Bossuet En marche...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Bossuet En marche...

27 septembre 2018 – C’est un simple petit détail, mais je trouve que les détails, après tout, – “Le bon Dieu est dans les détails” préfèrent dire des Français, tandis qu’Allemands et Anglais choisissent de façon si significative par rapport à l’éclairage de l’Histoire, « Der Teufel steckt im Detail » et “The Devil is in the details”...Mais je finis d’ergoter pour en venir à mon sujet, qui est un point de détail que je ne trouve pas sans signification cachée, du genre “à l’insu de son plein gré”, – on verra pourquoi...

Cela se passe à la tribune de l’ONU, mardi, lorsque notre-président vient parler avec fougue et chaleur, jusque presque à s’emporter, à transpirer, à taper de ses poings rageurs sur le pupitre, à-la-Krouchtchev mais en plus gracieux et léger tout de même. Par ailleurs, Krouchtchev nous promettait l’anéantissement par la Bombe, ce qui fut compris comme pure rhétorique marxiste, tandis que Macron cloue au pilori ceux qui refusent le bonheur universel de la globalisation.

Il se trouve qu’on trouve dans l’envolée la plus caractéristique de son discours, où manifestement notre-Président semble s’éloigner du strict verbatim de la chose sauf peut-être sur ce passage, au passage 00’28” de cette courte vidéo où il dénonce ceux qui lancèrent la globalisation et en dénoncent aujourd’hui les effets, ce membre de phrase : « ... que dénoncer les conséquences dont on a chéri les causes peut créer des succès d’estrade... ». J’ignore si quelqu’un dans le monde de la pensée et de l’inventaire l’a remarqué mais je suis prêt à jurer, d’intuition dirais-je, que cette belle tournure est imitée de la formule fameuse de Jacques-Bégnigne Bossuet ; laquelle est d’ailleurs soumise à des versions bien différentesoù la seule constante est bien que “Dieu se rit...”,  et la formule disons comme ceci : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » Après tout, Jupiter, puisqu’ainsi Macron se définit-il, peut se permettre cette audace de “se rire” lui-même, à l’image de Dieu.

Mon sentiment qu’il s’agit de l’inspiration-imitation de Bossuet vient du fait que, depuis quelques années, cette formule a eu et conserve une grande vogue. D’Ormesson, Zemmour et d’autres l’ont employée, et elle est très présente sur internet, avec même le Saker-US qui la place dans sa rubrique Blog’s philosophy, en belle et bonne langue française. Il y a un grand symbole dans cet emploi, par des sources si différentes, et jusqu’à ce président si complètement postmoderne qu’il peut être avantageusement comparé au rien-faussaire, et qui pourtant s’inspire, – peut-être ou peut-être pas “à l’insu de son plein gré”, – d’un des plus grands stylistes du français classique-flamboyant, orateur et prédicateur sublime et implacable pour les faiblesses humaines, jusqu’à ne rien épargner au Roi-Soleil lui-même.

Car cette formule résume parfaitement la pire tare politique du caractère humain dont Bossuet recommande avec fermeté qu’il faut savoir à tout prix s’en garder ; et elle résume également la tragédie-bouffe de la postmodernité qui a écarté cette recommandation pour élever cette tare au niveau suprême de sa raison d’être, tout en continuant à la dénoncer chez ceux qui lui résistent. Elle caractérise ce que je nommerais aimablement l’irresponsabilité intellectuelle, c’est-à-dire les idées développées pour leur séduction immédiate, dont la vanité du caractère et la trahison de la raison interdisent d’en concevoir “les effets” les plus dissimulés et les plus affreux de leur application.

Je trouve que c’est un charmant raccourci d’entendre notre-président user de cette formule pour dénoncer, comme un Bossuet postmoderne, c’est-à-dire avec la majesté réduite au minimum 2.0, ce trait de caractère qui résume à lui tout seul l’essentiel du comportement dont il se veut lui-même le garant, l’exemple et l’étendard à la fois. Je suis sûr qu’il fait cela de bonne foi et qu’il ne faut pas lui en vouloir, parce que l’époque est aussi celle du “à l’insu de mon plein gré”, – après tout, autre formule de l’irresponsabilité intellectuelle, disons plus tendance que Bossuet... Mais je l’aurai oubliée d’ici là, disons dans un siècle, comme j’aurai oublié Macron-Jupiter, alors que je me souviendrai encore de Bossuet puisque je serai en train de converser avec lui à propos de ces choses catastrophiques qu’engendrent ces idées qui nous paraissent si magnifiques parce qu’elles viennent de nous, et que nous avons une si haute et postmoderne opinion de nous.

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