Burke et les conspirations modernes

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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Burke et les conspirations modernes

Le monde moderne est l’histoire d’une extermination. Elle peut être ludique ou ennuyée.  Ce qui était noble, beau et bon devait disparaître. Voyez Notre-Dame.

De Molière à Burke on voit progresser la conspiration révolutionnaire qui mettra fin sur terre à l’Ancien régime et au règne agraire : à la clé fin des civilisations traditionnelles, guerres mondiales, abrutissement et enlaidissement du monde, tyrannie bourgeoise ou prolétarienne, puis fin d’un « spectacle qui ne finira pas en despotisme éclairé » (Debord).

Acta sera fabula.

Tout est dans Burke que je redécouvre avec mes lecteurs. Comment cracher d’abord sur ce qu’on va détruire :

« Je n'accorde pas non plus une confiance bien particulière aux gens qui disent beaucoup de mal de ceux qu'ils vont piller. Je suis plutôt porté à croire que l'on invente des vices, ou qu'on exagère ceux qui peuvent exister, lors que le résultat de la punition qu'on inflige tourne au profit de celui qui punit. Un ennemi est toujours un mauvais témoin, et un voleur en est un bien pire encore. »

Après, de même qu’on criminalise les blancs aujourd’hui pour n’importe quoi commis hier (ceci dit je ne défends pas les blancs, ils sont toujours aussi enthousiastes, disait déjà Céline), on criminalise les nobles d’alors pour mieux les liquider. Burke :

« Il n'est pas juste de punir les hommes pour les fautes des ancêtres que la nature leur a donnés ; mais regarder cette descendance, qui n'est qu'une fiction à l'égard des corporations, comme un fondement suffisant pour faire supporter à quelques individus la punition de fautes avec lesquelles ils n'ont aucun rapport, c'est une sorte de raffinement et d'injustice qui n'appartient qu'à la philosophie de ce siècle éclairé. »

Car Burke manie l’humour noir et comprend sans les avoir vus que les droits de l’homme bolchévique, nazi, bourgeois, ça servira surtout à tuer.

Puis il évoque la conspiration capitaliste (tiens, tiens…) :

« Le peuple a regardé longtemps d'un mauvais œil les capitalistes. La nature de leur propriété lui semblait avoir un rapport plus immédiat avec sa détresse, et l'aggraver encore. Ce genre de propriété n'était pas moins décrié par les très anciens propriétaires de terres, en partie pour la raison ci-dessus ; mais bien plus encore parce qu'il éclipsait, par le faste d'un luxe plein d'ostentation, les généalogies toutes sèches, et les titres tout nus d'un grand nombre de nobles. »

Mais le peuple se soumettra via la presse à ces nouveaux maîtres. La suite par Burke qui déteste Necker et consorts et voit que ces capitalistes vont en vouloir bien plus, car ils se sentaient jusque-là humiliés (puisque seul l’argent doit fonder la noblesse) :

« En même temps, la fierté des hommes à argent, non nobles ou nouvellement anoblis, s'augmentait par la même raison, et s'accroissait avec sa cause.

Cette classe d'hommes ne supportait qu'avec ressentiment une infériorité dont elle ne reconnaissait pas les fondements. Il n'y avait pas de mesures auxquelles elle ne fût disposée venger des outrages qu'elle avait reçus de sa rivale, et pour placer les richesses au degré d'élévation qu'elle lui assignait comme lui appartenant naturellement. »

Conclusion terrible :

« C'est cette classe d'hommes qui a frappé sur la noblesse en attaquant la couronne et l'église. »

Puis les intellectuels, les bobos, les soixante-huitards de 89 arrivent à la rescousse de ces banquiers qui veulent que tout bouge :

« D'un autre côté, s'était élevée, aussi dans le même temps, une nouvelle classé d'hommes qui ne tarda pas à former avec les capitalistes une coalition intime et remarquable; je veux dire les hommes de lettres politiques. Les écrivains, presque toujours préoccupés du besoin de primer, sont rarement ennemis des innovations. »

Comme Molière avant lui dans Don Juan, Burke parle de cabale – car le piège se resserrait depuis des siècles :

« La cabale littéraire avait formé, il y a quelques années, un plan régulier pour la destruction de la religion chrétienne ; ils poursuivaient leur but avec un zèle qui jusqu'alors ne s'était montré que dans les propagateurs de quelque système religieux. Ils étaient possédés, jusqu'au degré le plus fanatique, de l'esprit de prosélytisme; et par une progression facile, d'un esprit de persécution conforme à leurs vues. »

Burke insiste. Les procédés prennent du temps mais le diable en a à revendre (l’apocalypse ne dure pas trois ans et demi mais bien trois siècles et demi) :

« Ce qu'ils ne pouvaient pas faire directement et tout d'un coup pour arriver à leurs fins, ils le tramaient par des procédés plus lents et en travaillant sourdement l'opinion. »

Les écrivains étaient contrôlés sous Louis XIV, rappelle Burke (imaginez un Molière ou un La Bruyère vers 1770) : 

« Depuis le déclin de la vie et de la grandeur de Louis XIV, ils avaient cessé d'être aussi recherchés, soit par lui-même, soit par le régent, soit par leurs successeurs à la couronne ; ils n'étaient plus attirés à la cour par les mêmes faveurs et les mêmes largesses que pendant la brillante période de ce règne politique et plein de dignité. »

Puis ils sont passés en roue libre au dix-huitième siècle, au cours duquel la France devient cette « nation abstraite et littéraire » (Tocqueville) qu’elle n’a pas cessé d’être depuis.

Les armes seront l’ironie, la férocité intellectuelle, l’intrigue et la volonté de souiller l’ennemi. Aucune d’elle n’a varié. Burke :

« Ces athées ont une bigoterie qui leur est particulière, et ils ont appris à déclamer contre les moines avec toute l'ardeur des moines ; mais en plusieurs choses ils sont encore hommes du monde. Les ressources de l'intrigue sont mises en jeu pour suppléer au défaut du raisonnement et de l'esprit. A ce système de monopole littéraire était jointe une industrie cruelle pour noircir et pour décréditer de toutes les manières, et par toutes sortes de moyens, tous ceux qui ne tenaient pas à leur parti. »

Gare à eux quand ils arrivent au pouvoir :

 « Il était évident depuis longtemps aux yeux de ceux qui avaient observé l'ardeur de leur conduite, que le pouvoir seul leur manquait pour transformer l'intolérance de leur langage et de leurs écrits en des persécutions qui frapperaient les propriétés, la liberté et la vie. »

La « cabale » est internationale et on a recours aux princes internationaux, notamment allemands (pensez a Frédéric, aux illuminés de Bavière ; Dumas en parle très bien dans son Joseph Balsamo) :

« Un esprit de cabale, d'intrigue et de prosélytisme dominait dans toutes leurs pensées, dans leurs moindres paroles, dans leurs moindres actions; et comme le zèle de la controverse tourne bientôt les idées vers la force, ils commencèrent à s'introduire près des princes étrangers, en établissant des correspondances avec eux ; ils espéraient que, par le moyen de l'autorité des souverains, qu'ils flattèrent d'abord, ils pourraient venir à bout de produire les changements qu'ils avaient en vue. »

Et puisqu’on parlait de la Prusse (qui semble avoir été plus nuisible que l’Angleterre dans cette histoire – voyez Brunswick et son manifeste, Brunswick et la farce de Valmy) :

« La correspondance que cette cabale a entretenue avec le feu roi de Prusse, ne répandra pas une faible lumière sur la violence de leurs procédés… »

On ne va pas poursuivre sur ce terrain de la conspiration. Comme aurait dit justement la défunte et regrettée Hillary Clinton, la théorie de la conspiration ne mène à rien. Sur ce point du complot de l’étranger on relira Mathiez Albert (allez sur archive.org) et les Hommes de Londres de Petit publiés jadis par mon éditeur Albin Michel 

On terminera en rappelant la fabuleuse envolée de Molière dans son Don Juan, pièce interdite le lendemain de sa représentation tout de même, et qui n’a rien perdu de sa verdeur puisqu’on ne sait pas la lire (ah, le tabac de Sganarelle !) :

« Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin c'est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m'érigerai en censeur des actions d'autrui, jugerai mal de tout le monde, et n'aurai bonne opinion que de moi. Dès qu'une fois on m'aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d'impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C'est ainsi qu'il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siècle. »

Mais je crois qu’on a fini par s’y adapter, au bout de quelques siècles, aux vices de ce siècle.

 

Sources

Burke – réflexions

Molière – Don Juan, V, 2.

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